Essentiel
«Il y a toujours eu des rebelles. Mais le monde actuel leur réserve une place toute particulière. À l'époque de la modernité, le rebelle apparaissait très en retrait par rapport au révolutionnaire: il était réputé manquer de claire conscience idéologique, et préférer aux stratégies longuement réfléchies le jeu désordonné des réactions instinctives. Aujourd'hui que la modernité s'achève, il retrouve toute sa place. La mondialisation fait en effet de la Terre un monde sans extérieur, un monde sans autrui, qu'on ne peut plus attaquer à partir d'un au-delà de lui-même. Un tel monde n'est pas tant voué à l'explosion qu'à la dépression implosive. Le rebelle est adapté à ce monde, précisément parce qu'il anime des réseaux et propage ses idées de façon virale. En ce sens, il est lui aussi une figure postmoderne, mais une figure d’opposition. Dans un monde de plus en plus homogène, il est la singularité même. Il est un point opaque dans un monde voué à la transparence totalitaire, un sujet demeuré réel dans un monde d'objets virtuels, un séditieux par excellence dans un monde policé devenu policier. Un étranger qu'on pourrait exclure à bon droit au nom de la lutte contre l'exclusion s'il ne s'était d'emblée exclu lui-même. C'est pourquoi, d'une certaine façon, l'avenir appartient à la pensée rebelle, à cette pensée qui dessine des clivages inédits, esquisse une topographie nouvelle, préfigure un autre monde. Car l’histoire, toujours, demeure ouverte.»
Robert de Herte,
Des rebelles (
Éléments, no 101, mai 2001)