Les problèmes de l'Amérique latine

Alexander von Humboldt

Les conditions des indiens

Lorsque les Espagnols firent la conquête du Mexique ils trouvèrent déjà les Indiens dans cet état d'abjection et de pauvreté qui accompagne partout le despotisme et la féodalité. La conquête rendit l'état du bas peuple bien plus déplorable encore; on arracha le cultivateur au sol pour le traîner dans des montagnes où commençait l'exploitation des mines; un grand nombre d'Indiens furent obligés de suivre les armées et de porter, manquant de nourriture et de repos, par des chemins montueux, des fardeaux qui excédaient leurs forces. Toute propriété indienne, soit mobilière, soit foncière était regardée comme appartenant au vainqueur. Ce principe atroce fut même sanctionné par une loi qui assigne aux Indiens une petite portion de terrain autour des églises nouvellement construites. La cour de Madrid, voyant que le Nouveau Continent se dépeuplait d'une manière rapide, prit des mesures bienfaisantes en apparence, mais que l'avarice et la ruse des conquérants sut faire tourner contre ceux dont on se flattait de soulager les malheurs. On introduisit le système des encomiendas. Les indigènes, dont la reine Isabelle avait vainement proclamé la liberté, étaient jusqu'alors esclaves des Blancs, qui se les agrégeaient indistinctement. Par l'établissement des encomiendas, l'esclavage prit des formes plus régulières. Pour finir les rixes entre les conquistadores, on partagea les restes du peuple conquis: les Indiens, divisés en tribus de plusieurs centaines de familles, eurent des maîtres nommés en Espagne parmi les soldats qui s'étaient distingués dans la conquête, et parmi les gens de loi que la cour envoya pour gouverner les provinces et pour servir de contrepoids au pouvoir usurpateur des généraux. Un grand nombre d'encomiendas, et des plus beaux, furent distribués aux moines. La religion qui, par ses principes, devait favoriser la liberté, fut avilie en profitant elle-même de la servitude du peuple. Cette répartition des Indiens les attacha à la glèbe: leur travail appartenait aux encomenderos. Le serf prit souvent le nom de famille de son maître. Beaucoup de familles indiennes portent encore aujourd'hui des noms espagnols, sans que leur sang ait jamais été mêlé au sang européen. La cour de Madrid croyait avoir donné des protecteurs aux Indiens, elle avait empiré le mal; elle avait rendu l'oppression plus systématique. [...] Si la législation de la reine Isabelle et de l'empereur Charles Quint paraît favoriser les indigènes sous le rapport des impôts (ils sont exempts de tout impôt indirect), d'un autre côté elle les a privés des droits les plus importants dont jouissaient les autres citoyens. Dans un siècle où l'on discuta formellement si les Indiens étaient des êtres raisonnables, on crut leur accorder un bienfait en les traitant comme des mineurs, en les mettant à perpétuité sous la tutelle des Blancs, en déclarant nul tout acte signé par un natif de la race cuivrée, toute obligation que ce natif contractait au-dessus de la valeur de quinze francs. Ces lois se maintiennent dans leur pleine vigueur; elles mettent des barrières insurmontables entre les Indiens et les autres castes, dont le mélange est également prohibé. Des milliers d habitants ne peuvent faire de contrat valable; condamnés a une minorité perpétuelle, ils deviennent à charge à eux-mêmes et à l'État dans lequel ils vivent. [...] La tranquillité intérieure du Mexique a été rarement troublée depuis l'année I596. I1 y eut des émeutes d'Indiens en 1601, 1609, 1624 et 1692. Dans la dernière, le palais du vice-roi, la mairie et les prisons publiques furent brûlés par les indigènes et le vice-roi, le comte de Galve ne trouva de sécurité que dans la protection des moines de Saint-François. Malgré ces événements causés par le manque de subsistances, la cour de Madrid ne se crut point obligée d'augmenter les forces militaires de la Nouvelle Espagne. Peu d'années avant la paix de Versailles, Gabriel Condorcanqui, fils du cacique de Tougasuca, plus connu sous le nom de Tupac-Amaru, souleva les indigènes du Pérou pour rétablir au Couzco l'ancien empire des Incas Cette guerre civile, pendant laquelle les Indiens exercèrent des cruautés atroces, dura près de deux ans, et si les Espagnols avaient perdu la bataille dans la province de Tinta, 1 entreprise hardie de Tupac-Amaru aurait eu des suites funestes, non seulement pour les intérêts de la métropole mais vraisemblablement aussi pour l'existence de tous les Blancs établis sur les plateaux des cordillères et dans les vallées voisines. Quelque extraordinaire qu'ait été cet événement, ses causes ne furent aucunement liées aux mouvements que les progrès de la civilisation et le désir d'un gouvernement libre avaient fait naître dans les colonies anglaises.

