Par-delà l’aide médicale à mourir

Richard Lussier

L’appellation aide médicale à mourir présente cette pratique comme un acte de compassion, mais en fait, on est en présence d’un acte médical qui consiste à aider des gens à se suicider ; un médecin, qui a prêté le serment de ne jamais provoquer la mort délibérément, enlève la vie à un malade. Qu’on ait légiféré pour rendre un tel acte légal ne change rien au fait qu’il s’agit bien d’une aide au suicide.

Lors de l’émission télévisuelle soulignant le vingtième anniversaire de Tout le monde en parle, le journaliste Patrice Lagacé qualifia l’aide médicale à mourir (AMM) « d’avancée civilisationnelle extraordinaire ». Tous les invités qui prirent la parole sur ce sujet ne tarirent pas d’éloges sur cette pratique. J’ai été surpris de constater cette unanimité. Ce consensus sur une question aussi fondamentale m’apparaît suspecte. On annonce pour l’automne 2024 une émission à Télé-Québec avec l’animateur Stéphan Bureau ; j’espère que cette émission, Une époque formidable, qui devrait aborder d’importants enjeux de société, permettra d’entendre un autre son de cloche que celui que j’ai entendu à Tout le monde en parle. Un débat sur cette pratique, sur sa légitimité rationnelle plutôt que juridique, sur son bien-fondé civilisationnel, est urgent.

Le courage de vivre
Que nous soyons abasourdis, voire, terrifiés, tétanisés de peur au pronostic d’un médecin qui nous annonce une maladie dégénérative, qui ne le comprendrait pas ? Mais je me demande si, parfois, nous ne nous faisons pas du cinéma « sur l’écran noir de nos nuits blanches », en hypertrophiant les maux d‘une éventuelle dégénérescence. Un livre lu il y a plusieurs années m’a amené à relativiser et à considérer que même des maladies qui m’apparaissaient terrifiantes, peuvent être supportables. Il s’agit du livre de Mitch Albom intitulé La dernière leçon. L’auteur y raconte les dernières années de la vie de Morrie Schwartz, un professeur universitaire d’origine juive qui aimait la vie, enseigner et danser. Son médecin lui apprend un jour qu’il est atteint de la maladie de Charcot, une maladie neurodégénérative grave. On lui apprend que bientôt, il ne pourra plus danser, enseigner, et qu’il va perdre son autonomie. Certains veulent se suicider pour moins que ça, comme ce militaire dans le film Il danse avec les loups, qui chercha à s’enlever la vie quand on lui annonça qu’on devait l’amputer d’une jambe. Pas Morrie. Il continua à faire tout ce qu’il pouvait faire tant qu’il le put, puis il accepta l’aide de ses proches quand il en devint incapable. Pourquoi, sachant tout ce qui allait lui arriver, décida-t-il de continuer de vivre ? C’est simple. Il aimait la vie, et tant qu’il lui en resta une parcelle, comme entendre les oiseaux chanter, il alla jusqu’au bout. Il le fit aussi par amour des autres. Professeur dans l’âme, il voulut donner une dernière leçon de vie à un ancien étudiant qu’il affectionnait, Mitch Albom. Il voulut lui enseigner, non en paroles, mais en acte, qu’on peut rester digne dans la maladie et la souffrance, que la vie est un combat et qu’il faut prendre son courage à deux mains pour la mener jusqu’au combat final, l’agonie, mot qui tire son origine du grec ancien agôn qui signifie justement combat. Leçon de vie, d’humilité et de foi, car Morrie répétait constamment ces paroles du poète Auden : « Aimez-vous les uns les autres, sinon vous êtes perdus ».

