Le patriotisme de compassion
Le patriotisme de compassion. Trois noms sont associés dans mon esprit à cette idée qui pourrait bien enfermer l’inspiration dont le Québec, la France et bien d’autres pays occidentaux ont besoin en ce moment : celui de Simone Weil, l’auteur de l’Enracinement, celui d’Albert Camus qui a publié l’Enracinement dans sa collection Espoir chez Gallimard et celui d’Alain Finkielkraut qui, en ce moment, défend le patriotisme de compassion avec une éloquence qui dépasse l’éloquence.
Il vient de publier l'Identité malheureuse, un livre qui, paraissant au moment où le Front National progresse dangereusement dans les sondages, provoque une vive controverse en France. Plusieurs lui reprochent de se comporter comme un allié objectif du Front national, à quoi il répond que laisser à ce parti le monopole de la défense de l’identité est la meilleure façon d’assurer son succès.
Voici le passage de l'Identité malheureuse où Finkiekraut évoque le patriotisme de compassion :
«Prise en tenaille entre les remontrances des autres démocraties occidentales et la véhémence sans frontières des féministes radicales qui poussent la désérotisation des corps jusqu'à transformer leurs gorges dénudées en panneaux de propagande, la France défend encore, face au défi du voile islamique, la relation spécifique qu'elle a instaurée entre les hommes et les femmes. Mais la France pourra-t-elle rester longtemps une patrie féminine si elle n'est plus une patrie littéraire? Or, elle a fait sienne la grande loi moderne formulée, dans les années soixante du vingtième siècle, par Pierre Elliott Trudeau, le premier dirigeant multiculturaliste de l'État canadien: «Il faut avancer avec la caravane humaine ou crever dans le désert du temps.» La France avance donc, elle accélère même et au nom de la diversité qu'elle place au-dessus des trois grands vocables de la devise républicaine, elle sacrifie sans hésiter le meilleur de son être à la révolution technologique et à la lutte contre les discriminations. Cette liquidation quasi générale remet à l'ordre du jour le sentiment de tendresse poignante pour une chose belle, précieuse, fragile et périssable que Simone Weil appelait patriotisme de compassion: ‘’On peut, écrit-elle, aimer la France pour la gloire qui semble lui assurer une existence étendue au loin dans le temps et l'espace. Ou bien on peut l'aimer comme une chose qui, étant terrestre, peut-être détruite, et dont le prix est d'autant plus sensible.’’ Lévi-Strauss quand il écrivait Race et Culture était étreint par ce second amour.»[1]
Détail : dans l’Enracinement, seul ouvrage de Simone Weil auquel Finkielkraut renvoie le lecteur, on retrouve certes à quelques reprises les mots compassion pour la patrie, mais l’expression de patriotisme de compassion semble bien être de Finkielkraut. On ne cite pas toujours à la lettre les passages que l’on connaît bien. Cette liberté a parfois des effets heureux. L’Enracinement est le livre que j’ai le plus lu et relu, mais je n’avais pas encore compris que patriotisme de compassion correspond parfaitement à l’enracinement tel que le conçoit Simone Weil et permet, comme nous le verrons, de surmonter la contraction entre les deux formes de nationalisme les plus répandues.
Camus était resté attaché à ses racines algériennes tout en éprouvant un sentiment de révolte contre les injustices de la France à l’endroit de ceux qu'on appelait les indigènes. Il plaidera jusqu’à sa mort en faveur de l’impossible réconciliation entre colonisateurs et colonisés, regrettant qu'on n’ait pas effectué les changements appropriés au moment où la réconciliation était encore possible. La France elle-même se trouve aujourd’hui dans une situation semblable à celle de l’Algérie en 1950. Si Albert Camus vivait toujours, il y a tout lieu de croire qu'il monterait sur toutes les tribunes pour exiger qu'on agisse avant que la réconciliation ne devienne impossible et qu’une déportation massive n’apparaisse comme la seule solution.
