Oscar Vladislav de Lubicz Milosz

1877-1939
«Né dans la Lituanie historique en 1877, O. V. de L. Milosz passa son enfance dans le domaine ancestral, une enfance chargée de rêves et peuplée de fantômes.

Les Milosz descendent d’une noble lignée. Leurs ancêtres régnèrent sur la Lusace serbe, un des foyers alchimiques du Moyen Age. Ils s’établirent plus en Lituanie où le Grand Duc leur accorda la qualité de boyards. Le bisaïeul du poète, Joseph Milosz, était, au XVIIIe siècle, porte-glaive de Kovno. Son grand-père Arthur fut un des héros d’Ostrolenka. Celui-ci épousa une belle gênoise, et son fils s’allia à une jeune fille d’origine juive. C’est entre une mère effrayée et un père terrible que grandit le poète enfant.

Vers 1889, il fut emmené à Paris, où tous restèrent dorénavant, sauf des séjours d’été en Lituanie. M. Milosz fit ses études au Lycée Janson. Il aima Lamartine, Edgar Poe, Baudelaire. Il s’initia ensuite, par Eugène Ledrain, aux écritures assyriennes, araméennes et hébraïques, menant par ailleurs la vie de bohème. Il coudoya dans les cafés Stuart Merrill, Raymond de la Tailhède, Paul Fort, Oscar Wilde, Moréas, qui essayait d’attirer dans les filets de « l’École Romane » le très jeune nouveau-venu qui lui montrait ses vers.

En 1899, parut Le Poème des Décadences, puis, en 1906, Les Sept Solitudes. Il y célèbre tour à tour le désir à jamais insatisfait, la douceur ou la violence des amours désabusées, l’orgueil de l’esprit et la volupté de la tristesse…

Libre et riche depuis la mort de son père, excédé surtout d’une existence dont le vide lui apparaissait, M. Milosz passa les années suivantes à voyager par toute l’Europe.

Il connaît les principaux auteurs français, anglais, allemands, russes et polonais, qu’il est capable d’assimiler dans le texte même. Il connaît parfaitement les littératures anciennes. La Bible et Platon sont restés ses livres de chevet. Ses admirations ne vont qu’aux grands inspirés : il conçoit tout en hauteur; l’art seul, l’intelligence seule, ne lui suffisent point, et l’on pourrait dire de lui qu’il n’est pas «artiste», ou plutôt que son art, très instinctif, très personnel, ne procède que de la flamme et de la musique intérieure. Jamais il ne décrit ou ne fait voir, alors qu’il fait entendre et sentir l’inexprimable.

À la culture littéraire il ajouta bientôt l’étude des œuvres de la métaphysique allemande. Les mystiques et les hermétiques, qu’il a connus plus tard, n’ont su que lui confirmer une intuition certaine.

En 1910, M. Milosz publie L’Amoureuse Initiation, un roman, si l’on peut appeler roman un récit touffu, bizarre, débordant de sèves et de truculences, qui rappelle par instants Casanova, mais où la poésie la plus lyrique chante en des pages ravissantes. À propos de ce livre, M. René Prat nous donne la « clef d’or » qui permet de comprendre le poète : même dans le roman, il pense et crée sur trois plans, parle sur trois registres et les mêle. Il révèle ce qu’il y a à la fois d’humainement personnel, de spirituel et de divin en nous.

Les Éléments, une nouvelle plaquette de vers, parurent peu après. Le poète essaie de la discipline de l’alexandrin : cela enrichira sa poésie, d’essence toujours supérieure, mais jusqu’ici d’expression inégale.

Miguel Manara, drame en six tableaux, est l’histoire de la conversion de Don Juan. C’est la fin sanctifiée de Don Miguel Manara Vicentelo de Leca, qui fait la grandeur de cette figure mystique.

Méphiboseth est un drame biblique, surhumain. Le personnage de Méphiboseth, fils de Jonathan fils de Saül, y paraît et reparaît comme le leitmotiv d’une action à la fois humaine et divinement symbolique, dont les héros sont le roi David et Bethsabée.

David a causé la mort d’Urie en l’exposant dans un combat pour épouser Bethsabée, la femme qu’il entendit chanter au fond du soir, et qu’il trouva belle et désirable. Il a commis un crime, mais il sait qu’il n’est que l’instrument imparfait d’une loi supérieure. Il faut que ces choses s’accomplissent; il faut que de Bethsabée naisse un enfant, chaînon nécessaire à cette race dont la fleur sera Jésus.

