La musique: une fuite vers l'essentiel

Lise Dolbec

D’aussi loin que je me souvienne, la musique a été au centre de ma vie. Maman était violoniste et papa, mélomane. Aînée d’une grande famille, j’ai pu, très jeune, suivre des cours de piano et de chant, sans compter la flûte à bec enseignée à l’école.

Chaque fois que j’écoutais la Symphonie no 5 de Tchaïkovski, j’éprouvais une émotion indéfinissable, un sentiment réconfortant et particulièrement intense.

Quand j’en ai parlé à ma mère, elle m’a répondu qu’elle répétait cette symphonie avec l’orchestre dans lequel elle jouait lorsqu’elle était enceinte de moi. Cette œuvre a donc pris pour moi un sens tout particulier, comme le son du violon. 

La musique m’a permis de traverser les épreuves de la vie.  Elle a toujours été mon refuge et ma soupape dans les moments de tension. 

On dit qu’en cas de stress, les gens vont être portés à figer, à frapper ou à fuir : les 3 F.  La musique, tout comme l’art en général, est une fuite saine. On oublie, pour un temps, ses déboires et frustrations. On prête attention à la création plutôt qu’à la victimisation et à l’autodestruction. 

Improviser est très libérateur. Que ce soit au piano ou avec un autre instrument, pas besoin d’être un prodige : il suffit de laisser les émotions s’exprimer.

La musique peut servir à exprimer des moments d’euphorie ou de tristesse tout comme elle peut en générer. Elle permet de saisir la beauté et de s’y attarder aussi souvent et longtemps qu’on le souhaite.

 Il est possible de qualifier son rythme, d’exprimer aux autres la douceur ou la violence qu’elle véhicule, d’aborder ses crescendos ou diminuendos, mais il faut vraiment l’entendre et s’y abandonner pour en saisir toutes les subtilités.

Quel bonheur d’écouter la Messe en Ut Mineur de Mozart, son Requiem ou celui de Fauré! Incarnée par des chœurs et par tout un orchestre, cette musique rejoint l’âme. On peut sentir son côté sacré, nonobstant l’aspect religieux du texte. On a alors le sentiment de flotter au-dessus de la condition humaine. 

J’ai eu la chance d’être imprégnée de musique avant ma naissance. Maintenant que je peux profiter du recul de l’âge mûr, je suis consciente d’avoir reçu un cadeau inestimable de la vie. Des personnes que j’ai connues et qui ont découvert la musique classique à l’âge adulte m’ont déclaré qu’elles avaient dû entraîner leur oreille, que le plaisir n’était pas venu instantanément. D’autres n’ont jamais été attirées par la musique, quelle qu’elle soit, et mes tentatives pour susciter leur intérêt ont été infructueuses. On ne peut forcer un cœur à aimer. 

L’apprentissage d’un instrument quand on est jeune est bénéfique sur bien des plans. Plusieurs recherches prouvent qu’on rend un grand service à un enfant en le mettant très tôt en contact avec la musique.  Pour ma part, elle m’a été plus que salutaire. J’y ai trouvé une amie, un havre de paix pour la vie.

Il y a des années, j’ai eu l’occasion d’en expérimenter les possibilités thérapeutiques. La fillette d’une voisine aimait par-dessus tout chanter. Chaque fois que je me rendais à son domicile, elle m’invitait à entonner quelques airs avec elle.  Un jour, j’ai expliqué à la jeune enfant qu’elle n’était pas obligée d’interpréter des chansons apprises par cœur et qu’elle pouvait tout aussi bien en inventer elle-même. Peu après, alors que je la gardais en l’absence de sa mère, elle s’est cachée dans la douche, intimidée, pour me faire entendre, disait-elle, une composition. Ainsi, elle m’a fait part, pendant de longues minutes, des sentiments que les disputes et colères de ses parents provoquaient chez elle. Des événements qu’elle ne m’aurait sans doute jamais révélés pour ne pas trahir un secret familial. Sa « création » lui offrait une distance par rapport à la réalité et elle pouvait se permettre d’exprimer les faits.  Elle m’a également fait part de la peine qu’elle éprouvait à la suite du décès de sa grand-mère. À 6 ans, elle m’a chanté ses états d’âme et, parce qu’elle s’est ainsi confiée, j’ai pu intervenir et la réconforter.

Nous restons attachés à la musique de notre enfance et, comme les modes évoluent, s’adapter n’est pas toujours facile. Les artistes que nos parents écoutaient ne nous conviennent généralement pas. La musique « à la mode » devient un liant qui permet de se reconnaître entre membre d’une même génération.

La musique classique ne se démode pas. Elle procure toujours des sensations exaltantes aussi bien qu’apaisantes, qui permettent d’affronter plus facilement les aléas de la vie.

Des images ressurgissent au son d’une musique déjà entendue, tout comme des souvenirs peuvent émerger au contact d’un parfum. On se rappelle des émotions, des lieux, des mots associés aux événements.

 Il y a des musiques douces et nostalgiques; des musiques joyeuses ou endiablées; des musiques agressantes pour les uns, agréables pour d’autres suivant les époques ou les énergies qui nous habitent à tel ou tel moment. Dis-moi ce que tu écoutes et je te dirai qui tu es.  

Quand je me mets au piano, de nouvelles mélodies surgissent sous mes doigts.  Elles ne seront jouées qu’une seule fois, puis oubliées. Pas besoin d’être un grand musicien pour ressentir les bienfaits de la musique et célébrer la beauté du monde. C’est ma façon d’aimer la vie.

 Des œuvres que j’aime

www.youtube.com/watch?v=wqT0zEw5Vy0  (Symphonie no 5 Tchaikovski)

https://www.youtube.com/watch?v=aiugex0rruu  (Messe en Ut mineur, Mozart)

https://www.youtube.com/watch?v=c1_n5rsvevy (Requiem, Mozart)

https://www.youtube.com/watch?v=unilupxmipm (Requiem, Fauré)

https://www.youtube.com/watch?v=haseluaw20m (Symphonie no 7, Beethoven)

https://www.youtube.com/watch?v=oj9e8aerbvq (Valse du printemps, Chopin)

 

Extraits :

Le Sanctus du Requiem de Fauré :

https://www.youtube.com/watch?v=xflm99fprvm

                 Le Lacrimosa bien connu du Requiem de Mozart :

        https://www.youtube.com/watch?v=d7bgitq9i_y

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