Pudeur
«Certes si vous étiez des dieux, vous pourriez avoir honte de vos vêtements.» (Nietzsche). La pudeur serait donc selon Nietzsche le respect du sentiment de la beauté chez autrui. Si Vénus nue est parfaitement belle, Vénus est pudique. Comme la parfaite beauté est l’exception, le vêtement est la règle. Les gestes intimes de l’amour doivent demeurer intimes pour les mêmes raisons. S’ils enferment de la beauté, cette beauté n’existe dans sa plénitude que pour le regard des amants l’un vers l’autre. De manière analogue, les aveux précipités, les mystères objectivés sont une atteinte au sentiment de vérité, d’intégrité, d’authenticité que nous devons autant que possible inspirer à autrui.
Comme nous le rappelle Jean-Marie Domenach, «tout n'est pas communicable n'importe comment, à n'importe qui, n'importe quand. Il est des savoirs d'un autre ordre que ceux de la science : ils relèvent de l'initiation; ils exigent une discrétion, une retenue. "Ce qui nous appartient en propre demande à être appris, aussi bien que ce qui est étranger", a écrit Hölderlin. Ce qui est propre doit être appris d'autant plus que les canaux de la tradition sont remplacés par les médias. Or ce savoir, le plus profond, le plus fragile, est aussi le plus nécessaire: c'est celui de la langue maternelle, de l'amour, de la souffrance et de la mort, c'est le savoir de la famille et de la patrie, que n'enseigne aucune école, aucune encyclopédie. Ce savoir-là exige une communication personnelle, douce et effectivement retenue, car il retient ce qu'il délivre. Maintenir le proche à la fois dans la proximité et dans l'éloignement, c'est ce qui s'appelle la pudeur. Écoutez Heidegger commentant Hölderlin:"La pudeur est un savoir; elle sait que l'origine ne se laisse pas immédiatement reconnaître..."» (Jean-Marie Domenach, «La pudeur est un savoir», dans À temps et à contemps, Paris, Éditions Saint-Paul, 1991, p. 108-109)