Vidocq Eugène-François

1775-1857
"Vidocq, fameux aventurier contemporain, longtemps chef de la brigade dite de sûreté, à Paris, naquit le 25 juillet 1775, à Arras, où son père était boulanger et jouissait d’une certaine aisance. Un beau jour, d’après les conseils d’un vaurien de ses camarades, il vola dans le comptoir paternel une somme de 2000 francs, avec laquelle il comptait gagner Ostende et s’embarquer pour l’Amérique. Mais en route il fut dépouillé de cet argent par d’autres malfaiteurs pendant un sommeil d’ivresse. Après avoir longtemps erré avec une bande de vagabonds, puis avoir rempli le rôle de paillasse sur les tréteaux d’un charlatan ambulant, l’excès de sa misère le détermina à implorer le pardon de ses parents; et il revint alors à Arras. Quand éclata la révolution, il s’engagea; mais il ne tarda pas à déserter aux Autrichiens. Condamné à recevoir la bastonnade, il abandonna les rangs ennemis, et vint se réfugier, comme déserteur belge, sous le drapeau français. Il ne tarda pas à déserter de nouveau, et s’en retourna à Arras, où il inspira une vive passion à la sœur d’un nommé Chevalier, l’un des acolytes de Lebon. Il l’épousa; mais convaincu ensuite de l’infidélité de sa moitié, il l’abandonna un beau matin pour s’engager dans le bataillon de volontaires d’Arras, qui à quelque temps de là s’en alla tenir garnison à Bruxelles. Incorporé ensuite dans ce qu’on appelait l’armée roulante, ramas de prétendus officiers sans troupes ni brevet, il parcourut alors, en compagnie de joueurs et d’escrocs, les principales villes de la Belgique, puis, d’aventure en aventure, s’en vint à Paris, où il commit force vols et escroqueries. Il était difficile qu’à ce jeu-là il ne se brouillât pas avec la justice, qui, toute boiteuse qu’elle est, finit par le prendre et le condamner à huit ans de travaux forcés pour faux. Après six ans de séjour au bagne de Brest, séjour qui acheva son éducation et le mit en rapport avec force malfaiteurs de haut parage, il réussit à s’évader. Il rôda alors tantôt dans les départements, tantôt à Paris, ici colporteur, là courtaud de magasin, et pendant longtemps travaillant du métier de tailleur, mais toujours en relations plus ou moins directes avec des malfaiteurs. Enfin, il se lassa de cette vie, et se laissa enrégimenter dans la police de sûreté de la capitale. Le préfet, appréciant les services que pouvait rendre un tel agent, le plaça, en 1810, à la tête d’une brigade dite de sûreté et composée de condamnés libérés à qui un séjour plus ou moins long dans les prisons avait fourni, comme à leur chef, l’occasion de connaître le personnel de malfaiteurs alors en exercice. Grâce à l’habile organisation de la brigade de sûreté, la police put, dans le courant d’une seule année, mettre la main sur plus de sept cents forçats évadés ou en rupture de ban et débarrasser la capitale de ces hôtes dangereux. Dans ses Mémoires Vidocq repousse avec indignation le soupçon d’avoir jamais fait de la police politique. Quoi qu’il en ait pu être, toujours est-il qu’en 1818 il fut complètement grâcié. « Personne, dit de lui un biographe, dans les fonctions, plus difficiles qu’on ne pense, d’agent secret, n’avait encore réuni au même degré la présence d’esprit, l’adresse manuelle, la finesse d’intelligence, la force du corps, l’intrépidité, l’activité, l’élocution facile et triviale qui est l’éloquence du peuple, la faculté de se grimer, et enfin, pour nous servir de ses expressions, cet œil qui dindonne le voleur. » Primitivement la brigade de sûreté ne fut composée que de quatre hommes : ce nombre, successivement porté à huit, à douze, à dix-huit, arriva en 1824 à vingt-huit. Toutefois, jamais cette partie du service ne coûta au delà de 50 000 francs. Les appointements de Vidocq n’étaient que de 5000 francs par an; mais il avait en outre ce qu’en termes d’argot administratif on appelle le tour du bâton, profits illicites et secrets, autrement importants que les émoluments officiels. La nature de ses fonctions devait naturellement rendre Vidocq le point de mire de bien des haines. On alla jusqu’à l’accuser de monter des coups, d’organiser des vols, pour se donner le facile mérite de surprendre les malfaiteurs sur le fait et prouver ainsi sa vigilance et son habileté. Ce sont là de ces accusations plus faciles à avancer qu’à appuyer de preuves probantes. Quelques habitués des bagnes essayèrent maintes fois, devant la cour d’assises, de se poser en victimes de Vidocq, et prétendirent n’avoir fait que céder à ses instigations. La justice et le jury ne tinrent jamais aucun compte de ces allégations. Cependant, vint le moment où la police trouva que cet agent la compromettait plus qu’il ne pouvait désormais la servir. En 1825 Vidocq fut donc remplacé par un individu du nom de Coco-Lacour et d’antécédents à peu près analogues.