Les limites de la compassion
Je doute que l’AMM constitue un grand pas pour l’humanité, ou soit une « avancée civilisationnelle extraordinaire ». Je m’inquiète de voir nos dirigeants promulguer une loi mortifère qui décime ses citoyens ; c’est une première dans l’histoire de l’humanité. Peu de gens semblent se préoccuper du nombre exponentiel de gens qui la demandent et de son extension. Au Québec, on est passé de 6 cas en 2015 à 5211, de mars 2022 à mars 2023, et on plaide pour l’étendre aux personnes dont le seul problème médical invoqué est une maladie mentale. L’appellation aide médicale à mourir présente cette pratique comme un acte de compassion, mais cette dénomination n’est-elle pas trompeuse, voire racoleuse, car, en fait, on est en présence d’un acte médical qui consiste à aider des gens à se suicider ; un médecin, qui a prêté le serment de ne jamais provoquer la mort délibérément, enlève la vie à un malade ; une personne souffrante demande l’aide d’un médecin pour se suicider. Qu’on ait légiféré pour rendre un tel acte légal ne change rien au fait qu’il s’agit bien d’une aide au suicide.

Notre esprit oblitère la gravité du suicide et de l’euthanasie. Pourquoi ? Parce que nous n’y voyons que de la compassion à l’égard de la souffrance d’autrui, mais ne faudrait-il pas se demander si ce sentiment de compassion est toujours vraiment bénéfique ? Ne pas avoir assez de compassion est déplorable, mais se pourrait-il qu’en avoir trop puisse parfois être néfaste ? On doit soulager la souffrance, mais est-il sensé de tuer pour soulager la souffrance, alors qu’il y a une alternative comme les soins palliatifs ? J’entends souvent dire que l’AMM et les soins palliatifs (SP) s’équivalent plus ou moins, du moins quant à la sédation finale. C’est inexact. Dans le cas de l’AMM, il s’agit d’une injection létale qui met fin à une vie avant son terme naturel, alors que dans le cas des SP, il s’agit d’’une sédation profonde au terme naturel d’une vie humaine.

On me permettra de conclure par une question : où est donc passé le respect sacré pour la vie que nos ancêtres nous ont légué ?

Extrait

On me permettra de conclure par une question : où est donc passé le respect sacré pour la vie que nos ancêtres nous ont légué ?

À lire également du même auteur

Ne me farde pas la mort, mon noble Ulysse
L’euthanasie que nous pratiquons n’est pas eugénique ; c’en est une de compassion, mais on peut se demander si ce noble sentiment n’est pas aujourd’hui débridé. Aristote, qui définit le courage comme un juste milieu entre la lâcheté e

Dégénérations
À l’occasion du bel hommage que les collègues, anciens étudiants et amis ont offert au professeur de philosophie Daniel Tanguay à l’Université d’Ottawa en septembre 2024, on a fait référence à un de ses articles publié en 2003 dans la

Relations homme femme
Voici trois articles témoignant du désir des hommes de prendre la parole sur les relations homme femme.

Ernest Gagnon et l’âme du Canada français
Monsieur Bernard Cimon nous offre dans la collection Les archives de folklore des Presses de l’Université Laval, une œuvre érudite sur un personnage méconnu de notre histoire nationale, monsieur Ernest Gagnon ( 1834-1915 ).

Les illusions dangereuses, de Jean-Philippe Trottier
Jean-Philippe Trottier nous offre dans Les illusions dangereuses une œuvre intelligente, dense, virile, courageuse, nuancée, pondérée; une œuvre en quête de solutions pour extirper l’Occident des sables mouvants des idéologies modernes où i

Transmettre l'héritage des humanités gréco-latines
Vivement, les humanités gréco-latines pour former le jugement critique de nos jeunes !

Réflexion sur le film «Le temps d'un été»
Sorti en salles cet été, Le temps d’un été est un film aux belles qualités cinématographiques, mais qui se contente de perpétuer la grande entreprise de démolition du catholicisme héritée de la révolution tranquille tout en présentant u




Lettre de L'Agora - Printemps 2025

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué

  • Brèves

    La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – Chine: une économie plus fragile qu'on ne le croit – Serge Mongeau (1937-2025) – Trump: 100 jours de ressentiment – La classe moyenne américaine est-elle si mal en point?