Effronterie

L'effronté selon Théophraste.
[L'effronterie, pour la saisir en une définition, consiste à n'avoir cure d'une réputation honteuse, en ne visant que le seul profit]*. L'effronté est du genre, d'abord, à se rendre chez celui-là même qu'il ne rembourse pas, pour lui demander un emprunt. Il est homme, ensuite, à dîner chez autrui après avoir offert un sacrifice dont il a fait retirer les viandes pour les mettre en saumure. Il appelle son serviteur et lui donne la viande et le pain qu'il a chipés sur la table, en disant à la cantonnade : «Régale-toi, Tibios !».
En faisant ses courses, il rappelle au boucher qu'il lui a rendu service et, debout près de la balance, y jette de préférence un morceau de viande ou, à défaut, un os pour le bouillon : s'il a pu en attraper, tant mieux, sinon, il chipe sur le comptoir un peu de tripes et se débine en riant.
A-t-il acheté un billet de théâtre pour des hôtes, il va au spectacle avec eux sans payer sa part, et le lendemain, il y conduit même ses enfants et leur surveillant. Quelqu'un rapporte-t-il des marchandises achetées à bon prix, notre homme demande à en avoir sa part lui aussi. Allant chez son voisin emprunter de l'orge, et parfois de la paille, il contraint de surcroît le prêteur à les lui apporter à domicile.
Il est bien capable, aux bains, de s'approcher des chaudrons d'eau chaude, d'y plonger l'aiguière malgré les cris du maître-baigneur, de s'en asperger lui-même et de dire en partant que le voilà tout baigné +et là-dessus+ «pas de merci pour toi !».

THÉOPHRASTE, Les Caractères (1 à 9), Nouvelle traduction annotée
par Marie-Paule LOICQ-BERGER (janvier 2002),  Chef de travaux honoraire de l'Université de Liège.

 

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