Pindare

Pindare est né à Thèbes vers -522 dans une famille aristocratique. Il fut le contemporain d’Eschyle et le témoin du triomphe des Grecs contre les Mèdes. Bien que le clan oligarchique auquel il appartenait ait pactisé avec l’ennemi, il ne fut pas inquiété de son vivant. L’aigle, auquel il s’identifiait en tant que poète, planait au-dessus des intrigues de la guerre et de la politique. «Pindare, écrit Marguerite Yourcenar, réalise le type fort rare du grand artiste solidement établi dans la société de son temps, considéré pour sa race et son rang social en même temps que glorieux dans son œuvre. Heureux jusqu’au bout, on assure qu’il mourut octogénaire sur les gradins du théâtre d’Argos, au cours d’une représentation théâtrale, la tête appuyée sur l’épaule de son jeune ami Théoxène, pour qui il venait de composer un admirable Éloge amoureux.»1




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«N’aspire pas, ô mon âme, à la vie éternelle, mais épuise le champ du possible.»

C’est sans doute par ce passage de la troisième Phytique, cité notamment par Albert Camus et Paul Valéry que Pindare est le plus connu aujourd’hui. On trouve pourtant ailleurs dans son œuvre des allusions à l’immortalité : «Un soleil toujours pur éclaire nuit et jour la paisible demeure des justes. Là ils coulent des moments heureux: leurs bras ne fatiguent point les flots, leurs mains n'y déchirent point la terre pour en arracher la pauvre nourriture des mortels.»2

«Il lui arrive plus d’une fois, note Marguerite Yourcenar, d’insister sur la survie des âmes récompensées ou punies selon leurs mérites ou leurs démérites terrestres, vue alors relativement neuve et qui nous éloigne de la condition lugubre et indifférenciée des morts dans l’Hadès d’Homère. Mais Pindare ne s’engagea pas comme Empédocle, dans les voies secrètes du mysticisme.»3

«Tous les cieux sont ouverts au vol de l’aigle» dira lui-même Pindare.

Qui aura compris cet aristocrate célébrant la victoire aux Jeux parce qu’elle lui semblait être l’accomplissement spontané d’une nature heureuse plutôt que le produit d’une éducation, de ce que nous appellerions aujourd’hui un entraînement? À quelle transfiguration identifiait-il la gloire, lui qui éprouvait le besoin — c’était l’essence de son inspiration- d’associer les mots du poète aux ailes de la victoire?

«De même, ô Agésidame ! quelque gloire qu'un vainqueur ait cueillie, s'il descend au palais de Pluton sans que les chants des poëtes aient consacré ses hauts faits, il s'est fatigué longtemps pour ne jouir que d'un instant de bonheur. Mais toi, les doux accords de la lyre et les modulations de la flûte célèbrent ton triomphe, et les Piérides, filles de Jupiter, en éternisent la mémoire.» 4

A-t-on jamais mieux utilisé les mots pour évoquer le mot? «Le mot, écrit Pindare dans le poème destiné à Timasarque, le jeune Éginète, «vit plus longtemps que l’exploit quand, par une faveur due aux Charites, notre langue le tire des profondeurs de notre cœur »5

Les muses ont délaissé la victoire. Les records, les statistiques, vivront-ils plus longtemps que l’exploit…et de quelle vie?

On a célébré Pindare à la Renaissance. Ronsard l’a imité. En Angleterre il a été une source d’inspiration pour Milton et Dryden, plus tard, en Allemagne pour Goethe et Hölderlin.

Dans son anthologie de la poésie grecque, Robert Brasillach , après lui avoir reproché sa collaboration avec les Mèdes, réduit Pindare à ceci: «Son œuvre est en général prodigieusement ennuyeuse. Afin de rehausser la gloire des brutes sportives qu’il célébrait contre argent comptant, Pindare fait terriblement appel à la mythologie et ne manque jamais de coudre à ses éloges quelque épisode rutilant.»6

Hugo est plus concis: «Pindare serein, plein d’épiques rumeurs.» Plus concis et plus clairvoyant. Il annonce le jugement de Marguerite Yourcenar et celui de Werner Jaeger.

«Personne dans la tradition grecque, n’exemplifie mieux que lui cette tranquille imprégnation de la vie tout entière par la légende et le rite, obtenue aussi en leurs plus beaux jours par le catholicisme italien, par l’hindouisme et par le Japon du Shinto. Monde harmonieux où l’accord entre l’effort humain et la loi divine, entre le réel et le mythe, n’est pas encore tout à fait brisé, et où l’on peut encore croire que les forces claires équilibrent au moins les puissances sombres.»7

Si loin des dieux, et si près: homme.

« Les athlètes que ces oeuvres dépeignent avec toute la vigueur harmonieuse et la perfection de leur noblesse vivent, sentent et parlent à nouveau pour nous dans la poésie de Pindare — une poésie dont l'énergie spirituelle et la gravité religieuse nous touchent encore avec cette force étrange qui caractérise les seuls chefs-d'oeuvre uniques et irremplaçables de l'esprit humain. Car ce fut un instant précieux entre tous que celui où le monde grec, encore imprégné de religion et pourtant déjà gagné à l'humain, vit dans le corps de l'homme et dans son âme parvenue à un stade de développement spirituel bien supérieur aux possibilités terrestres, la divinité même dans toute sa splendeur. Un moment d'autant plus inestimable que, par la même occasion, dans ces dieux au visage d'homme, les efforts de l'individu visant à copier ce modèle divin, en qui les artistes avaient rendu tangible la loi inaccessible mais impérieuse de la perfection, trouvèrent une raison d'être et un heureux accomplissement.»8

Notes
1. La couronne et la lyre, Paris, Gallimard, 1979 p. 160
2. Olympiques, Hymne à Théron d'Agrigente.
3. La couronne et la lyre, p. 162
4. Olympiques, Hymne à Agésidame.
5. Néméennes IV, 7.
6. Anthologie de la poésie grecque, Sock, Paris 1950, p. 119
7. La couronne et la lyre, p. 162
8. Werner Jaeger, Paideia. La formation de l'homme grec, Paris, Gallimard, 1964, p. 248.

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