Dumas (fils) Alexandre

27 / 07 / 1824-1895

"Placé de très bonne heure dans l’institution dirigée par Goubaux, l’un des collaborateurs de son père, il suivit les cours du collège Bourbon ([plus tard] lycée Condorcet) et y remporta quelques succès. Il avait à peine dix-huit ans quand La Chronique, revue mensuelle (1842), inséra ses premiers vers, réimprimés depuis dans un recueil de poésies, intitulé d’abord Préface de la vie, puis Péchés de jeunesse (1847, in-8). Vers la même époque, il écrivit un roman, présenté sous le titre de Fabien par son père à divers journaux qui le refusèrent, et publié sous celui d’Aventures de quatre femmes et d’un perroquet (1847, 6 vol. in-8). Il fut bientôt suivi de: Césarine (1848, in-8); Le Docteur Servan (1849, 2 vol. in-8) 1; Antonine (1849, 2 vol. in-8); Trois Hommes forts (1850, 4 vol. in-8); Le Régent Mustel (1852, 2 vol. in-8), sans parler d’un recueil de Contes et Nouvelles (1853, in-18), d’Un Cas de rupture (1854, in-32), et d’une série de romans historiques publiés en feuilletons dans La Gazette de France sous ce titre collectif: Les Quatre Restaurations, et comprenant : Tristan le Roux (1849), Henri de Navarre (1850), Les Deux Frondes (1851); Tristan le Roux a seul été réimprimé en volume; le quatrième épisode n’a jamais paru.

1. Ce roman a également été édité en un volume in-16, une année plus tôt (1848) chez Meline, Cans et Cie à Bruxelles.

Malgré les dons heureux que trahissaient ces œuvres de début, la véritable personnalité de l’auteur ne se fit jour que lorsqu’il aborda l’étude de la société moderne, où la mort de Balzac lui laissait le champ libre. La Dame aux camélias (1848, 2 vol. in-8) est restée le type le plus célèbre de cette galerie, où vinrent presque aussitôt prendre place Diane de Lys (1851, 3 vol. in-8), et La Dame aux perles (1854, 3 vol. in-8), qui initiaient le public aux mœurs et aux mystères de ce que l’auteur lui-même avait appelé le demi-monde. Après de longues luttes contre la censure et contre Léon Faucher, ministre de l’Intérieur, M. Dumas fils put enfin, grâce à la protection de M. de Morny, faire représenter au Vaudeville La Dame aux camélias (2 février 1852), où l’amour, l’agonie et la mort de Marie Duplessis obtinrent un succès prolongé, que retrouvèrent Diane de Lys (Gymnase, 15 novembre 1853), autre comédie arrêtée huit mois par la censure, et Le Demi-Monde (Gymnase, 20 mars 1855). La Question d’argent (Gymnase, 31 janvier 1857) s’attaquait à une des plaies du jour avec non moins de vigueur et provoqua même les réclamations du fameux Jules Mirès qui crut se reconnaître dans le personnage de Jean Giraud, imputation contre laquelle M. Dumas a toujours protesté. C’est encore sur la scène du Gymnase que furent représentées les comédies suivantes, où se traitaient […] de la recherche de la paternité, du divorce, de la séduction, du concubinage, du proxénétisme et de l’adultère: Le Fils naturel (16 janvier 1858); Un Père prodigue (30 novembre 1859); L’Ami des femmes (5 mars 1864); Les Idées de Mme Aubray (16 mars 1867); Une visite de noces (16 octobre 1871); La Princesse Georges (2 décembre 1871); La Femme de Claude (16 janvier 1873); Monsieur Alphonse (26 novembre 1873), dont les principaux rôles eurent pour créateurs Mmes Rose Chéri, Berton, Ad. Dupuis, et, en dernier lieu, Aimée Desclée, et qui toutes suscitèrent d’ardentes discussions que l’auteur a reprises à son tour et résumées dans les préfaces d’une première édition collective de son Théâtre (1868-1879, 6 vol. in-18). M. Dumas fils a donné depuis, au Théâtre-Français, L’Étrangère, comédie en quatre actes (14 février 1876), qui, mal accueillie du public le premier soir, en dépit d’une interprétation hors ligne, s’est longtemps maintenue sur l’affiche, de même que La Princesse de Bagdad (février 1881), pièce en trois actes, spécialement écrite pour Mlle Croizette; Denise, pièce en quatre actes (19 janvier 1885), et Francillon (17 janvier 1887), pièce en trois actes, dont le talent de l’auteur et celui des artistes appelés à le seconder ont fait accepter, non parfois sans résistance, les invraisemblances et les audaces.