Les conditions des esclaves noirs

C'est pour combattre des préjugés fondés sur de fausses évaluations numériques, c'est dans des vues d'humanité qu'il faut rappeler que les maux de l'esclavage pèsent sur un beaucoup plus grand nombre d'individus que les travaux agricoles ne l'exigent, même en admettant ce que je suis bien loin d'accorder, que le sucre, le café, l'indigo ou le coton ne peuvent être cultivés que par des esclaves. À l'île de Cuba, on compte généralement 150 Noirs pour la fabrication de 1 000 caisses (184 000 kilos) de sucre terré, ou, en nombre rond, un peu plus de 1 200 kilos par tête d'esclave adulte. Une production de 440 000 caisses n'exigerait par conséquent que 66 000 esclaves. Si l'on ajoute à ce nombre, pour les cultures du café et du tabac dans l'île de Cuba, 36 000, on trouve que des 260 000 esclaves qui y existent aujourd'hui, près de 100 000 suffiraient pour les trois grandes branches de l'industrie coloniale sur lesquelles repose l'activité du commerce. Ceux qui répètent sans cesse que le sucre ne peut être cultivé que par des Noirs esclaves, semblent ignorer que l'archipel des Antilles renferme 1 148 000 esclaves, et que toute la masse de denrées coloniales que produisent les Antilles n'est due qu'au travail de 500 000 ou 600 000 Examinez l'état actuel de l'industrie du Brésil, calculez ce qu'il faut de bras pour verser dans le commerce de l'Europe le sucre, le café et le tabac qui sortent de ses ports; parcourez ses mines d'or si faiblement travaillées de nos jours, et répondez si l'industrie du Brésil exige qu'on tienne en esclavage 1 960 000 Noirs et mulâtres. Plus des trois quarts de ces esclaves brésiliens ne sont occupés ni de lavages d'or ni de la production de denrées coloniales, de ces denrées qui, comme on l'assure gravement, rendent la traite un mal nécessaire, un crime politique inévitable. [...] J'ai observé l'état des Noirs dans des pays où les lois, la religion et les habitudes nationales tendent à adoucir leur sort, et cependant j'ai conservé, en quittant l'Amérique, cette même horreur de l'esclavage que j'en avais conçue en Europe. C'est en vain que des écrivains spirituels pour voiler la barbarie des institutions par les ingénieuses fictions du langage, ont inventé les mots de paysans-nègres des Antilles, de vasselage noir, et de protection patriarcale; c'est profaner les nobles arts de l'esprit et de l'imagination que de disculper par des rapprochements illusoires ou des sophismes captieux les excès qui affligent l'humanité et lui préparent de violentes commotions Croit-on acquérir le droit de se dispenser de la commisération, si l'on compare l'état des Noirs avec celui des serfs du Moyen Âge, avec l'état d'oppression dans lequel gémissent encore quelques classes dans le nord et l'est de l'Europe. Ces rapprochements ne tranquillisent que ceux qui, partisans secrets de la traite des Noirs, cherchent à s'étourdir sur les malheurs de la race noire, et se révoltent, pour ainsi dire, contre toute émotion qui pourrait les surprendre. Souvent