La beauté pour la beauté
Jeudi le 15 mai 2003
Le lecteur qui parcourt l'Origine des espèces ou les relations de voyage de Darwin, constate, qu'avant d'être le grand théoricien de la sélection naturelle, il fut avant tout un passionné du monde vivant, «qui n'avait pour tout équipement scientifique que ses deux yeux; pour toute méthode, que son grand amour de la vie».
[…] J’admets volontiers qu’un grand nombre d’animaux mâles, tels que tous nos oiseaux les plus magnifiques, quelques reptiles, quelques mammifères, et une foule de papillons admirablement colorés, ont acquis la beauté pour la beauté elle-même ; mais ce résultat a été obtenu par la sélection sexuelle, c’est-à-dire parce que les femelles ont continuellement choisi les plus beaux mâles; cet embellissement n’a donc pas eu pour but le plaisir de l’homme. On pourrait faire les mêmes remarques relativement au chant des oiseaux. Nous pouvons conclure de tout ce qui précède qu’une grande partie du règne animal possède à peu près le même goût pour les belles couleurs et pour la musique. Quand la femelle est aussi brillamment colorée que le mâle, ce qui n’est pas rare chez les oiseaux et chez les papillons, cela paraît résulter de ce que les couleurs acquises par la sélection sexuelle ont été transmises aux deux sexes au lieu de l’être aux mâles seuls. Comment le sentiment de la beauté, dans sa forme la plus simple, c’est-à-dire la sensation de plaisir particulier qu’inspirent certaines couleurs, certaines formes et certains sons, s’est-il primitivement développé chez l’homme et chez les animaux inférieurs? C’est là un point fort obscur. On se heurte d’ailleurs aux mêmes difficultés si l’on veut expliquer comment il se fait que certaines saveurs et certains parfums procurent une jouissance, tandis que d’autres inspirent une aversion générale. Dans tous ces cas, l’habitude paraît avoir joué un certain rôle; mais ces sensations doivent avoir quelques causes fondamentales dans la constitution du système nerveux de chaque espèce.