1924 marque une date capitale dans la vie de M. Milosz. Il perd sa fortune confisquée par la révolution bolchévique; il est mobilisé dans les divisions russes de l’armée française. Il servit la France, sa patrie intellectuelle, avant de défendre les intérêts de la patrie de ses ancêtres comme représentant diplomatique de Lituanie à Paris.

Son évolution mystique s’accentue. M. René Prat fait remarquer que L’Épître à Storge fut conçue et publiée en même temps que la Théorie de la Relativité, en 1916-1917. Deux hommes avaient en même temps l’intuition de la Relativité universelle.

Dans l’étude qu’il consacre à Euréka, M. Paul Valéry conclut par cette affirmation que « l’univers échappe à l’intuition ». L’espace, chez Poe, reste infini, alors que chez Milosz, en ne faisant qu’un avec le temps et l’univers matériel illimité-fini, il n’existe que du fait d’une coexistence, et reconstitue ainsi sa trinité Une. L’Épître à Storge apporte donc un démenti à M. Paul Valéry.

[…] M. Milosz a réuni, sous le titre d’Ars Magna, L’Épître à Storge, et quatre poèmes en prose, Memoria, Nombres, Turba Magna et Lumen, qui en sont le développement nécessaire.

Pour finir, [… évoquons] la poésie mystique de M. Milosz. Car, dans la poésie magique des cinq parties d’Ars Magna, la science prime la sensibilité. Ces poèmes mystiques, publiés depuis 1915, permettent de même de suivre la montée spirituelle de leur auteur. Les Symphonies bruissent du souvenir tendre et douloureux de son enfance.

« Est-ce vrai », s’écrie-t-il.

Que tout cela fût moins que l’éclair de la guêpe
Dans le vent, que le son de la larme tombée sur le cercueil,
Un pur mensonge, un battement de mon cœur entendu en rêve?
Seul, devant les glaciers muets de la vieillesse, seul
Avec l’écho d’un nom!…

Dans Nihumin sa pensée a pris un essor qui va jusqu’au seuil de l’inconnaissable. Le verbe y est « dématérialisé »; il se libère de la matière par son ailé frémissement. D’autres poèmes parlent encore de souffrance humaine, mais La Confession de Lemuel, le Psaume de la Maturation, Le Cantique de la Connaissance, perdant contact avec la terre, nous entretiennent de Dieu.

… Tu m’as fait naître dans un monde qui ne te connaît plus, sur une planète de fer et d’argile, nue et froide,
Au milieu d’un grouillement de voleurs abîmés dans la contemplation de leur sexe.

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Je fus voyageur en ces terres du nocturne fracas où, seuls parmi les choses physiques,
L’amour furieux et la lèpre du visage baignent leurs maudites racines.
J’y ai mesuré, ver aveugle, les sinuosités d’une ligne de ta main. Ce pays de la nuit dense comme pierre,
Ce monde de l’autre Étoile du matin, de l’autre Fils, de l’autre Prince, c’était ta main fermée. Cette main s’est ouverte et me voici dans ta lumière…

La Veillée de Noël de l’adepte est un étrange dialogue devant le fourneau alchimique où s’accomplit au sens spirituel une transmutation miraculeuse. Le Psaume du Roi de Beauté nous introduit par l’arche du symbole poétique dans la Sifra Zeniouta

Deux hérédités rattachent le poète aux sources parallèles des poètes sacrés de l’Ancien Testament ou Isaac Loria, le kabbaliste, comme aux mystiques chrétiens de l’époque médiévale. Pour mieux comprendre son œuvre, il faudrait l’initiation ésotérique. Elle nous déroute parce que, relevant des plus antiques traditions, elle mène où nul n’est allé, et jusque dans un lointain avenir. Mais cette forme imprécise ou puissante, cette pensée qui nous livre des jardins vierges et qui plane, vertigineuse, sur une sensibilité à vif, nous resteront-elles pour cela fermées, alors qu’à travers le demi-mensonge d’une traduction on commente l’œuvre de M. Milosz en Espagne et en Allemagne? (analysé d’après René de Prat, Revue européenne, 1er septembre 1925)»

«Les poètes contemporains: O. V. de L. Milosz», Chronique des lettres françaises, 4e année, no 21, mai-juin 1926, p. 373-377 (publication du domaine public)

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