Plus heureux que son père, M. Dumas fils n’a jamais vu mettre en doute sa puissante originalité et nul ne s’est avisé de lui prêter des collaborateurs réels ou imaginaires. Par contre, il lui est arrivé plusieurs fois de mettre sa plume au service d’autrui, notamment pour Le Marquis de Villemer de George Sand (Odéon, février 1864), Le Supplice d’une femme (Théâtre-Français, 29 avril 1865), comédie refaite sur un scénario d’Émile de Girardin, et Héloïse Paranquet (Gymnase, 20 janvier 1866), entièrement différente du canevas primitif de M. Durantin. Les démêlés retentissants qui suivirent ces deux dernières transformations avaient, disait-on, à jamais dégoûté M. Dumas de la collaboration; néanmoins, on peut encore porter à son avoir littéraire Le Filleul de Pompignac, comédie en quatre actes (Gymnase, 1869) que M. H. Lefrançois lui avait soumise et qui fut signée sur l’affiche Gustave de Jalin; Les Danicheff, drame en cinq actes (Odéon, février 1876), signé Pierre Newski, et dont la donnée première appartenait à un littérateur russe, M. Pierre Corvin, ainsi que La Comtesse Romani, comédie en trois actes (Gymnase, novembre 1876), signée aussi Gustave de Jalin, pseudonyme collectif de M. Dumas et de M. G. Fould. Il a enfin rendu le même service à son père lors de la reprise à l’Odéon de La Jeunesse de Louis XIV (1874), et pour Joseph Balsamo, drame inédit en cinq actes, remanié sur le manuscrit original (Odéon, mars 1878). Des indiscrétions, inévitables en pareil cas, ou la reconnaissance même de ses obligés permettent d’assurer qu’il a tout au moins relu un certain nombre d’autres pièces, telles que: Comment la trouves-tu?, comédie-vaudeville par L. Pagès et H. de Chambrait (1857); Un mariage dans un chapeau, comédie en un acte par Vivier (1859); Comme elles sont toutes, comédie par Ch. Narrey (1868); Albertine de Merris, comédie par Amédée Achard (1868); Mademoiselle Duparc, comédie par M. L. Denayrouze (1875), etc.

Ce n’est pas seulement sur la scène que M. Dumas a poursuivi le triomphe des thèses sociales qu’il n’a cessé de soutenir: un roman présenté sous forme de factum judiciaire, L’Affaire Clémenceau, Mémoire de l’accusé (1866, in-8), était un plaidoyer en faveur du châtiment de l’adultère par la main même de l’époux outragé. En 1869, dans une brochure destinée à faire connaître l’établissement des Madeleines repenties situé à Clichy-la-Garenne, il réclamait la réhabilitation de la femme déchue par l’expiation. Après une incursion sur le terrain politique dans sa fameuse Lettre sur les choses du jour (1871, in-8), il reprit dans une brochure à titre bizarre, L’Homme-Femme (1872, in-18), la théorie dont La Femme de Claude fut la démonstration; il a de plus […] pris une part brillante aux discussions soulevées par La Question du divorce (1880, in-8), et par La Recherche de la paternité (1883, in-18), questions qu’il a examinées sous toutes leurs faces, dans un certain nombre de préfaces ou de lettres plus ou moins destinées à la publicité.

