Enthousiasme
Par Jean Onimus
« Enthousiasme, Oh! mot aux grandes ailes, mot affolant qui fait battre le cœur à grands coups, mot qui enlève, exalte, emporte, arrache vers les étoiles ce qu’il y a de plus beau, de plus pur en nous.
Sur quelque objet qu’il se pose, toujours pareil à lui-même, il est vraiment le propre de l’homme, c’est par lui que ce dernier touche le divin, c’est la grâce de Dieu qui se manifeste en lui.
Vivre sans enthousiasme, quel malheur! Avoir 20 ans sans sentir auprès de soi cet archange aux grandes ailes qui contemple sans cesse le ciel, prêt à prendre l’essor!
Phèdre, Phèdre[2] vous dis-je! C’est le plus beau livre qui soit sorti de la main des hommes. Il déçoit? Mais non! Il ne déçoit que les cœurs faibles car il s’appuie sur l’éternel. Il faut aller à lui en pleine confiance et l’aimer comme la Beauté. Je l’aperçois comme un prodigieux électroaimant qui, à travers les siècles, draine les hommes vers Dieu. Songe aux enthousiasmes des générations passées, à ces enthousiasmes morts, toutes ces générosités, tous ces élans disparus avec les siècles.
Bleus ou noirs, toujours aimés, toujours beaux,
des yeux sans nombre ont vu l’aurore.
Oh qu’ils aient perdu leur regard?…
Non, non cela n’est pas possible.
Ils se sont tournés quelque part,
vers ce qu’on nomme l’invisible…
Ouverts à quelque immense aurore,
de l’autre côté des tombeaux,
les yeux qu’on ferme voient encore.
L’enthousiasme rend tremblant et hors de soi, il élargit les yeux et transfigure le regard, il bouleverse jusqu’aux entrailles comme un grand vent. L’âme résonne sous sa rafale comme la cime des arbres sous le mistral et toutes les fibres de sa forêt secrète s’agitent en une immense et prestigieuse harmonie : c’est ainsi que je voudrais vivre, vivre pleinement, largement, dressant toute entière ma lyre au vent. Toutes voiles dehors, sous le zéphyr ou sous la tempête, emporté dans la joie vers quelque immense aurore qui, tout au long du jour pour quelqu’un qui sait voir, a chanté la splendeur infinie de la Création. Car l’enthousiasme, c’est sa raison d’être, finit en un acte d’adoration à deux genoux.
Adieu! »
Jean Onimus
Extrait de lettre à ses parents (1930)
Période parisienne