Cyborg
De nombreux scientifiques, dont plusieurs sont à l’origine de l’ordinateur et d’Internet, ont tantôt réclamé, tantôt proclamé l’avènement d’une nouvelle espèce — appelons-la l’homme branché ou le cyborg —, qui marquerait une nouvelle étape de l’évolution, un progrès par rapport à l’homo sapiens. Branchés en permanence sur des tours de contrôle, comme les cosmonautes, bardés de prothèses électroniques comme les soldats américains, ou gavés de prothèses chimiques comme les athlètes professionnels, nous serions supérieurs à l’homme d’hier et des origines qui, dans la lutte pour la survie, ne pouvait miser que sur ses sens, son jugement personnel et ses muscles. Il était autonome, mot qui signifie littéralement avoir sa loi en soi-même. Le cyborg est hétéronome, sa loi est hors de lui, il est pris en charge par d’autres, par diverses industries, dont celle de la publicité.
Nous disons aujourd’hui : deux mille ans après Jésus-Christ. En l’an 4000, on dira peut-être : deux mille ans depuis le cyborg. Un jour devait venir où l’homme, greffé à ses propres inventions, constituerait à ses propres yeux une nouvelle espèce, supérieure à l’animal doué de raison qu’il avait été jusque-là. Cette nouvelle espèce a un nom : cyborg, diminutif de cyber organisme. On lui a déjà consacré des thèses et des manuels scolaires et de nombreux savants contemporains, parmi les plus influents, ont dit l’enthousiasme et l’espoir que ce nouvel homme leur inspirait. Dans son édition du 25 mai 1998, le Time Magazine présentait diverses photos de cyborgs sous le titre général de techno sapiens. L’une des photos montre une étudiante du MIT Medialab faisant l’essai de divers capteurs ou senseurs (sensors) destinés à la renseigner sur ses émotions. Serait-elle, sans le savoir, ou plutôt sans le sentir, en proie à un stress excessif, à la colère, à la peur, ou au contraire éprouverait-elle une joie dont elle ne jouirait pas pleinement, faute d’en avoir suffisamment conscience? Son portable le lui dira une fois qu’il aura interprété les données provenant des senseurs. La substitution des senseurs aux sens et de l’ordinateur à la pensée autonome est l’un des signes auxquels on reconnaît le cyborg.