Le combat de Finkielkraut
Ce combat, c’est Alain Finkielkraut qui le mène actuellement. Le remède qu'il préconise est simple : offrir aux immigrants une France sûre et fière de son passé, si cohérente et si dynamique dans l’expression de son identité, en éducation notamment, que les immigrants actuels désirent s’intégrer à la majorité comme il l’a fait lui-même. Si, ajoute Finkielkraut, un tel lien avec le passé existait, tout le monde verrait qu'il enferme l’explication de l’interdiction du voile dans les lieux publics, tout le monde comprendrait que cette interdiction n’est pas le signe d’une intolérance frileuse, mais le souvenir d’une galanterie caractéristique de la France. Il cite Claude Habib à ce sujet.«L'interdiction prend son sens si on la met en relation avec les pratiques de la mixité dans l'ensemble de la société. Elle devient compréhensible si on la rapporte à cet arrière-plan de la tradition galante qui présuppose une visibilité du féminin, et plus précisément une visibilité heureuse, une joie d'être visible, celle-là même que certaines jeunes filles musulmanes ne veulent plus ou ne peuvent plus arborer.»
Finkielkraut est un juif né de parents d’Europe de l’Est ayant perdu tous leurs proches avant d’émigrer en France. Son premier souci en tant qu'intellectuel est de témoigner de sa reconnaissance envers une France qui l’a si bien nourri de son passé riche et vivant. Cette France, Simone Weil s’en est elle aussi si bien inspirée qu'elle en a oublié ses racines juives.
L’Enracinement a paru en 1949, quatre ans après la fin d’une guerre déclenchée par une Allemagne alors en proie à une volonté d’enracinement devenue folle. Il fallait une lucidité et une liberté peu communes pour publier à ce moment un livre portant un tel titre. Dans bien des milieux, le mot enracinement, comme le mot Root en anglais est encore tabou pour cette raison. Simone Weil avait écrit ce livre à Londres en 1943 au moment où dans l’entourage du général de Gaulle elle réfléchissait sur une constitution pour la France d’après guerre. Elle avait écarté l’idée d’une charte des droits pour lui substituer celle d’une «liste d’obligations». C’est une liste des besoins fondamentaux de l’être humain, besoins (ordre, dignité, liberté, sécurité, risque) auxquels correspondent des obligations qui constituent le premier chapitre de l’Enracinement. Le besoin fondamental, le besoin des besoins est l’enracinement. Ce n’est ni le sol ni le sang qui sont en cause ici mais une collectivité qui «conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments de l’avenir».
Enracinement et obligations
L’Enracinement commence ainsi : «La notion d'obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n'est pas efficace par lui-même, mais seulement par l'obligation à laquelle il correspond ; l'accomplissement effectif d'un droit provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui. »[2]
Simone Weil éprouvait la plus vive compassion pour toute collectivité dont les« trésors du passé et les pressentiments d’avenir» étaient détruits ou menacés de l’être. Certains de ses plus beaux textes sont l’expression de sa compassion pour une patrie menacée : Troie dans l’Illiade ou le poème de la force, Toulouse dans En quoi consiste la civilisation occitanienne, Venise dans Venise sauvée. Dans le cas de Numance, dont les habitants sont morts jusqu’aux derniers plutôt que de se rendre aux soldats romains, et dans celui de Carthage dont la ville fut rasée, l’admiration de Simone Weil dépassai si possible sa compassion. Elle cite à propos des carthaginois ce témoignage d’un historien. « Ils appelaient leur patrie par son nom, et, lui parlant comme à une personne, ils lui disaient les choses les plus déchirantes. » Et elle rappelle que le patriotisme de compassion est parfaitement compatible avec le courage à la guerre.
