Résilience

Brouillard ou arc-en-ciel de sens?

À l’origine, en métallurgie, la résilience désigne une qualité des matériaux qui tient à la fois de l’élasticité et de la fragilité, et qui se manifeste par leur capacité à retrouver leur état initial à la suite d’un choc ou d’une pression continue.

Le Robert ne retient qu’une de ces deux idées, celle de la résistance au choc, et définit la résilience comme le rapport, exprimé en joules par cm2, de l’énergie cinétique absorbée qui est nécessaire pour provoquer la rupture d’un métal à la surface de la section brisée.

Pour l’informaticien , il s’agit de cette qualité d’un système qui lui permet de continuer à fonctionner correctement en dépit de défauts d’un ou de plusieurs éléments constitutifs. L’anglais utilise le terme system resiliency, que l’on rend, selon le contexte, par tolérance aux failles, tolérance aux anomalies, insensibilité aux défaillances.

Pour l’écologiste, la résilience exprime, d’une part la capacité de récupération ou de régénération d’un organisme ou d’une population, et d’autre part, l’aptitude d’un écosystème à se remettre plus ou moins vite d’une perturbation – la reconstitution d’une forêt après un incendie, par exemple. Pour les pisciculteurs, la résilience exprime une idée voisine, celle de la résistance naturelle d’une race de poissons en fonction de sa fécondité.

On lui donne un sens voisin, mais déjà plus riche, dans le domaine de l’économie (voir l’article de G. Paquet). Dans les domaines de la médecine, de la psychologie et de la criminologie, il est question de résilience en rapport avec la résistance physique, les phénomènes de guérison spontanée et de récupération soudaine. Le terme s’est imposé particulièrement dans le traitement d’enfants à risque dont on cherche à solidifier l’aptitude à rétablir leur équilibre émotionnel dans des situations de stress ou d’abus importants, par une meilleure compréhension du ressort psychologique.

Plus récemment, les expressions resilient business et resilient community, moins souvent utilisées en français, font leur apparition dans les publications américaines et canadiennes, lorsqu’il est question de mettre en évidence la capacité intrinsèque des entreprises, des organisations et des communautés à retrouver un état d’équilibre – soit leur état initial, soit un nouvel équilibre – qui leur permette de fonctionner après un désastre ou en présence d’un stress continu. Dans la même veine, on parlera de sociétés, d’ethnies, de langues ou de systèmes de croyances faisant preuve de résilience.

Notons d’abord que toutes ces utilisations nouvelles du mot résilience ont un fond de sens commun, qui, curieusement, marque une distance importante par rapport au sens premier du terme en métallurgie. Premièrement, pour ce qui est de l’objet que la qualité décrit: il est question de la résilience, non plus d’une matière inerte et simple, mais d’un tout ou d’un système complexe. La résilience se caractérise ensuite par une forme d’homéostasie qui permet aux systèmes de retrouver leurs conditions de départ ou de maintenir leurs fonctions initiales dans un environnement dynamique et changeant où interagissent un nombre important de forces, qui doivent être maintenues dans un équilibre plus ou moins fragile. La tolérance au stress fait apparaître des seuils, en deçà et au-delà desquels la structure se rompt ou éclate. Autre élargissement du sens: là où la métallurgie voit dans la résilience une résistance due à la nature même de la matière, il s’agit maintenant d’une réaction d’un système qui met en jeu des contre-forces tenues en réserve pour refaire l’équilibre brisé; forces qui modifient l’environnement de manière à préserver les conditions favorables au maintien des structures.

Mais au-delà de ces éléments: complexité, équilibre, seuils de tolérance au stress, ressources intérieures pour maintenir l’intégrité de la structure, on peut soupçonner des glissements. S’agit-il alors de raffinements progressifs dans le sens de la métaphore, selon qu’elle sert à décrire des systèmes mécaniques, vivants ou conscients et selon que, pour chacune de ces trois catégories, l’unité décrite est un individu (système constitué de parties multiples et différenciées, tel un phénotype), une espèce (système formé par le regroupement d’individus semblables, tel un génotype) ou une société (ensemble regroupant nombre d’espèces différentes – tel un écosystème)? Brouillard ou arc-en-ciel de sens?

Dominique Collin, Attila passe, l'herbe repousse

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Essentiel

"L'illustration la plus récente de la puissance biologique de la Nature est l'implantation rapide de formes de la vie sur Surtsey, une île nouvelle créée par l'éruption volcanique souterraine du 14 novembre 1963, au large des côtes de l'Islande. Moins de 10 ans après son apparition, Surtsey a acquis, des îles voisines et de l'Islande elle-même, un biotope complexe qui la rend pratiquement semblable aux différents éléments de l'écosphère islandaise."

Source: Ibid.

Enjeux

"Les écosystèmes ont en leur possession plusieurs mécanismes d'auto-guérison. Quelques uns sont analogues aux mécanismes homéostatiques rencontrés dans le monde animal; ils permettent aux écosystèmes de surpasser les effets des désordres en rétablissant tout simplement et de façon progressive le stade initial de l'équilibre écologique. Il est plus fréquent, cependant, que les écosystèmes subissent des changements adaptatifs de nature créative qui transcendent les simples corrections apportés aux dommages subis; il en résulte alors, en définitive, une activation de certaines potentialités des écosystèmes, qui ne s'étaient pas révélées, préalablement aux désordres subis.
Existent ainsi de multiples exemples de telles restaurations de l'environnement qui se produisent soit au travers d'une simple réaction homéostatique ou au travers de changements adaptatifs d'une nature créative."

René Dubos, La restauration des écosystèmes

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