Philosophie de l'histoire

 

Il existe une philosophie de l'histoire spéculative qu'il faut distinguer de la réflexion philosophique sur l'histoire. «La philosophie de l'histoire spéculative, écrit Maurice Lagueux, se donne pour objet de réflexion rien moins que l'histoire entendue au sens de cheminement de l'humanité à travers les siècles, par opposition à cette philosophie de l'histoire moins prétentieuse qui se contente de réfléchir sur l'histoire entendue au sens de discipline scientifique pratiquée par les historiens. Bien sûr, les philosophes qui se sont référés si hardiment à l'histoire de l'humanité étaient-ils redevables à leurs collègues historiens de leur connaissance de cette histoire, mais leur projet explicite était de rendre compte de cette réalité historique elle-même et non de réfléchir sur la pratique ou les méthodes des historiens. Ce sont d'autres philosophes, davantage préoccupés par les questions reliées à l'acquisition de la connaissance - lesquelles, on le sait, ont occupé, au moins depuis les Grecs, une place privilégiée dans la réflexion philosophique -, qui se sont penchés sur la façon dont les historiens ont pu développer le savoir qui leur est propre et conférer un certain statut scientifique à une discipline qui, il faut en convenir, ne ressemble guère aux autres sciences. Le questionnement épistémologique suscité par le fonctionnement original de cette science atypique a ainsi donné lieu à de nombreux travaux qui ont abondamment alimenté un type fort différent de philosophie de l'histoire. C'est ainsi que dans le monde germanique, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, une philosophie critique de l'histoire, dont Raymond Aron s'est fait en France à la fois l'interprète et le brillant continuateur, s'est donné pour tâche l'analyse des aspects proprement philosophiques des questions assez variées que soulève la pratique des historiens. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, c'est principalement dans le monde anglophone que s'est développée une philosophie analytique de l'histoire où furent abondamment discutées les multiples implications philosophiques qui tiennent à ces particularités de la science historique. Ces deux traditions sont à l'origine d'une vaste littérature qui a fait de la philosophie de l'histoire une branche remarquablement dynamique de la pensée épistémologique au XX` siècle.»

Source: Actualité de la philosophie de l'histoire, Les Presses de l'Université Laval, Québec, 2001.

Essentiel

Outre les déterminants extérieurs (biologiques, économiques, etc) peut-il y avoir à l'oeuvre dans l'histoire, un principe, analogue à ce qu'est la grâce pour les chrétiens dans la vie personnelle, tel que les civilisations qui s'en inspireraient pourraient échapper à une décadence qui semble être la loi? (J.D.)

***

Ich lebe mein Leben in wachsenden Ringen,
die sich über die Dinge ziehn.
Ich werde den letzten vielleicht nicht vollbringen,
aber versuchen will ich ihn.

Ich kreise um Gott, um den uralten Turm,
und ich kreise jahrtausendelang;
und ich weiß noch nicht: bin ich ein Falke, ein Sturm
oder ein großer Gesang.

Rainer Maria Rilke
Aus dem Stundenbuch, erschienen 1905
Du Livre des heures, paru en 1905

Enjeux

«Les philosophies de l'histoire comme celles de Bossuet et de Hegel ont leur fondement dans une théologie de l'histoire, plus précisément dans une certaine interprétation de l'idée chrétienne de Providence. On en trouve l'ébauche dans l'oeuvre de Joachim de Flore.

On prétend alors pouvoir adopter le point de vue de Dieu lui-même pour lire le sens de l'histoire à travers les lignes de l'histoire observée. Même lorsqu'on exclut la possibilité de se mettre à la place de Dieu, comme c'est le cas pour Condorcet et qu'on voit l'histoire comme un produit de l'action humaine, on est encore indirectement tributaire de la théologie.

Les philosophies de l'histoire sont tombées progressivement en discrédit au cours du XXe siècle, après avoir connu leur apogée au XIXe siècle. Quand on pense aux atrocités dont l'Europe chrétienne s'est montrée capable et à ce que sont devenues les lendemains qui chantent des marxistes, on comprend qu'il en ait été ainsi. Karl Popper a même considéré les philosophies de l'histoire, qu'il assimile à l'historicisme comme les causes du totalitarismes.

Cet excès dans l'interprétation des faits que sont, vue sous cet angle, les philosophies de l'histoire, n'allait-il pas inciter les historiens à revenir au fait brut: César a franchi le Rubicon en 56 ?

Qu'importe dira Lucien Febvre, de l'École des Annales, que César ait franchi le Rubicon, ce qui intéresse l'historien c'est qu'il ait par ce geste défié Pompée et provoqué une guerre civile qui allait porter un coup mortel à la République romaine.

Le travail de l'historien implique donc de multiples interprétations s'articulant entre elles dans une narration. Cette narration consiste-t-elle à dégager une trame présente dans la réalité? Est-elle plutôt une construction? L'une et l'autre thèse a ses défenseurs. «Pourquoi faudrait-il penser que la matière première de l'historien soit une poussière totalement amorphe de faits purement ponctuels ou bien une structure narrarive qui traverserait l'histoire de part en part et qu'il ne resterait qu'à dégager de sa gangue?» Il y a heureusement un juste milieu, qu'illustrent au XXe les travaux de Fernand Braudel.

Le juste milieu semble bien être aussi la voie royale entre les deux conceptions du temps historique: le temps linéaire et le temps cyclique, le premier illustrée par la Bible, le second par la tradition gréco-romaine. Marc-Aurèle résume bien cette tradition quand il écrit: «Quand on voit ce qui est maintenant, on a tout vu, et ce qui s'est passé depuis l'éternité et ce qui se passera jusqu'à l'infini, car tout est pareil, en gros et en détail.» L'histoire n'est manifestement ni une marche en avant parfaitement continue, ni un inlassable retour au même. Dans les temps modernes, on verra apparaître, à côté des conceptions purement linéaires comme celle de Condorcet ou purement cycliques comme celle de Spengler, des conceptions comme celles de Saint-Simon et d'Auguste Comte où une perception cyclique de la perception des événements vient se greffer sur une conception linéaire de la temporalité historique.»

Si décriée qu'elle ait été au XXe siècle, la philosophie de l'histoire refait surface dans l'un des ouvrages marquants de la fin de ce même siècle: La fin de l'histoire et le dernier homme de Francis Fukuyama. C'est le néo-libéralisme cette fois qui se prête au jeu de la grande vision d'ensemble après avoir longtemps laissé l'exclusivité de cette prétention au socialisme.

«Il semble bien, qu'il serait illusoire de penser que puisse jamais être exorcisée de notre univers mental la volonté de comprendre l'évolution du monde qui nous entoure en s'appuyant sur la conviction plus ou moins nette que quelque chose d'essentiel est en voie de se réaliser dans l'histoire.» (J.D.)

Résumé de Actualité de la philosophie de l'histoire, par Maurice Lagueux, Les Presses de l'Université Laval, Québec, 2001. Les passages entre guillemets sont de l'auteur.

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