Elle appelle metaxu, mot grec signifiant intermédiaire, les «trésors du passé et les pressentiments d’avenir». Sa pensée entre ainsi dans la sphère du sacré. «Ne priver aucun être humain de ses metaxu, c’est-à-dire de ces biens relatifs et mélangés (foyer, patrie, traditions, culture, etc.) qui réchauffent et nourrissent l’âme et sans lesquels, en dehors de la sainteté, une vie humaine est impossible.»[3]
Le sacré
Le patriotisme de compassion appartient à la même sphère du sacré : il consiste à aimer sa patrie non en tant que sienne, mais en tant que chose fragile et précieuse, qui réunit en un point du temps et de l’espace, les conditions de l’accomplissement d’êtres humains.
«Mais si les sentiments du genre cornélien n'animent pas notre patriotisme, on peut demander quel mobile les remplacera. Il y en a un, non moins énergique, absolument pur, et répondant complètement aux circonstances actuelles. C'est la compassion pour la patrie. Il y a un répondant glorieux. Jeanne d'Arc disait qu'elle avait pitié du royaume de France.
Mais on peut alléguer une autorité infiniment plus haute. Dans l'Évangile, on ne peut pas trouver de marque que le Christ ait éprouvé à l'égard de Jérusalem et de la Judée rien qui ressemble à de l'amour, sinon seulement l'amour enfermé dans la compassion. Il n'a jamais témoigné à son pays aucun attachement d'une autre espèce. Mais la compassion, il l'a exprimée plus d'une fois. Il a pleuré sur la ville, en prévoyant, comme il était facile de le faire à cette époque, la destruction qui s'abattrait prochainement sur elle. Il lui a parlé comme à une personne. ‘’ Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j'ai voulu...’’ Même portant sa croix, il lui a encore témoigné sa pitié.»[4]
Parce qu'il s’accompagne de détachement, ce patriotisme permet de s’élever au-dessus de la contradiction entre les deux formes de nationalisme les plus répandues : le nationalisme de passion, celui des Romains, celui qui peut conduire à l’exclusion de l’autre par la force et le nationalisme d’indifférence qui tourne le dos au passé pour éviter qu'il ne sépare gens de souche et immigrants. Il s’apparente ainsi au multiculturalisme.
En France, le patriotisme du Front national semble bien être un patriotisme de passion, ce qui expliquerait pourquoi il suscite les pires craintes parmi les intellectuels. Finkielkraut s’en démarque en proposant un patriotisme de compassion. Parmi ses adversaires, plusieurs préféreraient que la France s’oriente vers un multiculturalisme à l’américaine, en rappelant que cette approche a réglé le problème des Noirs.
Mais ce problème est-il vraiment réglé? On ne pourra pas répondre oui sans cynisme tant qu'il y aura 40 % de noirs dans les prisons américaines alors que les noirs ne représentent que 13% de la population. Le pourcentage de noirs en prison est de 9,2 %.[5] En France, le nombre des étrangers en prison était en 2005 de 332 pour 100,000 soit 0,332 %. Il faut aussi rappeler qu'aux États-Unis la religion est un facteur d’intégration (mais pour combien de temps?) pour les Noirs, alors qu'en France elle est plutôt un facteur de ghettoïsation.
Le cosmopolitisme: nationalisme des empires.
Nous ne pourrons pas aller au fond de cette question dans le présent article. Nous nous limiterons à une chose essentielle à la compréhension du multiculturalisme américain. On peut le comparer à celui de la Rome antique. Une fois la passion nationaliste assouvie par la conquête, Rome, maîtresse du monde, avait intérêt à pratiquer le nationalisme d’indifférence sur son territoire, c’est-à-dire à se montrer tolérante à l’égard des diverses religions et cultures. Le cosmopolitisme est le nationalisme des empires. Ce qu'Alexandre avait compris avant les romains : après avoir conquis toutes les cités (polis) grecques, il avait intérêt à persuader leurs habitants de se définir comme citoyens du monde (cosmos).
C’est ainsi qu'il faut comprendre le culte de la mondialisation indissociable du multiculturalisme aux États-Unis et à un moindre degré dans les autres pays anglo-saxons et notamment l’Angleterre, le Canada et l’Australie.
