Bourreau

Enjeux

"Que l'homme, au cours des siècles, a été cruel pour l'homme coupable, c'est-à-dire en somme pour l'homme malade! L'imagination des assassins est généralement faible. Presque tous les crimes se ressemblent. L'Anglais Quincey a écrit un livre bizarre: L'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts; dans cet art, l'originalité n'est pas commune. Mais les bourreaux; quels créateurs dans la démence tortionnaire! Ce sont eux, en vérité, dirait-on, qui inventèrent la chirurgie, mais une chirurgie bénévole, une chirurgie pour le plaisir. On prisait beaucoup, jadis, chez un bourreau l'art de charcuter longtemps un condamné sans le faire mourir; il devait aussi connaître certaines pratiques propres à raviver le malheureux, s'il venait à perdre connaissance. Mme de Sévigné disait qu'une séance de torture cela faisait passer une heure ou deux. Charmante sensibilité féminine! Mais que l'on songe à ce que cela devait être qu'une séance de torture pendant une ou deux heures! Tallemant des Réaux raconte que le bourreau d'Angers, sous Louis XIII, donna sa démission parce que dans ce pays-là on n'appréciait pas les «œuvres délicates», c'est-à-dire les délicieux raffinements qui faisaient panteler la chair endolorie pendant une heure ou deux. À l'écartèlement de Damiens, une tendre spectatrice s'écria: «Ces pauvres chevaux, comme ils ont du mal!»

Évidemment, et depuis seulement un siècle, nos mœurs, au moins nos mœurs judiciaires, se sont adoucies. (...)"

source: Remy de Gourmont, "La peine de mort", Promenades philosophiques. Deuxième série. Reproduit à partir de la dixième édition, Paris, Mercure de France, 1925, p. 206-207

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