Scientisme

Le scientisme est une croyance qui consiste à reporter sur la science les principaux attributs de la religion. C'est le biologiste Félix le Dantec qui lança ce mot dans un article paru en 1911 dans la Grande Revue. «Je crois à l'avenir de la Science : je crois que la Science et la Science seule résoudra toutes les questions qui ont un sens ; je crois qu'elle pénétrera jusqu'aux arcanes de notre vie sentimentale et qu'elle m'expliquera même l'origine et la structure du mysticisme héréditaire anti-scientifique qui cohabite chez moi avec le scientisme le plus absolu. Mais je suis convaincu aussi que les hommes se posent bien des questions qui ne signifient rien. Ces questions, la Science montrera leur absurdité en n'y répondant pas, ce qui prouvera qu'elles ne comportent pas de réponse. »

«Selon le dictionnaire philosophique Lalande, les mots scientisme et scientiste (l'adepte du scientisme) désignent 1-soit l'idée que la science fait connaître les choses comme elles sont, résout tous les problèmes réels et suffit à satisfaire tous les besoins légitimes de l'intelligence humaine, 2- soit, moins radicalement, l'idée que l'esprit et les méthodes scientifiques doivent être étendus à tous les domaines de la vie intellectuelle et morale sans exception.»

La fin du XIXe siècle et le début du XXe auront été la belle époque du scientisme.
Voici la conception que s'en faisait en 1911, le philosophe Jules de Gaultier. «Plus ou moins avoué, le scientisme implique les postulats suivants : que le monde est un tout donné, que le jeu phénoménal est compris. dans un circuit fermé, que tout est donc calculable, que l'esprit scientifique ne doit pas désespérer de capter dans ses formules l'énigme apparente de l'univers, qu'il n'y a pas d'inconnaissable. Subsidiairement ces postulats impliquent d'autres croyances : la croyance au mieux, à l'homme plus heureux par la possession plus complète des lois de la nature, la croyance à la substitution possible des méthodes scientifiques aux religions et aux morales, soit la croyance à la solution rationnelle du problème moral. Ainsi la croyance scientiste répète la somme des pétitions qui composent le programme de l'espérance humaine sous ses formes messianiques et morales. Elle restitue, en fin de compte, parmi les perspectives d'un développement inappréciable en durée, le thème du rêve toujours renaissant et qui jamais n'aboutit de la conscience humaine en quête de futurs meilleurs, de ce rêve dont un brusque éveil ne brise jamais l'élan parce qu'il est sans doute l'une des formes que prend, dans le champ de la conscience, l'énergie vitale elle-même. Par là, la croyance scientiste relève, parmi les catégories philosophiques, de celles que j'ai nommées, philosophies de l'Instinct vital : comme les diverses religions, comme les diverses philosophies spiritualistes, elle a pour effet de donner aux hommes des raisons de vivre, de fomenter l'intrigue et les prétextes du jeu phénoménal, de faire croire pour faire agir. Elle ne recherche pas, comme les philosophies de l'Instinct de connaissance, la connaissance pure et simple, mais elle recherche la connaissance en vue d'un but. Il ne s'agit pas pour le scientisme de connaître comment les choses se passent pour le savoir, à la façon dont Socrate avant de mourir apprenait une chanson, mais de connaître pour agir. La connaissance n'est pas ici une catégorie, un mode de la vision, elle est un mode, un ressort de l'action, elle est un moyen pour un but, elle suppose l'existence du but, elle implique finalisme. L'organisation scientifique de la vie, qui est l'un des voeux souvent énoncés du scientisme, suppose en effet que la vie comporte un but, que ce but est donné et qu'il est connaissable; car on n'organise qu'en vue d'une fin. Le scientisme implique donc finalisme, finalisme au sens le plus métaphysique. Il suppose en fin de compte, dissimulée sous mille réticences, cette hypothèse que la vie a une fin prédéterminée, un sens, une direction connaissable et que l'organisation scientifique de la vie consisterait, après avoir distingué cette direction, à y pousser l'humanité. Or aucune conception n'est plus contraire à l'esprit scientifique que cette croyance en un finalisme métaphysique. C'est purement et simplement un acte de foi et le scientisme relève, sous ce jour, d'une croyance idéologique comme les diverses religions relèvent de la croyance théologique. C'est une croyance parce qu'aucun de ces postulats - le monde tend vers une fin - tout est connaissable - ne peut être démontré. Mais c'est de plus une croyance déraisonnable parce qu'elle prétend se fonder sur la raison, sur les formes de notre faculté de comprendre, et que ces formes nous montrent l'expérience, le devenir de l'existence se développant parmi les perspectives indéfinies du temps, de l'espace et de la cause, insaisissables donc dans leur totalité, échappant nécessairement à l'étreinte du savoir. Les scientistes ne reconnaissent comme fondement du savoir que deux principes, la raison et l'expérience, c'est là leur méthode, - elle est excellente, mais ils font en matière philosophique le pire usage, invertissant l'ordre logique de ces deux principes,, soumet- tant l'expérience à la raison, afin de réaliser avec les formes rigides de la raison telle qu'ils l'imaginent cette systématisation complète de l'existence qui légitimerait dans un avenir plus ou moins lointain la proposition du scientisme : Tout est connaissable. Tout est connaissable et comme corollaire : ``Il n'y a que de l'inconnu et point d'inconnaissable`` »

Jules de Gaultier, Revue philosophie de la France et de l'étranger, 1911.

Articles


Scientisme et pragmatisme

Jules de Gaultier
Au moment où Jules de Gaultier a écrit cet article, le pragmatisme et le scientisme étaient les sujets de l'heure. Felix le Dantec venait de forger le mot scientisme et au même moment les travaux de William James sur le pragmatisme paraissaient e

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