on confond l'état permanent d'une caste, fondé sur la barbarie des lois et des institutions, avec l'excès d'un pouvoir exercé momentanément sur quelques individus. C'est ainsi que M. Bolingbroke, qui a visité les Antilles, n'hésite pas à répéter " qu'à bord d'un vaisseau de guerre anglais, on donne le fouet plus souvent que dans les plantations des colonies anglaises ". Il ajoute " qu'en général, on fouette très peu les nègres, mais qu'on a imaginé des moyens de correction très raisonnables, comme de faire manger de la soupe bouillante et fortement poivrée, ou de boire, avec une cuiller très petite, une solution de sel de Glauber ". La traite lui paraît un universal benefit, et il est persuadé que si on laissait retourner aux côtes d'Afrique les nègres qui, pendant vingt ans, ont jouI " de toutes les commodités de la vie des esclaves ", ils y feraient une belle recrue, et amèneraient des nations entières aux possessions anglaises. Voilà sans doute une foi de colon bien ferme et bien naïve. Cependant M. Bolingbroke est un homme modéré, rempli d'intentions bienveillantes pour les esclaves. [...] L'état d'esclavage ne peut être paisiblement amélioré en son entier que par l'action simultanée des hommes libres (Blancs et de couleur) qui habitent les Antilles; par les assemblées et législatures coloniales; par l'influence de ceux qui, jouissant d'une grande considération morale parmi leurs compatriotes et connaissant les localités, savent varier les moyens d'amélioration d'après les moeurs , les habitudes et la position de chaque île. C'est en préparant ce travail qui devrait embrasser à la fois une grande partie de l'archipel des Antilles, qu'il est utile de jeter les yeux en arrière et de peser les événements par lesquels l'affranchissement d'une partie considérable du genre humain a été obtenu en Europe dans le Moyen Âge. Lorsqu'on veut améliorer sans commotion, il faut faire sortir les nouvelles institutions de celles mêmes que la barbarie des siècles a consacrées. On aura de la peine à croire qu'il n'existait, dans aucune des Grandes Antilles, une loi qui empêchât qu'on ne pût vendre les enfants en bas âge et les séparer de leurs parents qui défendît la méthode avilissante de marquer les nègres avec un fer chaud, simplement pour reconnaître plus facilement le bétail humain. Décréter ces lois pour ôter jusqu'à la possibilité d'un outrage barbare; fixer, dans chaque sucrerie, le rapport entre le plus petit nombre de négresses et celui des nègres cultivateurs; accorder la liberté à chaque esclave qui a servi quinze ans, à chaque négresse qui a élevé quatre ou cinq enfants; affranchir les uns et les autres, sous la condition de travailler un certain nombre de jours au profit de la plantation; donner aux esclaves une part dans le produit net, pour les intéresser à l'accroissement de la richesse agricole; fixer sur le budget des dépenses publiques une somme destinée pour le rachat des esclaves et pour l'amélioration de leur sort, voilà les objets les plus urgents de la législation coloniale.

