Le problème de l’École est un problème d’inspiration générale

Jean-Pierre Chevènement

On évoque par ailleurs l’échec de l’Ecole. Bourdieu dit qu’elle ne joue plus son rôle.

J’ai pourtant vu une jeune Maghrébine issue d’un « quartier » de Strasbourg sortir première de l’école d’officiers où elle était rentrée 74ème ! Elle le devait à sa pugnacité car on ne l’avait pas poussée.

L’accès au concours de gardien de la paix, qui poussait les agents de sécurité qui avaient une certaine volonté de s’en sortir, a révélé que cette volonté existe toujours mais le problème est qu’on ne va plus la chercher là où elle est. La droite ne s’y intéresse pas et la gauche s’est trompée. Elle a cédé à l’idéologie victimaire compassionnelle, elle a abandonné l’idée qu’il fallait tenir les deux bouts de la chaîne : favoriser l’accès aux études longues - ce que j’ai essayé de faire – tout en tenant ferme sur le niveau d’exigence.

Philippe Barret rappelait plaisamment le discours de l’homme de gauche : « Le pauvre n’a pas eu de chance, il est d’une famille défavorisée, il faut venir mettre tout le monde à son niveau pour qu’il ne souffre pas trop ». [Je me souviens du commentaire illustrant une photo dans un livre d’Antoine Prost, historien de l’éducation : « Ces enfants vont à l’école. Est-ce pour y apprendre quelque chose ? Au moins y seront-ils heureux ? » Ca veut tout dire !] Quant à l’homme de droite, il se contente d’affirmer : « Ce sont des cancres ! ». 

Les milieux favorisés ont les moyens d’ouvrir à leurs enfants un certain nombre de voies de rappel tandis que les milieux populaires ne peuvent compter que sur une école forte, structurée, exigeante, une école qui marque clairement les repères, les exigences.

Je trouve l’instauration de la semaine de quatre jours absolument consternante. Les affirmations des chronobiologistes me laissent parfois sceptique. Une semaine de quatre jours et demi, y compris le samedi matin me semblait préférable ! Mais on a cédé à la pression du week-end et à celle des « professeurs des écoles », catégorie hautement estimable mais le progrès social pour une catégorie peut s’opposer au progrès social pour la masse des enfants et des familles.

Le problème de l’Ecole est donc un problème d’inspiration générale. Je pense vraiment qu’il faut remettre les pendules à l’heure mais je ne sais pas si on y parviendra jamais. Je constate que les gens de droite ne sont pas courageux. Les gens de gauche le furent : pour eux l’école laïque était la lutte contre l’ignorance, contre la bêtise, contre l’analphabétisme, contre tout ce qu’ils connaissaient très bien parce que les instituteurs nés du peuple savaient la profondeur de cette ignorance et de cet obscurantisme. Fils d’instituteur, je peux moi-même la mesurer à deux générations.

Les instituteurs avaient la volonté de lutter contre l’obscurantisme, l’ont-ils encore aujourd’hui ? Le corps des instituteurs a beaucoup changé en l’espace de trente ou quarante ans, il a subi l’évolution décrite par Jacques Rigaudiat à propos de la classe ouvrière : un certain « embourgeoisement » dû à la tertiarisation. 

Conclusion de Jean-Pierre Chevènement. Colloque du 21 septembre 2009, "Mondialisation et inégalités en France", organisé par la Fondation Res Publica (http://www.fondation-res-publica.org). Publié sous la licence Creative Commons 2.0. Vous êtes libre de reproduire, distribuer et communiquer ce contenu.

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