La tête, le cœur, le ventre. Cette métaphore platonicienne de la division tripartite de l’âme aide à comprendre cette situation. Le cœur, siège de l’affectivité est le lieu de l’attachement à la patrie, attachement auquel on devrait en principe subordonner ses intérêts économiques. Du point de vue des oligarques qui gouvernent un empire, cet organe est une nuisance, du moins quand il est tourné vers autre chose que l’empire lui-même. Rien ne devrait troubler la bonne entente entre le ventre lieu du désir et de la consommation et la tête lieu de ce calcul qui permet d’accumuler l’argent nécessaire à la satisfaction des désirs. Leur ego, et par là leur affectivité, étant soutenu par leur puissance, qui s’accroît avec leur richesse, les oligarques de l’empire anglo-saxon ont évidemment intérêt à ce que le cœur occupe le moins d’espace possible chez leurs compatriotes et dans les nations satellites. On sait que les Américains ont mis leur meilleurs lobbyistes au travail pour s’assurer que le Traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada soit aussi néo-libéral que possible et puisse ainsi servir de modèle pour le traité qu'’ile veulent eux-mêmes signer avec l’Europe. Ce qui, selon le journal Libération, a pour effet de soumettre les nations souveraines à la volonté des grandes entreprises. «Le plus grave est que ce ne sont pas seulement les États qui pourront se poursuivre entre eux devant les arbitres comme c’est le cas à l’OMC. Dans l’accord avec le Canada, cette possibilité est aussi ouverte aux entreprises sur le modèle de l’accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA ou NAFTA). Ainsi, la firme américaine Lone Pine Resources Inc. a attaqué le Canada, dont la province de Québec a décrété un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, et demande des compensations pour les frais de recherche déjà engagés… Autrement dit, les grandes entreprises, celles qui en ont les moyens, pourront poursuivre les États qui auront l’outrecuidance de changer de politique publique. On risque donc d’assister au triomphe des intérêts privés sur l’intérêt public. »[6]
«Au sommet de l’empire soviétique de la décennie 1950, on méprisait aussi les nations et les nationalismes. Un communiste orthodoxe n’avait qu'une patrie : le parti et comme le parti avait des ambitions planétaires, le cosmopolitisme y était la règle. Aujourd’hui, la puissante Russie ressuscite les trésors de son passé pour affermir ses pressentiments de l’avenir. Elle imite les petites nations qui se sont séparées d’elle à la suite de la chute du mur de Berlin. Quelques années seulement avant l’effondrement, Gorbatchev accusait les républiques et grandes régions nationales de l’U.R.S.S de pratiquer la préférence nationale, le népotisme, la corruption inhérents à toute politique favorisant le groupe, et de mettre par là en cause l’intérêt économique général; et le progrès des relations inter ethniques.» [7]
L’oikophobie européenne
Le multiculturalisme est suicidaire pour les petites nations, du moins pour celle dont l’identité est faible ou malheureuse. La France est dans cette situation, le Québec l’est à plus forte raison. Le multiculturalisme ne serait viable qu'à l’échelle d’une Europe fédérale dont les nations fondatrices n’auraient pas plus d’identité que les États Américains et les provinces canadiennes, ce que semblent souhaiter de nombreux partisans de l’Europe.
«L'Europe a beaucoup péché, en voulant mettre l'Autre (le colonisé) à la raison. L'occasion lui est maintenant offerte d'être purifiés par l'Autre d'elle-même et de son passé coupable. [...] Elle se réfugie dans ce que le philosophe anglais Roger Scruton appelle l'oikophobie: la haine de la maison natale et la volonté de se défaire de tout le mobilier qu'elle a accumulé au cours des siècles. Et ce rejet n'est pas une lubie de philosophe. Les gardiens de la maison eux-mêmes sont oikophobes. En 2011, un agenda a été distribué dans les établissements scolaires de l'Union européenne: toutes les fêtes religieuses y figuraient à la remarquable exception des fêtes chrétiennes. Cette absence a fait scandale. Ses responsables se sont tout de suite engagés à réparer l'oubli. Mais le jour se rapprochent où, pour n'offenser personne, les fêtes de Noël deviendront, dans le discours officiel, «les fêtes de fin d'année» ou plus poétiquement «les fêtes d'entrée dans l'hiver.»[8]
Existe-t-il une nation en Europe dont la majorité serait prête à accepter cet idéalisme repentant jusque dans ses ultimes conséquences? En pareilles circonstances, l’organe dont il faut le plus tenir compte dans un peuple c’est l’estomac : est-il oui ou non capable de digérer de tels changements qui consistent à toujours s’adapter à l’autre sans jamais exiger la réciproque?
