La Commémorite
Les temps sont venus de la vie littéraire difficile, de la concurrence effrénée, de la publicité à outrance. Dans la grande danse de la réclame, on réserve leur place malgré eux aux pauvres morts. Les prétextes à commémorations sont innombrables et indéfiniment renouvelables. C’est la mort de celui-ci, la naissance de celui-là, ou du même; l’érection de la statue sur la place publique et du buste au cimetière; le baptême de la rue et l’inauguration municipale de la plaque bleue; le carré de marbre gravé d’une inscription sur la maison natale ou sur la maison mortuaire, ou sur l’immeuble qui les remplace, etc. M. Miguel Zamacoïs prévoit plaisamment le temps où l’on verra des commémorations au sujet de l’apposition de la plaque sur la maison de campagne du faiseur de géorgiques, au sujet de l’arbre qui l’abrita du soleil, sur le vase brisé qu’il a immortalisé, sur la petite épicerie de Mont-Rouge qu’il a rendue célèbre, sur le café où il dégusta trente ans son apéritif, sur le yacht de Maupassant, la ruche de Maeterlinck, etc. Et les dates d’apparition de chefs-d’œuvre, de centième mille d’éditions vulgarisatrice, etc…
Il faut portant être juste! Il faut rendre hommage à l’abnégation des organisateurs infatigables de commémorations, qui consentent à perdre pour les autres un temps précieux. Il faut plaindre aussi les commémorateurs malgré eux, ceux qui ne peuvent s’abstenir de par leur grandeur ou leurs fonctions officielles. Et puis les commémorations littéraires ont du bon : elles donnent à une foule de gens qui ne s’en souciaient guère l’idée de lire les œuvres des commémorés.