Masaccio, peintre de San Giovanni di Valdarno

Giorgio Vasari

Extraits d'une traduction nouvelle de la vie de Masaccio di San Giovanni di Valdarno pittore, par Giorgio Vasari, auteur des Vite de’ piu eccellenti Pittori, Scultori et Architettori. D'après l'édition Giuntana de 1568 disponible sur le site de l'École Normale Supérieure de Pise.

La Nature a pour coutume, lorsque survient une personne qui excelle dans une profession de faire apparaître un autre concurrent de talent, en même temps et au même endroit, pour la raison qu'ils peuvent s'inspirer et s'encourager mutuellement. Ce qui a pour avantage, outre ce que cette coïncidence apporte aux deux concurrents, d'accroître leur ascendant sur les générations futures d'artistes qui dépenseront ingéniosité et industrie pour acquérir la glorieuse réputation dont on ne saurait passer une journée sans louer les maîtres anciens. Et ceci est vrai car Florence a produit à la même époque Filippo (Brunelleschi), Donato (Donatello), Lorenzo (Ghiberti), Paolo Ucello et Massacio, chacun excellent artiste dans leur genre, et qui contribuèrent à dépasser la manière grossière et rude qui s'était maintenue jusqu'à leur époque. La magnificence de leurs ouvrages eut une telle influence sur leurs successeurs que les techniques propres à chaque métier atteignirent cette grandeur et cette perfection que l'on peut voir à notre époque. Nous sommes redevables à ces précurseurs de nous avoir montré la voie vers le grand art: et quant à la bonne manière de peindre, à Massacio en particulier, car le premier, il perçut que la peinture est simplement la contrefaçon de toutes choses vivantes, et l'art d'imiter leurs couleurs et leur dessin et que le meilleur peintre est celui qui parvient à reproduire le plus fidèlement ce qu'il voit. Masaccio qui avait compris cela, peut être compté, grâce à ces continuelles études, parmi les pionniers qui ont nous ont débarrassés de la manière rude, imparfaite et difficile qui entravait l'art de peindre. Partant de ce principe, il conféra à ses personnages de belles attitudes, du mouvement, de la fierté et de la vie, un relief propre et naturel à ces figures, ce qu'aucun peintre n'était parvenu à faire avant lui.

Parce qu'il était doué d'un jugement très sûr, il reconnut que les figures qui ne posaient pas pied sur le sol, mais qui étaient comme sur la pointe des pieds, manquaient complètement de réalisme dans les parties importantes et que la couleur indiquait clairement un manque de connaissance de la perspective chez ceux qui les avait peintes. Bien que Paolo Ucello ait tenté avec quelque succès de pallier cette difficulté, Masaccio introduisit de nouvelles techniques et accomplit des raccourcis, vus sous tous les angles, mieux que quiconque ne l'avait fait avant lui. Ses peintures étaient d'une grande douceur et harmonieuses, accompagnant les tons de chairs des visages et des corps dénudés des teintes des drapés qu'il dessinait à l'aide de quelques plis larges et généreux, comme ils apparaissent naturellement. Ce qui fut d'une grande utilité pour les artistes et ce qui fait que Masaccio peut en être considéré comme l'inventeur. En vérité les oeuvres réalisées avant lui peuvent se réclamer du titre de peintures, mais les siennes possèdent de la vie, sont vraies et naturelles par comparaison avec celles des autres.

Masaccio est originaire de Castello San Giovanni di Valdarno et l'on dit que l'on peut encore y voir des figures peintes lorsqu'il était dans sa prime jeunesse. Il était distrait et absent d'esprit, tel une personne dont l'esprit et la volonté sont entièrement et uniquement tournées vers l'art, peu préoccupé par sa propre personne, encore moins par celle d'autrui. Il ne prêtait aucune attention aux préoccupations et aux biens de ce monde, même à la manière de se vêtir et il ne se souciait jamais de recouvrer quelques créances à moins d'être dans le plus grand besoin. Ainsi, au lieu de se faire appeler par son vrai nom, Tommaso, tout le monde l'appelait Masaccio. Non pas parce qu'il fut méchant ou vicieux, puisqu'il était la bonté même; bien qu'extrêmement négligent, il aimait néanmoins rendre service ou faire plaisir à autrui.

Masaccio commença à peindre à l'époque où Masolino da Panicale travaillait dans la chapelle Brancacci de l'église des Carmine à Florence. Bien qu'il pratiquât un art différent, il tentait le plus possible de suivre les traces de Filippo (Brunelleschi) ou de Donato (Donatello), et d'exprimer dans son art la vie et le mouvement les plus naturels possibles. Son dessin et sa peinture étaient d'une telle modernité et d'une telle originalité qu'on peut les comparer favorablement au dessin et aux coloris des ouvrages de notre époque. Il s'appliqua avec avec le plus grand soin à l'étude de la perspective, discipline dans laquelle il atteint un haut niveau d'excellence comme en fait foi une scène qu'il peignit et qu'on peut voir aujourd'hui dans la maison de Ridolfo del Ghirlandaio. Dans cette peinture, où il a representé le Christ délivrant un homme possédé par le démon, on voit des édifices dessinés selon les règles de la perspective; il nous fait voir simultanément l'extérieur et l'intérieur du bâtiment, ayant choisi de placer son regard à l'endroit le plus difficile à reproduire. Masaccio fit également un peu plus grand usage du nu et des figures montrées en raccourci, ce qu'on avait peu eu l'occasion de voir avant lui. Il travaillait avec facilité, et ainsi que je le disais précédemment, ses drapés étaient d'une grande simplicité.

Il y a un panneau peint à la détrempe par Masaccio qui représente Notre Dame sur les genoux de Sainte Anne tenant son Fils dans ses bras; ce tableau se trouve aujourd'hui à Sant'Ambrogio à Florence, dans la chapelle près de la porte qui conduit au parloir des soeurs. Et dans l'église de San Niccolo sopr' Arno se trouve une Annonciation, avec les anges et Notre Dame, sur lequel il a peint un bâtiment décoré de plusieurs colonnes habilement dessinées selon les lois de la perspective. Outre sa parfaite maîtrise de la ligne, il fit preuve d'une grande virtuosité en fait de perspective en atténuant les tons comme si l'édifice disparaissait de notre vue petit à petit. Dans une abbaye à Florence, au creux d'une niche surmontant un pilier opposé aux piliers supportant l'arche du grand autel, il a peint une fresque de saint Yves de Bretagne, qui est montré vu de dessous avec les pieds représentés en raccourci. Cela n'avait jamais été tenté avec autant de succès auparavant et lui valut les critiques les plus élogieuses. En-dessous de saint Yves, au-dessus d'une autre corniche, il représenta les veuves, les orphelins et les mendiants auxquels le saint prodigua son aide.

Autres articles associés à ce dossier

À lire également du même auteur

Leon Battista Alberti, architecte florentin
Traduction nouvelle de la vie de Leon Battista Alberti, architetto fiorentino, par Giorgio Vasari, a

Giorgione de Castelfranco, peintre vénitien
Traduction nouvelle de la vie de Giorgione da Castelfranco pittore viniziano, par Giorgio Vasari, au

Sandro Botticelli, peintre florentin
Traduction nouvelle de la vie de Sandro Botticelli pittore fiorentini, par Giorgio Vasari, auteur de




Articles récents