On peut présumer que si Finkielkraut a des positions conservatrices en matière d’immigration c’est parce qu'il connaît bien l’estomac de ses compatriotes, mais c'est surtout son amour de la civilisation française qui l'inspire. Quoiqu’il en soit, il devrait peut-être mettre l’accent dans ses interventions publiques sur le fait que le patriotisme de Simone Weil n’est un patriotisme de compassion que dans la mesure où les droits y sont subordonnés aux obligations, et seulement s'il s’intègre à une vision du monde qui fait place au surnaturel. Car aux yeux de Simone Weil l’être humain a besoin de la grâce pour remplir ses obligations.
La France prisonnière de la logique des droits.
La France en ce moment est prisonnière de la logique des droits qu'elle a elle-même institués. Tous les êtres humains, a-t-elle déclaré solennellement, ont les mêmes droits. Soutenir dans ce contexte que le premier occupant, le Français de souche, a des droits ayant préséance sur ceux de l’immigrant, c’est renier l’esprit de la Révolution française, c’est revenir à l’ancien régime et aux privilèges de la naissance. Certes , dans l'Identité malheureuse, Finkielkraut se montre critique à l’égard des droits individuels, mais ne serait-ce que par son attachement à l’idée de République, il demeure fidèle à cet esprit de 1789 que Simone Weil condamne sans équivoque :«L'obligation seule peut être inconditionnée. Elle se place dans un domaine qui est au-dessus de toutes conditions, parce qu'il est au-dessus de ce monde.
«Les hommes de 1789 ne reconnaissaient pas la réalité d'un tel domaine. Ils ne reconnaissaient que celle des choses humaines. C'est pourquoi ils ont commencé par la notion de droit. Mais en même temps ils ont voulu poser des principes absolus. Cette contradiction les a fait tomber dans une confusion de langage et d'idées qui est pour beaucoup dans la confusion politique et sociale actuelle. Le domaine de ce qui est éternel, universel, inconditionné, est autre que celui des conditions de fait, et il y habite des notions différentes qui sont liées à la partie la plus secrète de l'âme humaine.»[9]
Le défi de l’intégration serait plus facile à relever dans un contexte où l’accent serait mis sur les obligations. Le Français de souche aurait alors les obligations de l’hôte et l’immigrant celui de l’invité. Parmi les obligations de l’hôte, il y aurait celle de proposer à tous les trésors du passé et les pressentiments d’avenir nécessaires à leur accomplissement. Si la tradition culturelle chère à Finkielkraut fait partie des trésors du passé, un bon emploi est nécessaire à la participation aux pressentiments de l’avenir. (Question : est-il sage d’admettre des invités à qui on n’aura pas d’emplois à offrir?) Parmi les obligations de l’invité il y aurait celle d’enrichir la maison; en retour l’hôte doit s’engager à permettre que l’invité ne renonce à son identité que partiellement et à un rythme qui adoucit les inévitables déchirements.
Albert Camus était pathétique quand il réclamait une solution pacifique à un moment où la guerre d’Algérie était déjà commencée. Finkielkraut est tout aussi pathétique quand il se porte aujourd’hui à la défense des trésors du passé. Dans un autre livre de Simone Weil que Camus a publié, Écrits historiques et politiques, on peut lire un article sur la civilisation occitanienne où se trouve l’essentiel de ce qu'il faut entendre par patriotisme de compassion.
