Le séminaire de Joliette

Léo-Paul Hébert
Il existe entre le collège de La Pocatière et celui de Joliette un rapport de filiation. Voici deux institutions qui ont profité de la liberté dont on jouissait alors en éducation pour briser un modèle unitaire qui pouvait devenir dangereux pour la collectivité francophone. À l'image de celui de Kamouraska, (aujourd'hui La Pocatière) le collège de Joliette serait industriel (commercial). On pourrait y étudier le latin, mais seulement après le cours commercial. J'ai fondé cet établissement, écrivait Barthélemy Joliette, pour faire disparaître ce mauvais mode d'enseignement qu'il y a dans le pays: faire étudier aux enfants quelques années de latin seulement, de sorte que, quand ils sortent du collège, ils ne sont capables de rien.

Autre particularité: le fondateur du nouveau collège fut un laïc, celui même qui, en 1823, avait fondé le village de l'Industrie, aujourd'hui ville de Joliette. Pour assurer la permanence de son collège, Barthélemy Joliette le confia à une communauté religieuse, les Clercs de Saint-Viateur.

Nous sommes en 1847, année de la fondation. On publia alors le programme du collège Joliette, qui annonçait un bon cours d'anglais et de français avec tout ce qui est nécessaire pour un bon cours commercial, d'agriculture, de botanique, de dessin linéaire, etc., etc., promettant un cours de latin pour ceux qui désireraient l'apprendre, après avoir suivi pendant quelques années le cours des sciences ci-dessus désignées, leur étant nécessaire pour parvenir à l'état ecclésiastique, ou embrasser quelque profession libérale[...].

Le collège de Joliette déclara dans son programme qu'il marcherait sur les traces de celui de la maison de Kamouraska et qu'il donnerait un rude coup aux collèges routiniers. Ce programme alerta les maisons d'éducation voisines; elles critiquèrent, puis elles agirent sur tous les points, ne ménageant rien, même les médisances, pour ne pas dire plus, engageant l'évêque à restreindre de tels cours d'enseignement, disant qu'il y avait trop de collèges. (Champagneur, Annales, 1871).

Pendant plusieurs années, le Collège de Joliette offrit le cours classique abrégé après le cours commercial. Même après que le collège eût obtenu le statut de collège classique en 1873, le cours commercial occupa toujours une place importante et ne fut abandonné qu'en 1937. Barthélemy Joliette avait des vues très modernes pour son époque. Dans le plan qui accompagne la Donation de 1850, il avait prévu des espaces pour établir des bains d'une école de natation et un jardin botanique.

Le décor

Le dernier tiers du XIXe siècle est influencé fortement par un personnage qui remplit toute la vie joliettaine, le Père Cyrille Beaudry. Le soin qu'il accorde à l'environnement est remarquable: grâce à lui, une vaste cour de récréation de douze arpents de longueur, quadrillée par des allées d'ormes ombrageant les tennis et les terrains de balle, est aménagée. Cette cour commençait par une terrasse près du collège et se terminait à l'extrémité par un petit bois, presque sacré, interdit en temps ordinaire; il ne manquait pas de mystère.


L'allée bordée d'arbres de la cour de récréation.
On y trouvait un étang, le petit pavillon de la tabagie et un imposant jeu de balle-au-mur, construit en 1896 au coût de 1,038 $, ce qui représentait à l'époque 6% des dépenses de l'année!


Cette cour sera agrandie en 1903 par l'achat d'une lisière de terrain qui bordait la rivière. Par la suite on plantera sur cette lisière une magnifique allée de peupliers que tous les anciens ont connue.

L'enseignement

Au début du XXe siècle, jusqu'aux années soixante, les effectifs étudiants oscillent entre 400 et 700 élèves environ, dont les trois quarts sont pensionnaires. La durée du cours, sept ou huit ans selon les cas, permet non seulement aux élèves de se connaître, mais aussi de jouir de certaines traditions bien enracinées sur le plan culturel, artistique et sportif.