Les nouveaux courants d'idées

Depuis une vingtaine d'années, les établissements espagnols et portugais du Nouveau Continent ont éprouvé des changements considérables dans leur état moral et politique. Le besoin de l'instruction et des lumières s 'est fait sentir à mesure que la population et la prospérité ont augmenté. La liberté de commercer avec les neutres, que la cour de Madrid, obéissant à des circonstances impérieuses, a accordée de temps en temps à l'île de Cuba, à la côte de Caracas, aux ports de la Vera-Crux et de Montevideo, a mis les colons en contact avec les Anglo-Américains, les Français, les Anglais et les Danois. Ces colons se sont formé des idées plus justes sur l'état de l'Espagne comparé à celui des autres puissances de l'Europe, et la jeunesse américaine, sacrifiant une partie de ses préjugés nationaux, a pris une prédilection marquée pour les nations dont la culture est plus avancée que celle des Espagnols européens. Dans ces circonstances, il ne faut pas s'étonner que les mouvements politiques qui ont eu lieu en Europe depuis 1789 aient excité le plus vif intérêt chez des peuples qui aspiraient depuis longtemps à des droits dont la privation est à la fois un obstacle à la prospérité et un motif de ressentiment contre la mère patrie. Cette disposition des esprits engagea, dans quelques provinces, les vice-rois et les gouverneurs à prendre des mesures qui, bien loin de calmer l'agitation des colons, contribuèrent à augmenter leur mécontentement. On crut voir le germe de la révolte dans toutes les associations qui avaient pour but de répandre les lumières. On prohiba l'établissement des imprimeries dans des villes de quarante à cinquante mille habitants; on considéra comme suspects d'idées révolutionnaires de paisibles citoyens qui, retirés à la campagne, lisaient en secret les ouvrages de Montesquieu, de Robertson ou de Rousseau. Lorsque la guerre éclata entre l'Espagne et la France, on traîna dans les cachots de malheureux Français qui étaient établis au Mexique depuis vingt à trente ans. Un d'eux, craignant de voir renouveler le spectacle barbare d'un autodafé, se tua dans les prisons de l'Inquisition; son corps fut brûlé sur la place du Quemadero. A la même époque, le gouvernement crut découvrir une conspiration à Santa-Fé, capitale du royaume de la Nouvelle-Grenade : on y mit aux fers des individus qui, par la voie du commerce avec l'île de Saint-Domingue, s'étaient procuré des journaux français; on condamna à la torture des jeunes gens de seize ans, pour leur arracher des secrets dont ils n'avaient aucune connaissance. Au milieu de ces agitations, des magistrats respectables, et l'on aime à le rappeler, des Européens même, élevèrent leurs voix contre ces actes d'injustice et de violence; ils représentèrent à la cour qu'une politique méfiante ne faisait qu'aigrir les esprits, et que ce n'était point par la force et en augmentant le nombre des troupes composées d'indigènes, mais en gouvernant avec équité, en perfectionnant les institutions sociales, en faisant droit aux justes réclamations des colons, que l'on parviendrait à resserrer pour longtemps les liens qui unissent les colonies à la péninsule de l'Espagne. Des avis si salutaires n'ont pas été suivis; le régime colonial n'a pas subi de réformes; et en 1796, dans un pays où le progrès des lumières avait été favorisé par de fréquentes communications avec les États-Unis et avec les colonies étrangères des Antilles, un grand mouvement révolutionnaire a manqué anéantir d'un seul coup la domination espagnole. Un riche négociant de Caracas, don Josef España, et un officier du corps des ingénieurs, don Manuel Wal, résidant à La Guayra, conçurent le projet hardi de rendre indépendante la province du Venezuela et de réunir à cette province celles de la Nouvelle-Andalousie, de la Nouvelle-Barcelone, de Maracaïbo, de Coro, de Varinas et de la Guyane, sous le nom d'États-Unis de l'Amérique méridionale. Les confédérés furent arrêtés avant que le soulèvement général pût avoir lieu. España, conduit au supplice, vit approcher la mort avec le courage d'un homme fait pour exécuter de grands projets; Wal mourut à l'île de la Trinité, où il trouva un asile, mais non des secours. Malgré la tranquillité de caractère et l'extrême docilité du peuple dans les colonies espagnoles; malgré la situation particulière des habitants qui, dispersés sur une vaste étendue de pays, jouissent de cette liberté individuelle qui naît toujours d'un grand isolement, des agitations politiques auraient été plus fréquentes depuis l'indépendance des États-Unis, et surtout depuis 1789, si la haine mutuelle des castes et la crainte qu'inspire aux Blancs et à tous les hommes libres le grand nombre de Noirs et d'Indiens, n'avaient arrêté les effets du mécontentement populaire. Ces motifs sont devenus plus puissants encore depuis les événements qui ont eu lieu à Saint-Domingue, et l'on ne saurait révoquer en doute qu'ils ont plus contribué à maintenir le calme dans les colonies espagnoles que les mesures de rigueur et la formation des milices.

Cuba

Pour apprécier le poids que, sous l'influence d'une nature si puissante, la plus riche des Antilles pourra mettre un jour dans la balance politique de l'Amérique insulaire, nous allons comparer sa population actuelle avec celle que peut nourrir un sol de 3 600 lieues carrées marines, en grande partie vierge et fécondé par les pluies tropicales. On trouve qu'il y avait dans l'île de Cuba, à la fin de 1825, probablement:
455 000 libres + 260 000 esclaves = 715 000.