«Rien ne vaut la piété envers les patries mortes. […] Pourquoi s'attarder au passé, et non s'orienter vers l'avenir? De nos jours, pour la première fois depuis des siècles, on se porte à la contemplation du passé. Est-ce parce que nous sommes fatigués et proches du désespoir? Nous le sommes; mais la contemplation du passé a un meilleur fondement.
«Depuis plusieurs siècles, nous avions vécu sur l'idée de progrès. Aujourd'hui, la souffrance a presque arraché cette idée hors de notre sensibilité. Ainsi nul voile n'empêche de reconnaître qu'elle n'est pas fondée en raison. On l'a crue liée à la conception scientifique du monde, alors que la science lui est contraire tout comme la philosophie authentique. Celle-ci enseigne, avec Platon, que l'imparfait ne peut pas produire du parfait ni le moins bon du meilleur. L'idée de progrès, c'est l'idée d'un enfantement par degrés, au cours du temps, du meilleur par le moins bon. La science montre qu'un accroissement d'énergie ne peut venir que d'une source extérieure d'énergie; qu'une transformation d'énergie inférieure en énergie supérieure ne se produit que comme contre-partie d'une transformation au moins équivalente d'une énergie supérieure en énergie inférieure. Toujours le mouvement descendant est la condition du mouvement montant. Une loi analogue régit les choses spirituelles. Nous ne pouvons pas être rendus meilleurs, sinon par l'influence sur nous de ce qui est meilleur que nous.
Ce qui est meilleur que nous, nous ne pouvons pas le trouver dans l'avenir. L'avenir est vide et notre imagination le remplit. La perfection que nous imaginons est à notre mesure; elle est exactement aussi imparfaite que nous-mêmes; elle n'est pas d'un cheveu meilleure que nous. Nous pouvons la trouver dans le présent, mais confondue avec le médiocre et le mauvais; et notre faculté de discrimination est imparfaite comme nous-mêmes. Le passé nous offre une discrimination déjà en partie opérée. Car de même que ce qui est éternel est seul invulnérable au temps, de même aussi le simple écoulement du temps opère une certaine séparation entre ce qui est éternel et ce qui ne l'est pas. Nos attachements et nos passions opposent à la faculté de discriminer l'éternel des ténèbres moins épaisses pour le passé que pour le présent. Il en est ainsi surtout du passé temporellement mort et qui ne fournit aucune sève aux passions.» [10]
[1] FINKIELKRAUT, Alain, L’identité malheureuse, Grasset, Paris 2013 p. 96
[2] WEIL, Simone, L’Enracinement, coll. Espoir Gallimard, Paris 1949, p.6
[3] WEIL, Simone, La pesanteur et la grâce, Plon, Paris, 1948, p.168
[4] WEIL, Simone, L’Enracinement, coll. Espoir Gallimard, Paris 1949, p.113
[5] http://en.wikipedia.org/wiki/incarceration_in_the_united_states
In 2008 approximately one in every 31 adults (7.3 million) in the United States was behind bars, or being monitored (probation and parole). In 2008 the breakdown for adults under correctional control was as follows: one out of 18 men, one in 89 women, one in 11 African-Americans (9.2 percent), one in 27 Latinos (3.7 percent), and one in 45 Caucasians (2.2 percent). Crime rates have declined by about 25 percent from 1988–2008.[17] In recent decades the U.S. has experienced a surge in its prison population, quadrupling since 1980, partially as a result of mandatory sentencing that came about during the "war on drugs." Violent crime and property crime have declined since the early 1990s.
[6] Libération, 11novembre 2013
[7] CARRÈRE D’ENCAUSSE, Hélène, La gloire des nations, Fayard, Paris 1990, p 25
[8] FINKIELKRAUT, Alain, L’identité malheureuse, Grasset, Paris 2013 p. 60
[9] WEIL, Simone, L’Enracinement, coll. Espoir Gallimard, Paris 1949, p.7