L'école kantienne
(E. Kant, Rêves d'un visionnaire)
Une école gouvernée selon l'esprit de la philosophie kantienne aurait pour premier principe, non l'amour mais le respect. Certes, l'amour est supérieur au respect mais c'est un idéal: on ne peut exiger l'amour mais seulement l'attendre, le demander... ou le donner. Comme dit la chanson, tout le monde veut que tout le monde l'aime, mais personne n'aime tout le monde. On ne peut donc exiger l'amour mais on peut exiger le respect. Il est peut-être impossible à deux personnes très différentes d'aptitudes, de goûts, etc., de s'aimer mais elles peuvent se respecter. De même, il est peut-être impossible pour l'inférieur d'aimer ce qui lui est trop supérieur, mais il peut le respecter. Et comme Kant le souligne, le supérieur doit également s'incliner: «Je m'incline devant un grand, disait Fontenelle, mais mon esprit ne s'incline pas. Et moi j'ajouterai: devant un homme de condition inférieure, roturière et commune, en qui je vois la droiture de caractère portée à un degré que je ne trouve pas en moi-même, mon esprit s'incline, que je le veuille ou non, et si haute que je maintienne la tête pour lui faire remarquer la supériorité de mon rang.» (E. Kant, Critique de la raison pratique)
Une règle de l'école kantienne consisterait sans doute dans une mise en garde contre l'usage uniquement sceptique (au goût du jour) aussi bien que contre l'usage dogmatique de la raison: «Celui qui n'apporte que des armes dogmatiques pour repousser les attaques de son adversaire et qui ne sait pas découvrir la dialectique cachée qui est aussi bien dans son propre sein que dans celui de son adversaire, celui-là voit des raisons spécieuses qui ont l'avantage de la nouveauté se produire contre d'autres raisons spécieuses qui n'ont plus le même avantage, mais qui font plutôt naître en lui le soupçon que la crédulité de sa jeunesse a été abusée. Il ne croit pas alors pouvoir mieux démontrer qu'il a dépassé la discipline de l'enfance qu'en se mettant au-dessus des sages avertissements qu'il a reçus, et, accoutumé au dogmatisme, il boit à long traits le poison qui corrompt dogmatiquement ses principes.» (E. Kant, Critique de la raison pure)
Finalement, pour Kant, l'école devrait surtout être le lieu où nous apprenons qu'il n'existe pas de science du jugement. Certes, il existe les sciences tout court. Mais comment savoir si tel cas tombe sous telle ou telle règle? Le médecin a besoin de jugement, mais il n'est pas le seul: «La logique générale ne renferme aucun précepte pour le jugement et n'en peut pas renfermer [...] si l'entendement est capable d'être instruit et armé par des règles, le jugement est un don particulier qui ne peut pas du tout être appris, mais seulement exercé [...] C'est pourquoi un médecin, un juge ou un homme d'État peuvent avoir dans la tête beaucoup de belles règles de pathologie, de jurisprudence ou de politique à un degré capable de les rendre de savants professeurs en ces matières, et pourtant se tromper facilement dans l'application de ces règles.»
(E. Kant, Critique de la raison pure)