Candidat au fauteuil laissé vacant par Pierre Lebrun, M. Dumas fut élu par 22 voix contre 11 au premier tour de scrutin le 30 janvier 1874, et vint prendre séance le 11 février 1875. Au discours où il évoquait la gloire paternelle comme son meilleur titre à la bienveillance de l’Académie, lui rappelant ainsi l’une de ses plus criantes injustices, M. d’Haussonville répondit par une spirituelle critique du monde spécial où l’auteur avait le plus volontiers pris ses modèles et de ses théories morales et religieuses. Depuis, M. Dumas a été chargé comme directeur en 1877 du rapport sur les prix de vertu, et en 1887 de la réponse à M. Leconte de Lisle, successeur de Victor Hugo.

Ainsi qu’il a été dit plus haut, les diverses pièces de M. Dumas, jusques et y compris L’Étrangère, ont été réunies sous le titre de Théâtre complet avec préfaces inédites (1868-1879, 6 vol. in-18). L’auteur en a donné une nouvelle édition, dite des Comédiens, parce qu’elle était exclusivement destinée aux premiers interprètes de ses œuvres, tirée à quatre-vingt-dix-neuf exemplaires et augmentée de notes nouvelles souvent très importantes (1882-1886, 6 vol. gr. In-8). À ces deux collections manque Atala, scène lyrique, musique de Varney, représentée sur le Théâtre-Historique en 1848, mais on y retrouve une autre bluette en un acte et en vers, Le Verrou de la reine, jouée en 1845 sur le petit théâtre de l’hôtel Castellane, et reprise au Gymnase en 1873. Une Histoire de la loterie du lingot d’or (1851, in-8), que les entrepreneurs de cette spéculation avaient demandée à M. Dumas, et d’autres écrits de jeunesse, joints à des pages plus récentes et plus graves, ont été rassemblés sous le titre d’Entr’actes (1878-1879, 3 vol. in-18); un recueil de nouvelles de la même période, Thérèse (1875, in-18), a été dédié par l’auteur à M. de Spoëlberch, le savant bibliophile qui les avait exhumées. Le roman de La Dame aux camélias a été l’objet, entre autres réimpressions multiples, de trois éditions illustrées par Gavarni (1858, in-8), par A. de Neuville (1875, in-8), et par M. Albert Lynch (1886, gr. in-8).

Possesseur d’une très riche collection de tableaux et d’objets d’art qu’il a plusieurs fois épurée par des ventes publiques, M. Dumas a été personnellement lié avec la plupart des grands artistes de [son] temps. Parmi ses nombreux portraits, il faut citer son buste par Carpeaux (placé à la Comédie-Française), un petit anneau (en pied) de Meissonier, et un buste (grandeur naturelle) par M. Bonnat, remarquablement gravé sur bois par M. Baude."

Maurice Tourneux, article «Dumas» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, H. Lamirault, [191-?]. Tome quinzième (Duel-Eoetvoes), p. 40-41.

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Évoquant la pièce Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand, Remy de Gourmont critique vertement au passage Dumas dramaturge: "venu après l’affreux théâtre pharmaceutique et procédurier d’Alexandre Dumas, ce Cyrano fut un rafraîchissement, un délicieux verre de vin parfumé et glacé après une longue course dans la poussière des chemins. On comprend vraiment l’étonnement de la critique et la joie du public. Depuis vingt ans et plus, quand on nous convie au théâtre, c’est pour entendre des avocats qui discutent sur un beau cas de divorce, sur le droit des enfants, le droit du père, le droit de la mère, le droit de l’État, l’avenir des sociétés, la cité future, le service militaire; ou bien des médecins vous entretiennent de quelque vilaine maladie, de quelque difficile opération chirurgicale, du régime des hôpitaux ou de celui des prisons et d’une quantité d’autres questions également malpropres – et bêtes surtout, puisqu’elles sont insolubles, surtout au théâtre. Devant l’esprit et la bravoure de Cyrano, les spectateurs défiants se sentirent renaître; au lieu des côtés dégoûtants de la vie, on [leur] en montrait les faces les plus brillantes : il était question, enfin, d’amour, d’héroïsme et de beauté!"

Remy de Gourmont, "Le Bonheur littéraire: M. Edmond Rostand", dans Promenades littéraires (1ère série), p. 63.

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