El arte contemporaneo es un fraude

Jacques Dufresne

El arte contemporaneo es un Fraude, par Avelina Lésper, mexicaine. Le livre est offert gratuitement sur le site de l’auteure, lequel contient de nombreux articles et textes de conférence.

 Ce texte fait partie d'une série d'articles regroupés sous le tire Quatre articles convergeant vers la critique du narcissisme.

Quand Marc Chevrier a attiré notre attention sur ce livre, il a aussi formulé le vœu que nous attachions plus d’importance à l’hispanité dans nos travaux. C’est là, a-t-il précisé, un monde en ébullition qui a beaucoup à nous apprendre. Nos lecteurs n’en douteront plus après avoir pris connaissance de l’œuvre de la critique d’art Avelina Lésper, une mexicaine qu’on peut lire aussi bien dans des revues comme Excelsior que sur son propre site. Elle est aussi connue hors de l’hispanité. Il a récemment été question de ses travaux sur l’art à l’émission Second regard de la SRC, de même que dans Le Nouvel Observateur qui a présenté en français l’un de ses articles, constituant une excellente introduction à sa pensée.

Nous en présenterons un extrait, mais seulement après avoir rappelé qu’Evelina Lésper s’inscrit dans une tradition qui remonte au philosophe espagnol Ortega y Gasset lequel est, avec Theodor Adorno, l’une de ses sources d’inspiration. En 1925, quelques années après l’avènement du cubisme, Ortega y Gasset publiait La deshumanizacion del Arte qui annonce la critique actuelle, celle d’Evelina mais aussi celle de Jean Clair et celle des auteurs Du narcissisme dans l’art contemporain.

« Dans sa fuite de ce qui est humain, ce qui intéresse l’art nouveau, ce n’est pas tant le terminus ad quem (…) que le terminus a quo, l’aspect humain qu’il détruit. Il ne s’agit pas de peindre quelque chose de complètement différent d’un homme, d’une maison, ou d’une montagne, mais de peindre un homme qui ressemble le moins possible à un homme (…) Le plaisir esthétique pour l’artiste nouveau émane de ce triomphe sur ce qui est humain ; c’est pourquoi il faut matérialiser la victoire et présenter dans chaque cas la victime étranglée. »( La deshumanizacion del Arte, el arquero, revista de Occidente, Madrid, 1967, p.36)

C’est le philosophe américain Arthur C Danto qui a le plus efficacement contribué à élargir le sens du mot art au point qu’il puisse englober l’urinoir de Marcel Duchamp et les boites de Brillo d’Andy Warhol, c’est-à-dire n’importe quel objet, y compris les excréments. Le défi était de taille : il fallait en effet un talent de magicien hors du commun pour faire entrer dans une même catégorie la Joconde et un urinoir! L’un et l’autre, décréta Danto, sont une transfiguration de la réalité, ils s’imposent comme objet d’art par la signification qu’on leur donne dans le discours qu’on tient sur eux. Ici le discours précède l’œuvre et en constitue souvent l’essentiel. Pour légitimer son décret, Danto eut recours à une analogie théologique : la transsubstantiation. De même, de même, dit-il, que l’hostie devient le corps du Christ quand elle est consacrée, de même l’urinoir devient un objet d’art quand il entre dans une galerie dans le vent comme le White Cube de Londres, puis dans un grand musée après avoir reçu la sanction d’une revue d’avant-garde. Galerie, revue, musée sont les trois étapes d’une même consécration, qui est aussi une opération financière qui doit être rentable. On a comparé la stratégie des grandes compagnies pharmaceutiques à celle de la mafia. La comparaison est encore plus justifiée dans le cas de l’art contemporain. Pour qu’une pièce de non-art comme le Crâne aux diamants de Damien Hirst puisse se vendre 100 millions de dollars, il faut une collusion nauséabonde entre les trois opérateurs de la consécration. Et quand la même collusion a lancé des milliers de déchets semblables dans le ciel jadis réservé à la beauté, il en résulte un système cimenté par les intérêts de tous ceux qui se sont engagés dans cette spéculation sur des biens dont la seule valeur est celle que leur donne le décret d’Arthur Danto. On sait ce qu’il advint de la bulle des hautes technologies au début des années 2 000, puis de la bulle immobilière en 2008. La bulle de l’art contemporain, sans cesse regonflée depuis près d’un siècle, résiste encore à la gravité, mais elle se dégonflera bientôt si les coups de poignards comme celui d’Avelina Léspér se multiplient.

Car c’est à l’ensemble du système qu’elle s’attaque en commençant par le décret fondateur de Danto. Poursuivant l’analogie avec l’église catholique, sous son aspect le plus autoritaire, elle démontre que l’édifice de l’art contemporain repose sur une série de dogmes, bien présentés dans l’article repris par le Nouvel Observateur, dont voici les premières lignes :

« On accueille aujourd’hui dans les musées des objets dénués de valeur esthétique, présentés comme étant de l’art, au nom du dogmatisme : par soumission totale aux principes imposés par une autorité. En théologie, un dogme est une vérité ou une révélation divine que l’on impose aux fidèles pour qu’ils y croient. Kant opposait philosophie dogmatique et philosophie critique, ainsi que l’usage dogmatique de la raison à l’usage critique de la raison. Le dogme ne tolère aucune réplique ni aucun questionnement, il existe a priori. […]

« Le dogme agit dans la mesure où on lui obéit sans le remettre en question, uniquement par ce que les idéologues de l’art affirment: « Ceci est de l’art. » Celui-ci est devenu une forme de superstition qui nie les faits; y croire suffit à accomplir la transformation. »

La suite de l’article est tout aussi intéressante. Après l’avoir lu, on n’a plus qu’un désir : en savoir davantage sur la pensée de l’auteure. Plusieurs de nos lecteurs connaissent l’espagnol, quant à ceux qui n’y ont été exposés qu’à Cuba, Cancun ou Granada pendant quelques semaines, je les invite à ouvrir leur dictionnaire ou le traducteur de Google et à se rendre sur le site personnel d’Avelina Lésper, dont voici un passage :

«El arte no es progreso y esa es su virtud. El progreso se mide por alcances económicos, sociales y políticos, es un avance que proyecta poder, elimina al pasado e invade el futuro. El ritmo del progreso es frenético, devastador, erige su propio altar para adorarse. El arte utiliza el tiempo en un gesto, una palabra, un color, en contemplación o en nada. La presión que el arte sufre para ser “actual y con las preocupaciones de nuestro tiempo” ha desvirtuado su trayecto, lo conduce a los objetivos redituables (rentables) del progreso.

Après ce premier contact avec l’œuvre d’Avelina Lésper, je n’ai qu’un regret: qu’elle se soit limitée à l’aspect dogmatique de la transsubstantiation, négligeant ainsi sa dimension symbolique, laquelle a inspiré à George Steiner, dans Présences réelles, de très belles pages sur l’art :

« Là où nous lisons vraiment, là où l'expérience doit être celle du sens, nous faisons comme si le texte (le morceau de musique, l'œuvre d'art) incarnait (la notion a ses fondements dans le sacré) une présence réelle d'un être signifiant. Cette présence réelle, comme dans une icône, comme dans la métaphore réalisée du pain et du vin consacrés, est finalement irréductible à toute articulation formelle, à toute déconstruction analytique et toute paraphrase.»(George Steiner, Le sens du sens, Paris, Vrin, 1988, p.63)

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