La Terre: notre anthologie 2014

Jacques Dufresne

 

À l’occasion du Jour de la Terre 2014, voici des extraits de textes publiés au fil des ans  dans nos divers sites

 

 

La terre, notre fille

 

«Le paysage intérieur humain et le paysage extérieur sont le reflet l'un de l'autre. L'initiative appartient toutefois à l'humain. Trop d'adeptes du développement durable sont persuadés que cet humain peut, sans s'être transformé lui-même d'abord, créer un milieu vivant durable dont il subira progressivement l'heureuse influence par la suite. C'est une illusion. Le jardin intérieur précède le jardin extérieur et lui sert de modèle. Le paysage européen porte encore la douce marque de l'action civilisatrice des moines cisterciens. C'est leur jardin intérieur que ces moines cultivaient d'abord.»

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C’était hier. En marge du Sommet de Rio de 1992.

 Les hommes savaient…et pourtant…

 «J'ai pour ma part longtemps pensé que les Anciens avaient l'excuse de ne pas savoir ce qu'ils faisaient quand ils permettaient à l'érosion de détruire leurs cités. Ce n'était pas le cas. Voici ce que Platon écrivait dans le Critias, quatre siècles avant notre ère et avant l'ensablement d'Éphèse: «Il y avait sur les montagnes de grandes forêts dont il reste encore aujourd'hui des témoignages visibles. Si, parmi ces montagnes, il en est qui ne nourrissent plus que des abeilles, il n'y a pas bien longtemps qu'on y coupait des arbres propres à couvrir les plus vastes constructions. Le sol produisait du fourrage à l'infini pour le bétail. Il recueillait aussi les pluies annuelles de Zeus et ne perdait pas comme aujourd'hui l'eau qui s'écoule de la terre dénudée dans la mer.»

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Terres vendues en Afrique sans le consentement de leurs véritables propriétaires

 Le grand mérite de personnes comme Barbara Ward, présidente, avec René Dubos, du premier sommet de la Terre, celui de Stockholm en 1972,  c'est de savoir incarner les plus grands idéaux dans des institutions sur lesquelles on peut compter ensuite pour veiller sur leur réalisation. On peut porter au moins deux grandes institutions au crédit de Barbara Ward, le mouvement Justice et Paix dans l'Église catholique et l'IIED, (Institut international pour l'environnement et le développement). Cet institut, dont le siège est à Londres, est, en ce moment l'un des hauts lieux d'étude et de réflexion de l'actuelle ruée vers la terre. Il vient de publier sur la question une étude dont voici les grandes caractéristiques: Tous les continents sont touchés
Les pays du Golfe, la Chine, l'Inde compte parmi les acheteurs mais les États-Unis et l'Europe également.
Les acheteurs sont tantôt des entreprises tantôt des nations, mais il est difficile de faire le partage
Les meilleures terres sont visées.

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Le goût de la terre

 «Un des grands drames de notre présence sur la Terre, c'est que nous avons perdu la notion d'identification à un lieu donné. Or, si l'humain ne développe pas d'attachement, voire de tendresse envers son milieu, le confort et l'indifférence prennent le dessus.» Cette opinion du géographe Luc Bureau se reflète dans les propos de Louise Roy, ex-p.d.g. de la STCUM: «Notre société privilégie les choix individuels et l'automobile représente l'apothéose de l'individualité et du confort. Il en résulte malheureusement une organisation de l'espace allant à l'encontre de la ville idéale, qui serait calme, conviviale, verte, respectueuse d

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René Dubos ou l’'optimisme du désespoir

 À la fin de sa vie, notamment dans une chronique intitulé The Despairing optimist, Dubos revenait constamment sur le même thème: «aborder les problèmes écologiques d'un point de vue purement négatif ne mène à rien et surtout ne mobilise pas l'intérêt du public. Le public se fatigue très vite d'entendre seulement des histoires de désastre, il faut donc tout repenser d'une manière beaucoup plus positive.»

 Dubos attachait beaucoup d'importance à la notion de résilience, mot synonyme de rebondissement, qui désigne la capacité qu'ont les écosystèmes de se reconstituer après avoir subi un stress. Soutenue par l'homme, cette aptitude de la nature au redressement est encore plus manifeste. «Je ne connais, disait Dubos, aucune situation, si tragique qu'elle ait pu être, qui n'a pu être redressée en une dizaine d'années, pourvu qu'on accepte de s'en donner la peine et de faire des choses relativement simples, beaucoup moins coûteuses qu'on ne le pense.»

