Christianisme

Beauté de la morale chrétienne
L'une des causes incontestables de l'originalité et de la force de la morale chrétienne, c'est le dogme sur lequel elle repose: dogme extraordinaire, qui embrasait l'âme en confondant la raison, et qui, plaçant en Dieu même le comble de l'amour et l'idéal du sacrifice, attirait l'homme à une vertu surhumaine par l'exemple du Sauveur, par la vertu d'un sang divin, par l'espérance d'une couronne sans prix.

Si quelque chose peut nous donner l'idée, ou plutôt le sentiment de la morale chrétienne et de singulière nouveauté, c'est la vie de son fondateur, vie si simple, si humble, si bienfaisante, si patiente, si éprouvée; mais surtout c'est sa mort, cette mort unique dont le témoignage est encore présent partout dans nos monuments, dans nos tableaux, dans nos maisons, et jusque dans nos ornements et nos parures. Je ne voudrais point renouveler le parallèle célèbre de Rousseau entre Jésus et Socrate, mais ce parallèle est si frappant et montre si bien le génie opposé de l'antiquité et du christianisme, qu'on ne peut y échapper. Des deux côtés, un procès inique et une mort injuste: mais ici, une apologie fière et doucement ironique, une captivité facile et presque volontaire, adoucie par la poésie, égalyée par la conversation: au dernier jour , un paisible débat sur les destinées de l'âme, et enfin, la mort accompagnée de sourire venant comme un sommeil, loin des pleurs de la famille et au milieu des consolations de l'amitié. En face de ce tableau, contemplez maintenant ce repas sévère et taciturne, où le maître se donne en sacrifice à ses disciplines, cette nuit d'angoisses et de prière au jardin des Oliviers, ce baiser de la trahison, cet amas d'injures, cette croix sanglante et déshonorante, ce supplice entre deux voleurs, cette mère en pleurs, cette dernière plainte, ce dernier pardon, enfin ce soupir suprême, si lentement et si douloureusement exhalé; scène incomparable, la plus grande sans doute qu'ait vue le monde, et que Platon semble avoir entrevue comme dans un rêve.

La Passion, qui est le mystère suprême dans le christianisme, indique assez que la vie de l'homme n'est qu'une passion, c'est-à-dire une douleur. Tandis que toute l'antiquité faisait consister le bien à ne pas souffrir, et invitait l'homme soit par la vertu, soit par le plaisir, à fuir la douleur, l'Évangile présente à l'homme la douleur comme un bien. La douleur est en quelque sorte divinisée, puisque Dieu lui-même a voulu souffrir, gémir, mourir.

Dans toutes les religions, il y a des préceptes en faveur des faibles, des malheureux, des opprimés. Mais il semble que toute la morale du christianisme soit faite pour ceux-là. «Heureux ceux qui pleurent!» est-il dit: mais ce n'est pas tout: «Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice... vous serez heureux lorsque les hommes vous maudiront et vous persécuteront! (Matth. V. 4, 11; Luc, VI, 21, 22)! Ainsi la douleur et l'injustice ne sont plus des maux qu'il faut écarter ou supporter, ou des choses indifférentes qui ne méritent point qu'on y pense: ce sont des biens qu'il faut rechercher, aimer et savourer; car la même doctrine, qui est une doctrine de douleur, est une doctrine de consolation: «Venez à moi, vous tous qui ployez sous le joug, je vous ranimerai. (Matth. XI, 28)».

PAUL JANET, Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale, tome I, Paris, Librairie Félix Alcan, 1887.

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HANS URS VON BALTHASAR, Le chrétien et l'angoisse, traduit de l'allemand par C. Champollion, Bruges, Desclée de Brouwer, 1954, p. 88.

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