Que valait l'enseignement des professeurs? Les classes de niveau collégial (Belles-Lettres, Rhétorique, Philosophie I et II), étaient dirigées par des professeurs qualifiés. Pour les classes dites de grammaire, correspondant à peu près au secondaire actuel, un certain nombre de professeurs de carrière assuraient l'encadrement des plus jeunes, qui apprenaient leur métier sur le terrain. Dans l'un de nos quotidiens montréalais, il y a une vingtaine d'années, un correspondant anglophone (catholique sans doute) comparait l'enseignement des collèges classiques aux sacrements: le résultat était efficace, même si les ministres n'étaient pas toujours à la hauteur!


On a dit des professeurs de collèges classiques qu'ils ne s'adonnaient à l'enseignement qu'en attendant une cure dans une paroisse. Cela est faux dans le cas du Séminaire de Joliette. Les religieux, clercs de Saint-Viateur, faisaient toute leur carrière dans l'enseignement. Quant aux prêtres diocésains qui enseignaient à leurs côtés, beaucoup d'entre eux le faisaient sur une période de vingt-cinq ans! Le professeur titulaire dans chaque classe connaissait tous ses élèves et pouvait les suivre individuellement.

Les arts et la musique

Bon nombre d'anciens du séminaire de Joliette ont gardé un souvenir nostalgique de leurs études, et particulièrement ceux des années 1940-60. C'est une période où le séminaire de Joliette a eu le privilège de compter parmi les membres de son personnel plusieurs éducateurs de grande valeur, qui se sont illustrés dans les sciences, les arts, les lettres, la musique et le chant. Ce passé n'est pas étranger au fait que la région de Lanaudière est aujourd'hui un haut lieu de la musique au Québec.

À quoi faut-il attribuer cette réputation du Séminaire de Joliette et le succès de son projet éducatif? À l'enseignement privé? À l'élitisme? À l'encadrement? Au pensionnat? À sa situation financière? Les études sur le financement du collège montrent que cet établissement a réussi à durer en dépit de pertes considérables, qui ne se sont éteintes qu'avec la vente de l'édifice au Cégep Joliette-De Lanaudière. Et encore faut-il rappeler que le salaire des professeurs était pratiquement inexistant. Il est évident que le système de pensionnat permettait des activités culturelles et sportives qu'il aurait été plus difficile de maintenir à un même niveau dans un externat. Que dire de l'encadrement? Le bénévolat (même si le terme n'existait pas encore) jouait un très grand rôle.
Et l'élitisme? S'il a existé il a d'abord été intellectuel et il s'est manifesté par la recherche de l'excellence dans les arts, les lettres et les sciences. Si, selon l'expression utilisée dans les années 1950, on exigeait des élèves un bon quotient intellectuel, par contre, les élèves provenaient en très grande partie des couches les plus modestes de la société.

Les heures d'études imposées aux élèves ont certainement favorisé le goût de la lecture. On lit d'abord pour tuer le temps, puis on se laisse prendre au plaisir de lire. Certains sont devenus mélomanes en assistant aux répétitions de l'orchestre du Séminaire, le dimanche avant-midi. L'assistance aux concerts de musique classique était imposée à tous (y compris aux plus jeunes). Les anciens et leur progéniture apprécient maintenant les concerts du Festival international de Lanaudière.

L'initiation aux arts plastiques ne se faisait pas uniquement en studio de peinture. Des expositions avaient lieu au grand parloir. L'une des expositions fut célèbre entre toutes, celle de 1942 sur la peinture moderne, qui compta beaucoup, dit-on, dans la carrière de Paul-Émile Borduas.
Quant au théâtre, combien se souviennent de spectacles dont ils ont d'abord pressenti la beauté avant de la goûter? Les pièces de Shakespeare, de Bernard Shaw, de Claudel, de Molière étaient jouées par des élèves, plus rarement par des troupes de passage.

Jusqu'à quel point peut-on reproduire certaines de ces conditions à l'intérieur de l'enseignement privé tel qu'il existe de nos jours? Les conditions socio-économiques actuelles permettront-elles la créativité des éducateurs? Les Japonais seront-ils les seuls à vouloir tirer profit de nos traditions?



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