L'Iran et la mer Caspienne

Extrait de: L'Iran en transition. Rapport d'information 457 (1999-2000) - Commission des Affaires étrangères, Sénat de la République française
Le Caucase et l'Asie centrale: l'enjeu de la mer Caspienne

L'Iran a bénéficié dans cette région, dans le passé, d'une influence politique importante et d'un rayonnement culturel encore perceptible aujourd'hui. Les richesses potentielles de la zone et son poids démographique ont encore accru l'attractivité, pour Téhéran, de cette partie de son voisinage.

Le Caucase et l'Asie centrale sont l'objet d'une diplomatie active de la part de l'Iran depuis l'éclatement de l'URSS. Téhéran a ouvert des ambassades dans toutes les nouvelles républiques et a favorisé l'entrée, dès 1992, des six nouveaux pays musulmans de la région dans l'Organisation de coopération économique (ECO), qui réunit aujourd'hui 10 membres et dont le siège est installé à Téhéran. Au surplus, les échanges commerciaux entre l'Iran et la zone se sont considérablement développés. L'Iran ne peut cependant que prendre acte d'une évolution du paysage politique dans la région qui ne lui est guère favorable : l'Ouzbékistan et l'Azerbaïdjan, les deux Etats les plus importants de la région- se sont, au grand regret de l'Iran, tournés vers l'Occident - ils sont ainsi, option hautement symbolique, parties au Partenariat pour la Paix de l'OTAN - ce qui ne laisse guère comme point d'appui à la diplomatie iranienne que l'Arménie et le Tadjikistan, où elle estime pouvoir faire jeu égal avec l'influence russe.

Cette volonté iranienne de "partager", avec la Russie, l'influence dans la région, n'a cependant pas donné les résultats espérés. Dans le conflit du Nagorno-Karabakh, qui oppose l'Arménie et l'Azerbaïdjan, l'Iran, qui se proposait comme médiateur, a été considéré par Bakou comme trop favorable aux positions de l'Arménie, au demeurant plus soucieuse, elle-même, de préserver l'influence de la Russie.

Au Tadjikistan, le gouvernement pro-russe se méfie d'un Iran qui, à ses yeux, continue de soutenir l'opposition islamique.

Au total, l'Iran, dans cette région sensible, se heurte à une équation diplomatique qui ne joue pas en sa faveur: d'un côté, les pays sous influence russe ne souhaitent pas y renoncer, au profit d'un Iran jugé encore imprévisible; de l'autre, ceux qui entendent se distancier de Moscou marquent une nette préférence pour les puissances occidentales et, en particulier, les Etats-Unis.

Ceux-ci parviennent d'ailleurs, en jouant de leur audience nouvelle dans la région, à endiguer tout progrès diplomatique, voire économique de l'Iran dans la région, notamment à travers la gestion des richesses, potentiellement importantes, de la Caspienne.

L'enjeu régional central pour l'Iran demeure en effet la mer Caspienne et l'utilisation possible de ses ressources d'hydrocarbures. Un second sujet se greffe à cette première question, tout aussi capital, et concerne les itinéraires de transit d'évacuation des hydrocarbures de la Caspienne et d'Asie centrale, l'Iran estimant que le recours à son territoire est géographiquement le plus logique et politiquement le plus sûr.

L'Iran a, sur la question sensible du partage des ressources de la Caspienne, récemment évolué dans le sens de la conciliation. Durant unelongue période, ce pays, se fondant sur les traités irano-soviétiques conclus en 1921 et 1940, a estimé que, même après l'éclatement de l'URSS, tout nouveau statut pour la mer Caspienne ne pouvait résulter que d'un accord des Etats côtiers, permettant une répartition entre les Etats riverains en fonction de la longueur respective de leurs côtes. Face à l'intransigeance des autres pays concernés, l'Iran a été conduit à assouplir sa position. Lors du sommet de l'Organisation de la Coopération Economique (ECO), tenu à Téhéran le 12 juin 2000, l'Iran s'est déclaré prêt à adhérer au "partage équitable des ressources naturelles et énergétiques" de la mer Caspienne. Il a également souhaité que l'Organisation de coopération de la Caspienne, créée après l'éclatement de l'URSS entre les cinq nations riveraines, soit réactivée pour définir les modalités juridiques d'un partage des ressources.

L'autre question, corrélative à la première, concerne l'acheminement des hydrocarbures de la Caspienne vers les marchés asiatiques ou européens. Chacun des pays riverains, spécialement la Russie et l'Iran, souhaitent que leur territoire respectif soit retenu pour le transit de ces ressources. Les Etats-Unis refusent régulièrement l'implication de l'Iran dans ce processus.

Les Etats-Unis ont donc privilégié le projet d'oléoduc Kazakhstan Bakou-Ceyhan (côte méditerranéenne de la Turquie, via la Géorgie). Si l'Iran, désormais, ne s'oppose plus à la diversification des moyens d'acheminement des ressources de la Caspienne, il continue de privilégier son territoire comme voie de transit, l'estimant plus sûr que les régions caucasiennes.

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Didier Houssin

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