On voit que dans l'île de Cuba, les hommes libres sont 64 % de la population entière; dans les Antilles anglaises, à peine 19 %. Dans tout l'archipel, les hommes de couleur (nègres et mulâtres, libres et esclaves) forment une masse de 1 360 000 ou 85 % de la population totale. Si la législation des Antilles et l'état des gens de couleur n'éprouvent pas bientôt des changements salutaires, si l'on continue à discuter sans agir, la prépondérance politique passera entre les mains de ceux qui ont la force du travail, la volonté de s'affranchir et le courage d'endurer de longues privations. Cette catastrophe sanglante aura lieu comme une suite nécessaire des circonstances. Qui oserait prédire l'influence qu'exercerait une confédération africaine des États libres des Antilles, placée entre Colombia, l'Amérique du Nord et Guatemala, sur la politique du Nouveau Monde? La crainte de cet événement agit sans doute plus puissamment sur les esprits que les principes d'humanité et de justice, mais, dans chaque île, les Blancs croient leur pouvoir inébranlable. Toute simultanéité d'action de la part des Noirs leur paraît impossible; tout changement, toute concession accordée à la population servile un signe de lâcheté. Rien ne presse: l'horrible catastrophe de Saint-Domingue n'a été que l'effet de l'inhabileté des gouvernants. Telles sont les illusions qui règnent parmi la grande masse des colons aux Antilles et qui s'opposent également aux améliorations de l'état des Noirs en Géorgie et dans les Carolines. L'île de Cuba, plus que toute autre des Antilles, peut échapper au naufrage commun. Cette île compte 455 000 hommes libres et 260 000 esclaves: par des mesures humaines et prudentes à la fois, elle pourra préparer l'abolition graduelle de l'esclavage. Depuis que j'ai quitté l'Amérique, une de ces grandes révolutions qui agitent de temps en temps l'espèce humaine a éclaté dans les colonies espagnoles; elle semble préparer de nouvelles destinées à une population de quatorze millions d'habitants, en se propageant de l'hémisphère austral à l'hémisphère boréal, depuis les rives de la Plata et du Chili jusque dans le nord du Mexique. Des haines profondes, suscitées par la législation coloniale et entretenues par une politique défiante, ont fait couler le sang dans ces pays qui jouissaient, depuis trois siècles, je ne dirai pas du bonheur, mais d'une paix non interrompue. Déjà ont péri, à Quito, victimes de leur dévouement pour la patrie, les citoyens les plus vertueux et les plus éclairés. En décrivant des régions dont le souvenir m'est devenu si cher, je rencontre à chaque instant des lieux qui me rappellent la perte de quelques amis. Lorsqu'on réfléchit sur les grandes agitations politiques du Nouveau Monde, on observe que les Espagnols américains ne se trouvent pas dans une position aussi favorable que les habitants des États-Unis, préparés à l'indépendance par la longue jouissance d'une liberté constitutionnelle peu limitée. Les dissensions intérieures sont surtout à redouter dans des régions où la civilisation n'a pas jeté des racines très profondes, et où, par l'influence du climat, les forêts regagnent bientôt leur empire sur les terres défrichées, mais abandonnées à elles-mêmes. Il est à craindre aussi que, pendant une longue suite d'années, aucun voyageur étranger ne puisse parcourir l'ensemble des provinces que j'ai visitées. Cette circonstance ajoute peut-être à l'intérêt d'un ouvrage qui présente l'état de la majeure partie des colonies espagnoles au commencement du XIXe siècle. Je me flatte même, en me livrant à des idées plus douces, qu'il sera encore digne d'attention lorsque les passions seront calmées, et que, sous l'influence d'un nouvel ordre social, ces pays auront fait des progrès rapides vers la prospérité publique. Si alors quelques pages de mon livre survivent à l'oubli, l'habitant des rives de l'Orénoque et de l'Atabapo verra avec ravissement que des villes populeuses et commerçantes, que des champs labourés par des mains libres occupent ces mêmes lieux où, à l'époque de mon voyage, on ne trouvait que des forêts impénétrables ou des terrains inondés.




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