Intellectuel

«L’intellectuel est celui qui refuse d’être le moyen d’un but qui n’est pas le sien» (Sartre)

Selon Pascal Ory et J-F Sirinelli, dans Les intellectuels en France, de l’Affaire Dreyfus à nos jours, l’intellectuel est «un homme du culturel, créateur ou médiateur, mis en situation d’homme du politique, producteur ou consommateur d’idéologie.»

Fabrice Ribet, auteur d’une page Internet sur les intellectuels, complète ces définitions en s’inspirant de Régis Debray:

Régis Debray, dans Le Scribe (1990), présente le rôle de l’intellectuel de l’école des cadres d’Uriage. "Écrire, c’était prescrire; instruire, conduire; transmettre, soumettre." De son oeuvre (sciendi), l’intellectuel tire un pouvoir (dominandi) qu’il exerce non dans le pouvoir, mais par la voie de l’autorité morale.

L’influence de l’intellectuel repose sur trois décalages:
    - Il est apte à exprimer la pensée de son peuple, à le conseiller avec justice (effet Mirabeau);
    - Il est capable d’émettre une parole qui dépasse son individualité pour énoncer l’universel (effet Goethe);
    - Il est autorisé à parler de sujets qui débordent son domaine de compétences, au nom de la vérité, et non en fonction d’une technique (effet Gorgias).
* * *


Quelques définitions de l'intellectuel

Jean-François Revel (La connaissance inutile):
    "Constatons simplement que l'intellectuel ne détient, de par son étiquette, aucune prééminence dans la lucidité. Ce qui distingue l'intellectuel, ce n'est pas la sûreté de ses choix, c'est l'ampleur des ressources conceptuelles, logiques, verbales qu'il déploie au service de ce choix pour le justifier. Par son discernement ou son aveuglement, son impartialité ou sa malhonnêté, sa fourberie ou sa sincérité, il en entraîne d'autres dans son sillage. Être intellectuel confère donc non pas une immunité qui rendrait tout pardonnable, mais plus de responsabilité que de droits, et au moins une responsabilité aussi grande que la liberté d'expression dont on jouit. En définitive, le problème est surtout d'ordre moral."
André Laurendeau (Ces choses qui nous arrivent):
    (...) l'intellectuel se reconnaît à l'habitude qu'il a chèrement acquise de manier les idées générales. Il le fait par conviction, mais parfois aussi par jeu (...) Le domaine propre de l'intellectuel, c'est l'idée, une idée qu'il a tirée du réel, qu'il en a abstraite. Il peut donc avoir avec les choses un contact aussi vrai que l'homme d'action, le technicien ou l'artiste: mais selon un autre mode, qui permet de voir plus loin et plus clair, et où les risques d'erreur sont d'autant plus grands que la vérification est plus aléatoire."
Léon Dion (Québec 1945-2000 Les intellectuels et le temps de Duplessis, tome II)
    "Là où la liberté d'expression existe, les qualités ou dispositions qui établissent le statut de l'intellectuel dans une société sont exigeantes : compétence dans un domaine d'esprit reconnue par les pairs et par ceux qui les jugent; aptitude à manier les idées générales, condition obligée même chez les mathématiciens et les spécialistes d'une discipline scientifique (...); intégrité personnelle indiscutée même par tous ceux qui désapprouvent ses idées et ses prises de position; totale indépendance d'esprit vis-à-vis de tous les pouvoirs, y compris les médias et l'opinion publique; aptitude à s'émouvoir, à se passionner pour une cause tout en respectant les bornes de la rationalité entendue au sens large de terme, de la "raison raisonnée" plutôt que la "raison raisonnante" selon les termes d'Emmanuel Kant; conscience des intérêts qu'il épouse ou qu'il sert de quelque façon."

Enjeux

Dans de nombreux pays, dont la France, le milieu intellectuel a toutes les apparences d'une secte qui use et abuse de l'anathème. Dans ce pays , la plupart des intellectuels qu'on a pu associer au régime de Vichy et à la collaboration avec l'Allemagne ont été rayés de l'histoire. Les ex-staliniens par contre ont été réhabilités après quelques aveux. L'erreur d'avoir soutenu Staline était-elle donc moins grave que celle d'avoir soutenu Hitler?

