Pensée

« Qu'est-ce que la pensée ? Platon l'a très bien défini: "un dialogue invisible et silencieux de l'âme avec elle-même"Invisible et silencieux. Secret. Ce qu'on appelle la vie intérieure, c'est cette vie secrète qui, de prime abord, je dis bien de prime abord, on va en reparler, sinon il n'y aurait pas d'ambiguïté, est dissimulée à l'autre, opaque à l'autre. Il y a une sorte de sphère invisible qui m'entoure et où nul ne pénètre sauf par effraction, et est-ce que ce n'est pas là le grand privilègede l'être humain ? Dans les périodes les plus difficiles de l'histoire de l'Humanité, par exemple la fin de la Cité Grecque Antique, ou l'effondrement de l'Empire Romain, on s'aperçoit qu'au moment où les hommes éprouvent douloureusement leur impuissance à l'égard de leur destin, des philosophes vont tenter de sauvegarder la dignité humaine en invitant l'homme à se replier sur son for intérieur, for, forum en latin, le lieu où l'on parle, le lieu où l'on se parle à soi-même. Ce sont les Stoïciens. ces directeurs de conscience dans l'Antiquité grecque, dans l'Antiquité romaine, à des moments de crise de l'Histoire, nous demandent deconquérir une liberté purement intérieure, inviolable,"inexpugnable" dit Sénèque. En nous détachantde tout ce qui ne dépend pas de nous, c'est à dire toutesles choses, aussi bien la richesse, les honneurs, l'amitié, la santé...la vie, et en ne nous attachant qu'à ce qui dépend de nous.Et qu'est-ce qui dépend de nous ? Non pas les choses, mais l'opinion que nous avons des choses, la valeur que nous leur attachons. Montaignea très bien résumé cela : "Les choses ne sont de soi ni bien ni mal, elle sont la place du bien et du mal selon que vous la leur faites". Le for intérieur. L'homme moderne s'est insurgé d'abord contre cette sagesse stoïcienne, résignée disait-il, et avec Descartes, lui a opposé une autre ambition, la volonté de nous rendre (célèbre phrase) "comme maître et possesseur de la nature"; une volonté depuissance sur mon destin. Mais, aujourd'hui, nous sommes quand même revenus des illusions de cette volonté de puissance, et parmi les ruines de certaines de nos illusions et de nos espérances, illusionstechnologiques mais aussi espérances idéologiques et historiques, nous retrouvons une actualité du stoïcisme. »

Source: De l'ambiguïté ontologique du secret à son ambivalence éthique, communication de Lucien Guirlinguer, Président de la société angevine de philosophie, chargé de conférence à la faculté de médecine d'Angers.
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« Pour Heidegger (Essais et conférences), penser c'est rester dans le sillage du questionnement et de la contemplation de l'être. En ce sens, pour lui, la science ne pense pas. »
heraclitea.com (lien désactivé)
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Ibn Khaldun: «En réalité, dit-il, le seul moyen naturel d'atteindre la vérité est la disposition naturelle de penser, lorsqu'elle est débarrassée de toutes les fausses idées et quand celui qui pense place toute sa confiance dans la miséricorde divine. La logique n'est rien d'autre qu'une description de l'action de penser et dans la plupart des cas la suit.»
cité par Abdesselam Cheddadi dans l'article Ibn Khaldun, ©UNESCO, reproduit dans le document associé: «Ibn Khaldun et l'éducation»

Enjeux

La pensée ne consiste pas dans les conquêtes de l'esprit, dans les connaissances accumulées, mais dans le processus même de la vie s'explorant elle-même. Chacun d'entre nous, peut-être, en serait capable, mais d'être chercheur ou savant ne le garantit en aucune manière. Il y a tant de façons d'échapper au silence nécessaire à cette rentrée en soi-même et de fuir la solitude qui est la compagne obligée et féconde de celui qui a entrepris d'approfondir sa propre vie. La télévision et les journaux ne sont pas le seul moyen qu'emprunte l'homme de ce temps pour se fuir lui-même. La compilation des données scientifiques, avec ou sans ordinateur, n'est souvent qu'une autre manière, individuelle ou collective, d'échapper à l'ennui, ou de consacrer fébrilement le présent à préparer le futur de la carrière. L'appétit effréné des informations, et des connaissances scientifiques détourne aussi sûrement de soi-même que le mépris de la connaissance.

Par-delà le triomphalisme de la science et les avidités thésaurisatrices de la raison discursive, peut-être pouvons-nous, tâche difficile entre toutes, entreprendre de retrouver les chemins perdus de la pensée, qui «ne mènent nulle part» (c'est-à-dire aux «sources»). Nous y ferions sans doute, avec un étonnement ancestral, la rencontre d'Héraclite d'Éphèse.


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Alain: « Il faut que la pensée délivre le corps et le rende à l'Univers »

« L'État devrait tenir école de sagesse comme de médecine. Et comment? Par vraie science, qui est contemplation des choses, et poésie grande comme le monde. Car la mécanique de nos yeux, qui se reposent aux larges horizons, nous enseigne une grande vérité. Il faut que la pensée délivre le corps et le rende à l'Univers, qui est notre vraie patrie. Il y a une profonde parenté entre notre destinée d'homme et les fonctions de notre corps. L'animal, dès que les choses voisines le laissent en paix, se couche et dort; l'homme pense; si c'est une pensée d'animal, malheur à lui. Le voilà qui double ses maux et ses besoins; le voilà qui se travaille de crainte et d'espérance; ce qui fait que son corps ne cesse point de se tendre, de s'agiter, de se lancer, de se retenir, selon les jeux de l'imagination; toujours soupçonnant, toujours épiant choses et gens autour de lui. Et s'il veut se délivrer, le voilà dans les livres, univers fermé encore, trop près de ses yeux, trop près de ses passions. La pensée se fait une prison et le corps souffre; car dire que la pensée se rétrécit et dire que le corps travaille contre lui-même, ce qui est dire la même chose. L'ambitieux refait mille fois ses discours, et l'amoureux mille fois ses prières. Il faut que la pensée voyage et contemple, si l'on veut que le corps soit bien.

À quoi la science nous conduira, pourvu qu'elle ne soit ni ambitieuse, ni bavarde, ni impatiente; pourvu qu'elle nous détourne des livres et emporte notre regard à distance d'horizon. Il faut donc que ce soit perception et voyage. Un objet, par les rapports vrais que tu y découvres, te conduit à un autre et à mille autres, et ce tourbillon du fleuve porte ta pensée jusqu'aux vents, jusqu'aux nuages, et jusqu'aux planètes. Le vrai savoir ne revient jamais à quelque petite chose tout près des yeux; car savoir c'est comprendre comment la moindre chose est liée au tout; aucune chose n'a sa raison en elle, et ainsi le mouvement juste nous éloigne de nous-mêmes; cela n'est pas moins sain pour l'esprit que pour les yeux. Par où ta pensée se reposer dans cet univers qui est son domaine, et s'accordera avec la vie de ton corps qui est liée aussi à toutes choses. Quand le chrétien disait: "Le ciel est ma patrie", il ne croyait pas si bien dire. Regarde au loin. »

ALAIN, Propos sur le bonheur, Paris, Éditions Gallimard, 1928, 218 pp. Numérisé par Robert Caron et disponible sur le site des Classiques des sciences sociales (Université du Québec à Chicoutimi)

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