Enjeux énergétiques pour l'Europe de la mer Caspienne

Didier Houssin
Communication présentée lors d'un colloque sur l'Asie centrale organisé le 20 juin 2001 sous l'égide du Groupe sénatorial d'amitié France-Asie centrale par la Direction des Relations internationales du Sénat de la République française

I. Quel est le potentiel pétrolier et gazier de la mer Caspienne?

Les pays riverains de la Mer Caspienne recèlent des réserves considérables, qui sont encore mal connues, même si l'exploitation a démarré à Bakou il y a très longtemps. Le potentiel off-shore, lui, n'a commencé à être exploité qu'après les indépendances, après l'ouverture à l'investissement des compagnies internationales. On a parlé, à une certaine époque, d'une nouvelle Mer du Nord, voire d'un nouveau Moyen-Orient : c'est sans doute très exagéré. Il y a notamment eu des annonces très volontaristes, à des fins surtout politiques.

Les réserves prouvées pour l'Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan représentent 30 milliards de barils de pétrole, soit 3 % des réserves mondiales, avec de fortes disparités selon les pays, en incluant les hypothèses les plus conservatrices pour le gisement de Kashagan.

Les disparités sont moins importantes pour ce qui concerne les réserves gazières, où le Turkménistan se taille la part du lion. Globalement, ces réserves de gaz représentent environ 4 % des réserves mondiales, ce qui est comparable aux réserves gazières de la Mer du Nord. Mais en matière de gaz, c'est l'accès au marché qui prime, et celui-ci est loin d'être assuré à ce jour, notamment pour le gaz turkmène.

La production de la zone représente moins de 2 % de la production de pétrole mondiale et environ 1 % de la production de gaz mondiale, soit un peu moins des deux tiers de la consommation française. La montée en puissance de cette zone pour l'approvisionnement du marché mondial sera donc très progressive.


II. Quelles sont les contraintes qui pèsent sur le développement des réserves d'hydrocarbures de la Caspienne?

C'est d'abord l'enclavement qui apparaît comme la première contrainte, devant le manque d'outils de forage. Le forage de Kashagan, par exemple, a été l'un des forages les plus chers de l'histoire du pétrole. En ce qui concerne le gaz, le problème est encore plus aigu, du fait de l'éloignement des grandes zones de consommation.

1. Les voies d'évacuation

Les difficultés à assurer l'évacuation sont liées à la présence d'une mosaïque d'Etats et de populations aux intérêts parfois divergents. Les anciennes républiques de l'URSS, devenues indépendantes, ont pour souci majeur de mettre rapidement sur le marché leurs hydrocarbures, et d'assurer une certaine diversification de leurs débouchés afin de prendre leur autonomie par rapport à la Russie. Cette dernière cherche évidemment à maintenir sa prééminence sur le transport. La Turquie, quant à elle, constitue le premier débouché pour le gaz. L'Iran est tout à la fois une très importante zone de consommation, avec ses raffineries, et un pays de transit d'une importance considérable.

Pour l'évacuation du pétrole, les tracés du nord, transitant par la Russie, bénéficient d'un CPC rénové, dont la capacité a été portée à 560 000 barils par jour, et qui pourrait être doublée dans les années qui viennent. Le gouvernement américain a réaffirmé sa préférence pour le développement de la voie Bakou-Ceyhan, c'est-à-dire le tracé est-ouest. La voie sud, vers l'Iran, qui permettrait d'accéder directement aux raffineries du nord du pays, se heurte à l'hostilité américaine et aux difficultés géostratégiques.

En ce qui concerne l'évacuation du gaz, la voie nord vers la Russie existe déjà, avec une capacité déjà importante. Des premiers raccordements ont déjà été effectués vers l'Iran. Le contrat passé par l'AIOC pour assurer un accès sur le long terme au marché turc constitue sans doute une voie d'avenir très importante.

Les critères de choix entre les différentes voies d'évacuation seront la diversification, la crédibilité à long terme mais aussi des éléments de calendrier : les projets qui démarreront le plus rapidement, comme le CPC ou Bakou-Ceyhan, auront sans doute l'avantage.

2. Le statut de la Caspienne

La Caspienne est-elle une mer ou un lac ? Les débats sont très complexes. Des développements récents ont néanmoins permis de progresser dans le partage du sous-sol entre les différents pays riverains. Cela dit, cette question du statut n'a jamais gêné le développement, malgré le risque qu'elle fait peser, notamment dans les zones frontalières.


III. Quels enjeux pour l'Europe et la France?

Les enjeux sont d'abord énergétiques. Les ressources de la mer Caspienne pourraient, demain, fortement contribuer à la sécurité de nos approvisionnements. D'ores et déjà, les enjeux industriels et commerciaux sont importants : les investissements annoncés récemment par BP se monteraient à 12 milliards de dollars pour les quatre années qui viennent. Tout le secteur parapétrolier français est donc sur le pied de guerre, même si les opérateurs pétroliers sont anglo-saxons.

La Caspienne a sans doute fait, initialement, l'objet d'un engouement un peu excessif. Son potentiel énergétique a certainement été surestimé. Mais il importe d'être présent, dans une optique de long terme, pour ne pas manquer les étapes clés qui s'annoncent. Si le projet Bakou-Ceyhan démarre, les enjeux industriels seront très importants. Il faut donc être présent sur le terrain et ne pas hésiter à faire preuve d'un grand pragmatisme, quelle que soit la position diplomatique défendue par la France. J'ai par ailleurs été frappé par la volonté des pays de la région de maintenir des relations politiques et démocratiques étroites avec la France: nous devons jouer de cet atout.

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Extrait de: L'Iran en transition. Rapport d'information 457 (1999-2000) - Commission des Affaires étrangères, Sénat de la République française




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