Du Big Bang au Smoot Bang

Jacques Dufresne

 
 L’excellente vidéo des frères Bogdanov m’incite à contester encore une fois le recours à la métaphore du Big Bang, pour décrire cet événement initial de l’univers qui, selon un nombre croissant de savants, ressemble plus à une éclosion qu'à une explosion comme l’expression Big Bang nous incite à le croire.

Je refuserai toujours d’appeler Big Bang l’événement à l’origine de l’univers. Non parce que je mets en doute les faits connus et depuis peu, photographiés, mais parce que j’estime que Big Bang est une métaphore hiroshimesque, signature d’une époque où triomphaient les philosophies de l’absurde et où la libération consistait à s’exploser.

C’est un prêtre catholique belge, qui était aussi astrophysicien, le chanoine Georges Lemaître qui, le premier, en 1927, a formulé la théorie de l’atome primitif, connu aujourd’hui sous le nom de Big Bang. Ce mot a d’abord été utilisé par Fred Hoyle, le grand rival de Lemaître en astrophysique, pour ridiculiser l’idée de l’atome primitif et de l’expansion de l’univers qui en est la conséquence.

Aux yeux d’Aristote, l’univers n’avait pas eu de commencement, il avait toujours existé. Cette thèse a donné des migraines à tous les interprètes de la Bible, laquelle défend la thèse de la création ex nihilo à un moment déterminé. Le Chanoine Lemaître étant catholique aurait pu mettre son hypothèse au service de l’idée chrétienne de création. Il a plutôt reproché au pape Pie XII d’avoir, sans le nommer, fait un tel usage de son hypothèse. En bon scientifique, il rappelait au pape que ce n’était encore là qu'une hypothèse. Ces choses se passaient avant 1965, année où la première preuve de l’éclosion initiale fut établie par Arno Penzias et Robert Wilson.

Lemaître résista toujours à la tentation de confondre science et religion. C’est paradoxalement son rival Fred Hoyle, partisan de l’idée d’un univers stable, un athée militant, qui résista le plus mal à cette tentation, ce que confirme, entre autres documents, un article de la revue Pour la science.

« Ainsi, l'astronome britannique Fred Hoyle, partisan, pour des raisons philosophiques, d'un modèle d'Univers éternel, forgea-t-il le terme péjoratif de Big Bang (« gros boum » en français) pour ridiculiser les idées de Lemaître. Ironie du sort, ce bon mot est aujourd'hui utilisé sans connotation négative pour désigner une théorie que de nombreux faits expérimentaux ont, depuis, étayée. Quant aux convictions scientifiques de Lemaître, elles se fondaient non pas sur sa foi, mais sur des arguments mathématiques et physiques de grande valeur. Quelques moments marquants de sa carrière éclairent la portée scientifique de certaines de ses intuitions.» Source

Cette ironie du sort est une chose si amusante au fond qu'on voudrait conserver le mot Big Bang uniquement pour cette raison. Ne devrais-je pas moi-même prendre la chose avec plus de légèreté, comme on l’a fait au théâtre, dans une pièce présentée à Paris en février dernier sous le titre de « Sur la route de Montalcino »?

« Création de l’Atelier Théâtre Jean Vilar, “Sur la route de Montalcino” nous emmène dans la douceur de la Toscane. Les cigales, les oliviers, l’auberge des voyageurs, la terrasse, la fontaine, tout y est.

En route pour une discussion contradictoire devant le Pape, le chanoine belge Georges Lemaître, concepteur de la théorie du Big Bang et son plus farouche opposant, l’Anglais Fred Hoyle accompagné de son épouse, tombent en panne. Perdus dans la campagne toscane, ils se retrouvent pour une nuit dans une auberge typique.

S’ensuit une mémorable soirée de querelle métaphysique, arbitrée malgré lui par un aubergiste, Saint-Père de fortune.

Basée sur des faits historiques, Sur la route de Montalcino s’en écarte avec une joie évidente pour explorer une rivalité intelligente et pleine d’humour. Traitant avec une légèreté déconcertante d’un problème aussi scientifique que le Big Bang, la pièce invite à une réflexion sur le sens de l’existence, dans la douceur de l’été toscan.

Un décor splendide, des comédiens aguerris et une mise en scène parfaitement orchestrée par Olivier Leborgne font de ce texte une pièce brillante, raffinée et drôle.

“Sanglé dans une soutane, Alexandre von Sivers joue avec délectation le subtil et épicurien chanoine, face au savant britannique athée campé avec pertinence par François Sikivie, irascible et ironique en diable.” La Libre Belgique, 14 août 2009. »
 

Maison de la culture Famenne ardenne

 

Mais combien parmi les milliards d’humains dont la vision du monde se résume au Big Bang sont en mesure de situer le mot dans son contexte et lui donner par là une espèce d’innocence? Le sujet est d’une telle importance et les connotations de l’expression Big Bang sont d’une si grossière évidence, qu'’il faut bannir ce mot. Pourquoi avoir recours à la métaphore de l’explosion, quand celle de l’éclosion a une signification voisine? L’explosion évoque plutôt le hasard et la force brute. Une éclosion est une explosion qui a un sens.

Il y a trente ans toutefois, le recours à la métaphore de l’œuf et de l’éclosion était une forme d’acte de foi, bien mal soutenu sur le plan rationnel  par les grandes traditions, en Inde notamment, qui assimilent l’origine du monde à une éclosion.

Mais depuis les premières photos de la prime jeunesse de l’univers prises depuis les satellites Cobé, et surtout depuis les photos toutes récentes prises à partir du satellite Planck, nous pouvons tous voir que l’univers enfant a la forme de l’œuf. Il est difficile d’imaginer qu'une forme si parfaite puisse être le résultat d’une explosion, ce que contestent effectivement les frères Bogdanov même s’ils continuent à utiliser l’expression Big Bang.

Même si je suis le seul au monde à le faire, j’emploierai désormais l’expression Smoot Bang, d’une part pour introduire un peu de douceur dans la violence de l’éclosion initiale et d’autre part, en souvenir de l’astrophysicien américain George Smoot qui, avec son collègue John Mather, a pris la première photo en forme d’œuf, de l’univers près de son origine.

Depuis Newton nous avions une conception formelle, abstraite, qui réduisait le monde à une machine. Nous venons de franchir la seconde étape dans l’ébauche d’une vision du monde. La première étape ce fut la terre vue de l’espace apparaissant avec les couleurs d’un fruit au milieu des astres gris et morts. Paradoxalement, la conquête de l’espace par une machine, la fusée, nous ramenait à la vie : une vie précieuse, rare, fragile jusqu’au sacré. Et voici une merveille encore plus inattendue : l’œuf, symbole par excellence de la vie et du sens, serait à l’origine de cet univers dominé par la force. Autre paradoxe, c’est la maîtrise de cette force qui donne accès à cette beauté première dans laquelle les astrophysiciens Smoot et Bogdanov ont reconnu le visage de Dieu.

 

 

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