Joseph de Maistre et la guerre
C’est ainsi qu’on a fait de lui un militariste farouche. Or, la guerre lui apparaissait comme le scandale de la raison; il la jugeait antihumaine, philosophiquement incompréhensible, la considérait comme une folie pure (Soirées de Saint-Pétersbourg, 7e entretien – Considérations sur la France, ch. III). Excellente manière de poser le problème de la guerre, pour lequel il est inutile d’invoquer la nécessité, ni la gloire. Si les sociétés ne sont pas passées, comme les individus, de l’état de nature à l’état de civilisation, si les nombreuses tentatives qui ont été faites pour établir une Société des Nations (le mot et la chose se trouvent chez J. de Maistre) ont échoué, c’est que le problème nous dépasse et que sa solution n’appartient qu’à Dieu.
Les horreurs de la guerre épouvantaient J. de Maistre; il les a flétries, les a déclarées inhumaines, mais il ne croit pas qu’elles disparaîtront du seul fait qu’elles soulèvent le cœur. Et, s’il a célébré la guerre, ce n’est pas la guerre à la manière de De Molke, c’est la guerre à la française, loyale, chevaleresque, humaine, qui sera peut-être toujours nécessaire et qui, seule, peut rentrer dans les desseins de Dieu.
Repoussant l’agnosticisme et le pragmatisme, J. de Maistre a recours au dogme théologique de la réversibilité des peines pour expliquer le problème que pose « la guerre en soi » et qui lui paraît être d’ordre métaphysique, c’est-à-dire dépasser la science et le sens commun. Cette explication n’a qu’un inconvénient, celui de laisser à la guerre un caractère mystique et de ruiner l’espoir d’y mettre fin.
J. de Maistre a combattu sans relâche, avec d’excellents arguments, l’illusion pacifiste; il n’avait aucune confiance dans les solutions élaborées dans l’abstrait. Il ne voyait qu’un moyen de comprimer les fléaux de la guerre : comprimer les désordres qui amènent cette terrible purification. Conclusion modeste, mais sage et nullement décourageante.