Les Ursulines de Québec. Espaces et mémoires
Les Ursulines de Québec Espaces et mémoires1
par Christine Cheyrou, directrice et conservatrice du Musée des Ursulines de la ville de Québec.Un compte-rendu de Hélène Laberge
Les Ursulines de Québec Espaces et mémoires1
par Christine Cheyrou, directrice et conservatrice du Muse des Ursulines de la ville de Québec,
Un compte-rendu de Hélène Laberge
Ce livre est le fruit de sept ans de travaux menés par Christine Cheyrou avec la collaboration de l’historien Julien Mercure-Gauvin, des Ursulines et des équipes du Musée des Ursulines de Québec et des archives de leur monastère.
Dans son Avant propos, Christine Cheyrou nous indique la genèse de cette œuvre : « L’idée de ce livre nous a été suggérée en 2010 par René Bouchard alors directeur du patrimoine et de la muséologie au ministère de la Cuture, des Communications et de la Condition féminine du Québec. Il travaillait avec son équipe à l’élaboration d’une nouvelle Loi sur le patrimoine culturel (…) Plusieurs articles étaient consacrés à la définition et à la reconnaissance du patrimoine immatériel comme entité à part entière du patrimoine culturel du Québec »
Ce patrimoine immatériel de Marie Guyart, dite Marie de l’Incarnation,2 s’est incarné dans un monastère et un couvent construits près du fleuve et situés dans ce qu’on appelle maintenant le vieux Québec. Les espaces et mémoires de ce livre relatent magnifiquement la croissance de cette œuvre au fil des siècles.
Les Ursulines méritent de partager avec Champlain les Augustines et les Jésuites le titre de fondatrices de la Nouvelle-France. Leurs lettres et leurs écrits constituent des mémoires précieusement conservés dans leurs Annales qui relatent, non seulement les événements survenus à l’intérieur de leur communauté mais également tous ceux qui concernaient la vie de la colonie à ses débuts.
« Depuis 375 ans la mémoire des Ursulines de Québec se nourrit et se reconstitue par des récits, des traditions et des valeurs autour d’un événement : l’arrivée des premières Ursulines en Terre d’Amérique. Les fondatrices disparues, des lieux, des archives, des livres des objets, prestigieux ou modestes, ont pris le relais des anciennes mères; telles des reliques que l’on touche et que l’on vénère, ils agissent encore aujourd’hui comme des ‘’diffuseurs de mémoire’’ » page 29.
Arrêtons-nous au récit de l’arrivée des Ursulines en Nouvelle-France :
« Lorsque Marie de l’Incarnation et ses compagnes débarquent le 1er août 1639 au pied du Cap Diamant, (…) elles sont attendues par les autorités civiles et religieuses, accompagnées des habitants de la ville ». Elles sont reçues officiellement par le gouverneur de la Nouvelle-France Charles Huaut de Montmagny, et son discours de bienvenue marque le sérieux et l’importance de leur projet dans le développement de la fragile colonie française.
Ce discours est parvenu jusqu’à nous malgré le terrible incendie qui, en 1650, détruisit le monastère fondé huit ans auparavant, car Marie de l’Incarnation qui hésitait entre sauver les vêtements, provisions et chaussures qui se trouvaient dans le grenier et sauver les « papiers » de la fondation qui se trouvaient dans la cave, choisit de protéger ces derniers de la destruction qui justifiaient officiellement la mission des Ursulines en terre d’Amérique.
Le discours du gouverneur montre l’importance que la colonie naissante attachait à la venue de cette communauté de Tour qui se préparait depuis des années à s’implanter en Nouvelle-France pour se vouer à « l’éducation des Françaises et des sauvagesses ».
«Nous, Charles Huault de Montmagny, certifions à tous qu’il appartiendra, que les Révérendes Mères Ursulines en la compagnie de très religieuse et très dévote Madeleine de Chauvigny, veuve de feu Mre Charles de Gruel, Seigneur de la Peltrie, sont arrivées en ce lieu de Québec, ce 1er août de la présente année mil six-cents trente-neuf, pour y établir une maison et couvent de leur ordre de sainte Ursule , à la gloire de Dieu, et pour l’éducation des petites filles tant des Français que des Sauvages du pays; ayant été conduite dans une barque gouvernée par Jacques Vastel, contre-maitre du navire du capitaine Bontemps, amiral de la flotte de la Nouvelle-France (…) nous envoyâmes une chaloupe pour les prendre et accueillir, et allâmes nous-mêmes les recevoir au bord de la rivière, accompagnés des principaux habitants et suivis de la plupart du peuple qui en faisait paraître une joie extraordinaire laquelle nous concourûmes par le bruit des canons de notre Fort, et les amenâmes à ;’église où fut célébrée la sainte messe et chanté le Te Deum laudamus pour remercier Dieu de leur heureuse arrivée. » (page 31)
Ainsi furent scellées « à jamais, dans un récit fondateur, les destinées d’un pays et d’une maison d’éducation. »
S’agit-il dans ce livre de la conservation d’un patrimoine? Oui à condition qu’ on conçoive ce patrimoine comme un « héritage national » », un héritage de l’ensemble Ursulines dont la vocation de contemplatives et d’enseignantes a traversé les siècles et s’est prolongée jusqu’à nos jours. Ce livre est une sorte d’apologie de la mémoire : comme en font foi les titres des chapitres : de la « constitution » de la mémoire, à ses « formes », à sa « transmission ».
Chaque thème est illustré par des photographies anciennes et récentes d’Ursulines, d’étudiantes, etc. mais aussi par des documents liés à l’architecture, dont le plan de la ville de Québec en 1660, la photographie d'une ancienne porte voûtée donnant accès à la buanderie, etc. On y présente également des images « des objets vénérés et vénérables » (l’argenterie attribuée à Mme de la Peltrie) ainsi que la reproduction de manuscrits anciens, dont le parchemin de Louis XIII portant le sceau du 28 mai 1639 « accordant la permission d’établir en Nouvelle-France un couvent de religieuses Ursulines (…) pour instruire les petites sauvages. » et le sceau d’une lettre d’affaires de Marie de l’Incarnation en date du 9 septembre 1663.
Ce livre est offert à tous les lecteurs assoiffés d’un passé encore enraciné dans le présent. C’est aussi un excellent guide pour les nombreux visiteurs du Musée qui s’étonnent de la « permanence et de l’apparente immuabilité » de l’un des plus anciens monastères d’Amérique du Nord.
NOTES
1. Fides 2015.
2. Canonisée en 2014 par le pape François, elle fut par ses contemporains du XVIIe siècle surnommée la Thérèse du Canada, ayant eu une expérience mystique analogue à celle de Thérèse d’Avila, au XVe siècle.
3 Le témoignage de Maie de l’Incarnation Ursuline de Tours et de Québec, publié en 1932 chez Gabriel Beauchesne éditeur à Paris contient les écrits autobiographiques de Marie de l’Incarnation depuis son enfance, son mariage et son veuvage avant son entrée chez les Ursulines de Tours et tous les événements, rencontres et visions qui la conduisirent en Nouvelle-France. Elle poursuivit jusqu’à sa mort ses écrits autobiographiques. Texte préparé et publié avec une Introduction par Dom Albert Jamet, moine de Solesmes. J’ignore si ce livre très célébré a été réédité par la suite, je le dois à un ami grand bouquiniste H.L.