Le chef de la brigade de sûreté avait trop fait parler de lui pour que sa mise à la retraite ne fût pas un événement. Longtemps donc encore après, on s’occupa dans la presse des moindres faits et gestes de Vidocq. C’est ainsi qu’on nous apprit qu’il avait établi, dans une petite propriété qu’il possédait à Saint-Mandé près Vincennes, une fabrique de papiers gaufrés et de carton, et que, Cincinnatus d’une nouvelle espèce, il demandait désormais à l’industrie et au travail des consolations pour ses grandeurs passées. Dans l’exercice de ses fonctions, Vidocq avait pu amasser une petite fortune; mais plus tard, dit-on, il la compromit dans quelques spéculations hasardées. C’est ainsi qu’il perdit beaucoup d’argent à vouloir fabriquer un papier défiant et rendant même impossible la coupable industrie des faussaires. On prétendit encore, dans le temps, qu’il avait été le seul bailleur de fonds d’une spéculation sur la braise des boulangers de Paris, accaparée par un industriel de bas étage, assez habile pour revendre 200 000 fr. son marché à des tiers restés inconnus. Ceux-ci avaient cru être en mesure d’augmenter le prix de la braise de 25 pour 100, parce qu’ils étaient maîtres des produits de toute la fabrication; mais ils n’avaient pas calculé qu’en se tassant cette marchandise s’écraserait et se réduirait en poussière. De là l’impossibilité de la prendre chez le producteur pour la transporter et l’emmagasiner au loin. Vidocq fut-il ou ne fut-il pas dans cette fameuse affaire de la braise? C’est là une question que nous laisserons volontiers à éclaircir aux historiens futurs de la commandite.

Un fait plus certain, c’est qu’ennuyé de son far niente, Vidocq imagina, vers 1836, de fonder à Paris, sous le nom de bureau de renseignements, une espèce de contre-police. La spéculation consistait à fournir au commerce, moyennant redevance, des renseignements confidentiels sur la conduite de clients suspects et de surveiller dans l’ombre des opérations commerciales qui trop souvent ne sont que de l’escroquerie pratiquée sur une large échelle. Cette concurrence faite à la police officielle blessa les susceptibilités de celle-ci, qui fit intenter un procès au fondateur du bureau de renseignements. Un jugement en ordonna la fermeture; Vidocq comprit que la lutte qu’il essayait d’engager était celle du pot de terre contre le pot de fer. Il se retira donc en Belgique, où il est mort, en 1857 [N. de l'É.: on sait ajourd'hui qu'il est mort à Paris]. On a de lui des Mémoires (Paris, 4 vol, 1828) dont il a fourni le fond, mais qu’une plume plus exercée a brodés assez agréablement. À côté de beaucoup de faits de pure invention, on y trouve de curieux détails sur quelques-uns des principaux drames judiciaires du temps."

William Duckett (dir.), Dictionnaire de la conversation et de la lecture. Tome seizième (Saxophone-Zymôme). Deuxième édition refondue, revue et augmentée. Paris, Aux comptoirs de la direction, chez Michel Lévy, frères, 1858, p. 881-882.

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