 Il adorait raconter des anecdotes comme celle-ci, propre en effet à remonter le moral des écologistes les plus pessimistes. Il s'agit de la dépollution du magnifique lac qui se trouve au coeur de la ville de Seattle. «Un avocat de la ville, a commencé à parler de la dépollution autour de lui, sans grand succès; personne ne s'intéressait à lui, mais il a pu se mettre en rapport avec la Ligue des femmes qui se préoccupent du vote, et par leur intermédiaire, il a commencé à créer une opinion publique dans la ville, puis après trois ou quatre échecs, un groupe devenu important a obtenu que Seattle vote des crédits suffisants pour que les égouts et les autres ordures ne soient plus déversés dans le lac mais envoyés ailleurs ou traités. Le résultat c'est qu'en moins de sept ans, sans aucun traitement de la nappe d'eau, mais simplement en cessant de polluer, les pouvoirs de récupération de la nature ont agi tout naturellement et le lac est redevenu aussi beau qu'il l'était avant.»

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C’était il y a cent ans. Figure des paysages

 Il y a, comme on le sait, une Société ingénue qui se dénomme : « Pour la protection des Paysages ». Elle surveille, attentive aux méfaits des hommes, la beauté des points de vue et la stabilité des sites. De même qu’un berger virgilien, elle fait entendre des plaintes poétiques contre les déprédateurs de la grâce terrestre. Elle prête sa voix au ruisseau vert qu’un barbare contraint à filer la laine; au vallon qu’une arche de fer enjambe d’un air insolent; à la colline blessée par un chemin de fer. Sa présence calme un peu la secrète douleur des choses et les arbres, heureux d’êtres aimés, s’inclinent à son approche.

 

Tels visages, tels paysages

 Peut-on dire tels visages, tels paysages? Pascal, qui doutait de tout, n'en doutait pas, du moins si l'on en juge par le passage des Pensées sur le modèle d'agrément et de beauté; caractérisé par la mesure, la juste proportion. Il allait de soi à ses yeux qu'un tel modèle s'applique aussi bien au style qu'aux vêtements et aux maisons. Il faisait même de ces analogies un moyen pédagogique. Vous hésitez à porter un jugement sur le style de tel auteur! Essayez, disait-il, d'imaginer une femme habillée sur le même modèle et tout deviendra clair à vos yeux.[…]

 Nous disions qu'il y a en ce moment risque d'uniformisation des visages et des corps. Observez bien le paysage à la campagne. Vous y verrez partout les mêmes vaches, noires et blanches, objets d'une sélection génétiquement contrôlée en vue de la production de lait. Vous y verrez à perte de vue des champs où ne poussent, selon les régions, que du maïs, du blé ou des pommes de terre. Les clôtures ont disparu et avec elles la variété qu'elles délimitaient. Quelques Anglais entêtés luttent encore pour protéger les dernières clôtures de pierre qui avaient si fortement caractérisé le paysage de leur pays. Et si le Botox fait disparaître les rides, le round up de Monsanto fait disparaître les mauvaises herbes.

De la sollicitude pour la terre à la justice verticale

 Au moment où les hommes considéraient la terre comme un lieu de passage, ils y construisaient pour l'éternité; ils l'ont transformée en terrain de camping à partir du moment où ils ont commencé à la considérer comme leur habitat unique et définitif. [...]

 La sollicitude pour la terre et pour la vie a fait réapparaître le sens de la verticalité dans les consciences, d'où il avait complètement disparu. Depuis le début de l'ère industrielle, seule la justice horizontale importait : l'idéal était de partager les richesses entre le plus grand nombre possible d'individus d'une même génération. Personne ne se préoccupait de ce qui allait être laissé en partage à l'humanité future. Puis, subitement, nous sommes devenus sensibles au fait que nos descendants ne verraient peut-être plus certains animaux sauvages, qu'en une année, nous consommons des matières fossiles que la vie terrestre a mis des millénaires à accumuler. Cette réapparition de la verticalité, grâce à laquelle les hommes du Moyen-Age nous ont laissé des monuments dont nous vivons encore, constitue un événement de toute première importance, qui devrait modifier notre perception d'un large éventail de phénomènes. Il y a quelques années à peine, l'instantanéisme et l'horizontalisme étaient tels qu'on ne se préoccupait même pas de l'avenir immédiat.

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