Soleil
Par Laurent Drissen, astrophysicien de l'Université Laval. Ce passage est tiré de Chroniques des années lumière.
La naissance du Soleil
Le Soleil est né, avec son cortège de planètes, il y a 4,57 milliards d'années, de la contraction gravitationnelle d'un nuage moléculaire. Son âge est déterminé assez précisément grâce à différentes méthodes, entre autres par hélioséismologie (analyse des modes de vibration du Soleil) et par l'analyse isotopique des météorites.
S'est-il formé tout seul, à partir d'un petit nuage ou. au contraire, en groupe, à la suite de l'effondrement d'un plus gros nuage? Le processus de contraction gravitationnelle d'une étoile s'étend sur plusieurs millions d'années. Il n'est donc pas question pour les astronomes d'observer ce phénomène dans le cas d'une étoile en particulier. Cependant, la présence dans notre environnement proche de centaines de régions de formation stellaire à divers stades évolutifs nous permet d'en retracer les différentes étapes de manière très précise. La nébuleuse d'Orion est un excellent exemple de nuage moléculaire ayant donné naissance, depuis environ 5 millions d'années, à des centaines d'étoiles. Les images et les spectres d'Orion et de régions semblables de la Voie lactée et des galaxies voisines obtenues depuis quelques années à différentes longueurs d'onde nous permettent d'établir un scénario assez détaillé du processus de formation stellaire. L'hypothèse d'une naissance isolée est maintenant presque complètement oubliée, car à la fois les observations et les modèles théoriques suggèrent fortement que la quasi-totalité des étoiles se forment en groupe.
Aïvazovski, La baie de Naples au clair de lune, Gallerie d'art Aïvazovski, Théodosie, Ukraine
Le jeune Soleil dans un amas
Dans le cas du Soleil en particulier, deux observations nous permettent de contraindre la masse et la dimension de l'amas dans lequel il s'est formé:
[ ] D'une part, l'analyse de la composition chimique des météorites et, en particulier, l'abondance de certains isotopes comme le "°Fe, révèle que la jeune nébuleuse proto-solaire a été polluée par l'explosion en supernova d'une étoile très proche ayant une masse d'environ 20 fois celle du Soleil avant même que celui-ci ne soit complètement formé. Cette hypothèse, qui date de la fin des années 1970, a été corroborée depuis par de nombreux travaux. La distribution du nombre d'étoiles en fonction de leur masse (la fonction de masse initiale), qui est assez universelle, indique que la masse totale de l'amas qui contenait ces deux étoiles (le jeune Soleil et l'étoile massive mourante) était d'environ 1000 masses solaires.
[ ] D'un autre côté, la présence d'un système planétaire assez, bien structuré actuellement indique que l'amas ne devait pas être trop dense, sinon le passage trop rapproché d'autres étoiles (à moins de 100 unités astronomiques) aurait considérablement perturbé la nébuleuse proto-solaire au point qu'il ne resterait plus de matériel à partir duquel former des planètes. Si une telle rencontre s'était produite alors que les planètes étaient déjà formées, les orbites de celles-ci seraient fortement perturbées en introduisant des inclinaisons (par rapport au plan de l'écliptique) qui ne sont pas observées. Par contre, les orbites de nombreux objets de la ceinturede Kuiper (Pluton, Éris et autres) sont anormales et suggèrent le passage d'une étoile à une distance d'environ 1000 unités astronomiques. Ces deux faits permettent de contraindre la densité de l'amas (en termes de nombre d'étoiles par unité de volume): on parle d'environ 1000 à 3000 étoiles à l'intérieur d'un rayon de 2 à 8 années-lumière, ce qui est typique de ce qu'on appelle les amas ouverts. Les Pléiades en sont un très bon exemple visible à l'œil nu.
De ces simples observations, il est donc possible de déterminer la vitesse de déplacement des étoiles les unes par rapport aux autres. H est aussi possible de conclure que l'amas était trop peu massif et dense pour que les étoiles restent liées gravitationnellement les unes aux autres bien longtemps, si bien que l'amas dans lequel le Soleil s'est formé s'est dissous assez rapidement après la formation des dernières étoiles, il y a plus de quatre milliards d'années.
Les frères et sœurs du Soleil?
Le Soleil et ses frères se sont donc séparés alors qu'ils étaient très jeunes et ont continué leur petit bonhomme de chemin en rotation autour du centre de la Voie lactée pendant presque 5 milliards d'années. Ces étoiles ont effectué 27 tours de piste depuis leur naissance, parmi des milliards d'autres étoiles. Comment peut-il rester le moindre espoir de retracer la présence de la fratrie du Soleil?
C'est justement l'objectif des simulations numériques présentées dans ce récent article. La clef du problème vient du fait que les vitesses relatives des étoiles de l'amas, aléatoires, sont très faibles (de l'ordre de quelques kilomètres par seconde) par rapport à leur vitesse globale de rotation autour du noyau de la Voie lactée (220 km/s), vitesse qu'avait au départ le nuage moléculaire à partir duquel les étoiles se sont formées.
On connaît très bien la distance actuelle entre le Soleil et le centre de la Voie lactée, de même sa vitesse (en 3 dimensions) de déplacement. En passant le film à l'envers, on peut alors déterminer l'endroit où le Soleil st né ainsi que ses paramètres orbitaux (vitesse de rotation), car on connaît précisément son âge. Les frères et sœurs du Soleil ont aussi commencé leur vie au même endroit et avec la même vitesse globale à laquelle s'ajoute une posante aléatoire de quelques km/s. En faisant évoluer ce groupe virtuel de quelque 2000 étoiles, connaissant les conditions initiales de densité et de vitesses mentionnées plus haut, il est possible de déterminer globalement le volume à l'intérieur duquel on a des chances de les retrouver aujourd'hui. Les simulations numériques montrent qu'entre 1% et 8% des membres de la fratrie du Soleil (entre 10 et 160 étoiles) se situent aujourd'hui à moins de 300 années-lumière de nous. Et entre 15% et 60% d'entre elles se retrouvent à moins de 3000 années-lumière de nous.
Quelques aiguilles dans une botte de foin
Mais, dans un rayon de 300 années-lumière de la Terre, il y a des millions d'étoiles. Alors, comment reconnaître nos semblables? Autant chercher une aiguille (ou, dans ce cas-ci, plusieurs aiguilles) dans une botte de foin! Deux indices sont cependant là pour nous guider :
[ ] Les étoiles que nous cherchons possèdent les mêmes propriétés cinématiques que le Soleil. Le télescope européen Gaia, qui sera mis en orbite en 2012 à bord d'un vaisseau Soyouz, vise justement à cartographier précisément, en trois dimensions, une partie importante de la Voie lactée: ceci permettra de déterminer les propriétés cinématiques d'un milliard d'étoiles autour de nous et ainsi d'identifier, assez facilement, celles qui partagent avec le Soleil des propriétés qu'elles ont acquises lors de leur naissance.
Il n'est donc pas interdit de croire, contrairement à ce que j'ai dit lors de cette conférence à Moncton, que nous puissions identifier quelques-uns des frères et sœurs du Soleil au cours des prochaines années. Imaginez si en plus 1 une d'entre elles était accompagnée d'un cortège de planètes !