Pendant des decennies on n'évoqua cette injustice que dans les groupes qui en étaient victimes. Il fallut attendre l'effrondrement du communisme pour qu'un débat sur la question s'ouvre enfin. Jean-Claude Guillebaud a fait le point sur la question dans La force de conviction. 1
«La querelle fut relancée à droite, notamment par les auteurs du Livre noir du communisme, mais aussi par plusieurs essayistes – ou polémistes – comme Thierry Wolton. 2 Les uns et les autres, partent du principe que le totalitarisme rouge fut historiquement aussi criminel que le brun. Ils s’indignent par conséquent du préjugé favorable dont bénéficient, envers et contre tout, les anciens compagnons de route du communisme, comparé à l’excommunication immédiate – et justifiée – qui fut le lot des intellectuels pro-fascistes ou pro-nazis des années 1940. Des seconds, on exigea qu’ils disparussent du paysage, tandis qu’aux autres, on ne réclama qu’une repentance minimale. Mieux encore, ces « défaillances de jeunesse » une fois confessées ne les empêchèrent pas de retrouver et d’occuper, pendant des décennies, les tout premiers rôles dans le concert intellectuel. Cette inégalité symbolique agirait toujours, et puissamment.
Or cette différence de traitement ne serait aucunement justifiée, dès lors qu’on se place dans le cadre de la critique antitotalitaire, celle qui condamne d’un même mouvement le stalinisme et le nazisme. Éthiquement et politiquement, il ne saurait y avoir péché véniel dans un cas et péché mortel dans l’autre. Un philosophe comme Claude Lefort n’est pas le dernier à rappeler – avec insistance –, de livre en livre, la gravité fondamentale du « mensonge communiste » qui autorise et justifie le paradigme antitotalitaire. «La destruction du régime soviétique, et du modèle qu'il avait représenté pour des dizaines de millions d'hommes dans le monde, ne dispense pas d'observer qu'une atteinte a été portée aux fondements de toute société, que l'humanité ne sort pas indemne de cette aventure, qu'un seuil du possible a été dépassé.» 3(...)
Vu de droite, en effet, il paraît pour le moins étrange que les « ex » ou les « anciens » communistes (ou « gauchistes) – qui n’ont pas forcément été très loin dans le retour sur eux-mêmes – continuent de bénéficier dans la vie publique et à l’Université d’une légitimité à peu près intacte. Il profiteraient, en vérité, d’une mansuétude de principe qui fut toujours refusée à un Pierre Boutang, un Raymond Boudon ou un Raoul Girardet, qui, eux, venaient de la droite universitaire. C’est donc à une réévaluation bien plus radicale que les tenants de la reconquête en appellent. On aurait bien tort de tenir l’affaire pour subalterne et sans avenir.»

1-Jean-Claude Guillebaud , La force de conviction, Paris Seuil 2005, p.54
2-Voir notamment de Thierry Wolton, L’Histoire interdite, J.-C. Lattès, 1998, et Comment guérir du complexe de gauche, Plon, 2003..
3-Claude Lefort, « Retour sur le communisme », Esprit, janvier 1999, p. 34..»

Articles


Les spécialistes des sciences sociales et la politique au Canada

Marc Chevrier
Compte rendu de: Stephen Brooks et Alain-G. Gagnon, Les spécialistes des sciences sociales et la politique au Canada. Entre l'ordre des clercs et l'avant-garde, Montréal, Boréal, 1994, 215 p.

Les intellectuels québécois de l'entre-deux-guerres: une analyse décevante

Pierre Trépanier
Recension du livre de Catherine Pomeyrols, Les Intellectuels québécois: formation et engagements, 1919-1939, Paris et Montréal, L'Harmattan, 1996, 537 p. Texte paru initialement, sous une forme légèrement modifiée, dans le numéro 7 des Cahiers

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