Des reliques et des objets jetables
La relique est par excellence l’objet durable, si bien qu’elle pourrait servir de modèle à tous ceux qui rêvent d’en finir avec les objets jetables.
Dans Le Devoir du 5 octobre 2021, excellent article de Jean-Lou David sur les reliques : Le cœur supplicié de Monseigneur Racine.[1] Ce dignitaire, mort en 1888, fut le premier évêque de Chicoutimi…et un saint pour ses ouailles. On a donc conservé son cœur dans un reliquaire. Un citoyen du lieu vient de jeter ce trésor à la poubelle après l’avoir volé dans cette indifférence générale qui est la marque de nos rapports avec les objets, tous ou presque jetables. Le simple bon sens devrait nous persuader de leur donner longue vie, mais le bon sens est inopérant. Faudrait-il donc en faire des reliques ?
Bien que né dans un village catholique fortement imprégné de la dimension populaire de cette religion, j’avoue n’avoir jamais eu le culte des reliques. Étais-donc plus moderne et protestant que catholique? Sans m’intéresser sérieusement à cette question, j’ai longtemps cru qu’il s’agissait là au mieux d’une tradition qui ne fait de mal à personne, au pire d’une superstition dont les commerçants font trop bon usage. C’est la thèse que défend Calvin dans son Traité des reliques.[2]
Au Moyen Age, il arrivait souvent que des villages entiers se déploient autour de reliques. Ce fut le cas à Conques, en Aveyron, il y a plus de mille ans, suite au vol de reliques du crâne de sainte Foy dans une église abbatiale d’Agen, ville où la jeune femme avait subi le martyre à l'âge de douze ans en 303. Un tel vol, qui devait comporter sa part de risques, faisait la gloire de son auteur, le moine Ariviscus, en l’occurence. On appelait ce crime pieux translation furtive; furtive, mais éclatante dans le cas des reliques de Conques, car elle fit, par les miracles qui en résultèrent dans l’église abbatiale du lieu, la fortune du village. Conques était appelé à devenir une étape importante sur le Chemin de Compostelle[3], ce sanctuaire qui fait apparaître tous les chrétiens d’Europe comme des oiseaux migrateurs[4] attirés par des reliques.
La relique est présente dans divers cultes et dans de grandes religions dont le catholicisme, le bouddhisme et l’islam. Elle est unique, et intiment liée à un être vénéré, déjà entré dans l’éternité par sa sainteté et son importance dans l’histoire des peuples; elle relève de cet animisme que l’on peut réduire à un rapport au monde primitif et désuet mais aussi interpréter comme une forme d‘incarnation au sens large du terme : le souffle et le rayonnement de l’esprit à travers la matière. Vue sous cet angle, la relique, fût-elle un morceau de chiffon, est elle-même une présence vivante qui donne la vie, les symboles vivant de la même vie que les mots et les notes dans un poème ou une mélodie inspirés. [5]
Il y a de tout dans l’histoire des reliques, on ne saurait toutefois nier qu’elles témoignent pour les prophètes, lessaints et les sages, de la part d’humains de tous les horizons, de cette admiration aimante, naïve, confiante, durable appelée vénération. Quel nom donner à l’admiration actuelle pour les célébrités du sport ? Engouement, cette « admiration vive et subite, et le plus souvent éphémère, pour quelqu'un ou pour quelque chose» ? Le choix entre l’être et faire, l’accomplissement et la performance, est ici en cause. Et ce choix détermine notre rapport aux objets
La sacralisation du plastique par la science
L’absurdité de ce rapport saute aux yeux dans le cas du plastique : après un usage le plus souvent déraisonnable : par exemple fabriquer des jouets toxiques ou emballer des aliments que l’on pourrait vendre en vrac, il poursuit indéfiniment une carrière funeste dans les océans. Il dure pour détruire, ce qui fait regretter les vases en terre cuite des anciens.
Or il se trouve que le cycle du carbone à l’origine du plastique est une chose aussi merveilleuse que les plus beaux mythes : le soleil produit, par la photosynthèse dans les plantes, du carbone qui sera enfoui dans le sol sous forme de charbon, de pétrole et de gaz. Nous aurions de la vénération pour les moindres objets de plastique, ils deviendraient des reliques à une condition : accueillir les fruits de la Terre comme des dons précieux du passé plutôt que de les revendiquer comme des droits illimités qui vampirisent l’avenir. La connaissance de la genèse des métaux leur conférerait le même caractère sacré, comme au vieil anneau de fer, objet du dernier regard du naufragé :
Il sent s'ouvrir sous lui l'ombre et l'abîme, et songe
Au vieil anneau de fer du quai plein de soleil !
Hugo
[1] https://www.ledevoir.com/opinion/idees/637899/libre-opinion-le-coeur-supplicie-de-monseigneur-racine
[2] https://museeprotestant.org/notice/jean-calvin-traite-des-reliques-1543/
[3] ttp://agora.qc.ca/documents/naissance_et_tradition_du_pelerinage_de_saint_jacques_de_compostelle
[4] http://agora.qc.ca/documents/le_chemin_etoile
[5] Le miracle de sainte Foy réside dans l’insécable unité du reliquaire et de la relique qui lie l’éblouissement de la contemplation à l’âme même de la personne vénérée, ainsi qu’au message spirituel qu’implique le nom de ‘’ Foi ‘’.
Témoin d’un culte populaire et local devenu universel, la statue de la Majesté de sainte Foy unit dans un symbole tout ce que l’Histoire, l’anthropologie et la mystique nous révèlent de l’âme humaine en quête de son salut. Elle le cherche et le trouve dans la foi en la beauté et dans la beauté de la foi au Salut offert par le Christ.
Ce reliquaire est à la relique ce que l’âme du violon est à la sonate d’un Haydn et la jubilation à l’adagio d’un Mozart. Où serait l’esprit sans la lettre ou sans le corps ? Le reliquaire tient à la relique comme la peau au corps. La statue reliquaire de la Majesté de sainte Foy de l’abbaye de Conques n’est pas une pièce de musée, mais un objet de culte du Trésor Ecclésiastique de la basilique du Saint-Sauveur et de Sainte-Foy, au sens même de la loi de 1905.
https://www.art-roman-conques.fr/reliquaire-foy.html