Les abus des «prophètes de la chaire» dans l’enseignement supérieur

Marc Chevrier

Derrière l'œuvre de déconstruction à laquelle semblent se livrer les tenants des théories d'émancipation, c’est la possibilité et la valeur même de la science qui sont remises en question. La science, qui avait ses règles et ses critères, semble ainsi céder à un vertuisme manichéen et machinal, sur fond de panique victimaire.

Il est beaucoup question depuis plusieurs années déjà de la rectitude politique qui impose sa langue de bois, ses injonctions morales et ses interdits, non seulement dans la société, mais au cœur même des maisons d’enseignement. Le phénomène s’est amplifié avec la propagation de nouvelles théories ou doctrines d’émancipation, le décolonialisme, le postcolonialisme, le néoféminisme, l’« intersectionnalité », de multiples autres théories radicales de justice sociale qui ont déferlé dans les universités et imposé leurs mots d’ordre, qui vont jusqu’à vouloir recomposer le langage et défaire les sexes. Derrière cette œuvre de déconstruction à laquelle semblent se livrer les tenants de ces théories avec frénésie, c’est la possibilité et la valeur même de la science qui sont remises en question. La science, qui avait ses règles et ses critères, semble ainsi céder à un vertuisme manichéen et machinal, sur fond de panique victimaire. Plusieurs voient même dans la conjonction de ces théories qui aspirent à tout déconstruire et d’une militance tonitruante et souvent intimidante une forme de religion, tel que le wokisme venu des États-Unis et sujet de vifs débats en fournirait un exemple frappant.

Mais justement, comment saisir ce qu’il y a proprement de religieux dans ces discours et ces postures morales qui enflamment plusieurs esprits ? C’est un peu ce que j’ai tenté de faire dans ce texte publié à l’hiver 2023 dans une revue de philologie roumaine, à la suite d’un colloque tenu en 2021, coorganisé par l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue avec l’université technique Cluj-Napoca, située au nord de la Roumanie. J’y reprends la célèbre critique que le sociologue allemand Max Weber avait faite des « prophètes de la chaire » qui trahissaient leur vocation de savant dans les universités de son temps. Or, Weber avait déjà largement réfléchi sur la figure du prophète dans la religion juive et avait considéré le magistère prophétique dans plusieurs autres de ses travaux. C’est donc en connaissance de cause qu’il a pointé du doigt ces prophètes salariés par l’État qui abusaient de leur autorité pour berner la jeunesse avide d’idéal et empiéter sur les terres du politique et du réformateur religieux. De plus, en relisant Weber, on voit aussi comment les prophètes de la chaire caricaturent en quelque sorte la figure même du prophète dans la tradition juive, dont Weber reconnaissait les qualités éthiques et intellectuelles. Après avoir fait cette excursion dans la pensée de Weber, j’essaie d’expliquer pourquoi les sciences, en particulier les sciences sociales et la philosophie, ont offert un terreau fertile aux prophéties en chaire, habillées sous des dehors théoriques divers. J’y explique notamment comment la quête absolue de justice a remplacé celle de la vérité dans ces disciplines et comment la posture prophétique s’est confondue avec cette quête.

En cliquant sur le lien ci-bas indiqué, vous accéderez directement à l’article — en français — en version PDF : http://bslr.ubm.ro/files/2022/24.Chevrier_Marc_BSLR_2022.pdf

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