Descartes à l'origine du féminisme?

Jacques Dufresne

Descartes féministe? Évitons la précipitation. C’est seulement sa méthode qui est en cause: elle a conduit un de ses disciples, François Poulain de La Barre (1647-1725) tout droit au féminisme. Cet homme qui fut prêtre catholique avant de se convertir au protestantisme, eut l’idée d’appliquer le doute cartésien aux idées reçues sur l’inégalité entre les sexes. Voici ce qu’on peut lire à ce sujet dans la préface de De l’égalité des deux sexes[1]:

«DE tous les Préjugés, on n’en a point remarqué de plus propre à ce dessein que celui qu’on a communément sur l’Inégalité des deux Sexes.
EN effet, si on les considère en l’état où ils sont à présent, on observe qu’ils sont plus différents dans les fonctions Civiles, et qui dépendent de l’Esprit, que dans celles qui appartiennent au Corps. Et si on en cherche la raison dans les Discours ordinaires, on trouve que tout le Monde, ceux qui ont de l’étude, et ceux qui n’en ont point, et les Femmes même s’accordent à dirent qu’elles n’ont point de part aux Sciences ni aux Emplois, parce qu’elles n’en sont pas capables ; qu’elles ont moins d’Esprit que les hommes, et qu’elles leur doivent être inférieures en tout comme elles sont.

APRES avoir examiné cette Opinion, suivant la règle de vérité, qui est de n’admettre rien pour vrai qui ne soit appuyé sur des idées claires et distinctes ; d’un côté elle a paru fausse, et fondée sur un Préjugé, et sur une Tradition populaire ; et de l’autre, on a trouvé que les deux Sexes sont égaux ; c’est-à-dire, que les femmes sont aussi Nobles, aussi parfaites, et aussi capables que les hommes. Cela ne peut être établi qu’en réfutant deux sortes d’Adversaires, le Vulgaire, et presque tous les Savants. » [2]

Descartes estimait que le corps et l’âme sont distincts, ce qui allait servir le projet de notre féministe. Il avait en effet observé que c’était dans les choses de l’esprit que l’infériorité des femmes étaient le plus marquée. Il n’eut aucune peine à démontrer que l’esprit, séparé du corps, est le même chez les femmes que chez les hommes. Il eut encore moins de peine à tirer sa conclusion : à esprits égaux, Emplois égaux, quelle que puisse être la différence au niveau des corps : la femme pourrait donc être médecin, juge, philosophe, physicienne. C’était pourtant l’époque où Molière ridiculisait les Femmes savantes, savantes de la fausse science, il est vrai.

« EN effet nous avons tous hommes et femmes, le même droit sur la vérité, puisque l’esprit est en tout également capable de la connaître, et que nous sommes tous frappés de la même façon, par les objets qui font impression sur le corps. Ce droit que la nature nous donne à tous sur les mêmes connaissances, naît de ce que nous en avons tous autant de besoin les uns que les autres. Il n’y a personne qui ne cherche à être heureux, et c’est à quoi tendent toutes nos actions ; et pas un ne le peut être solidement que par des connaissances claires, et distinctes ; et c’est en cela que JESUS-CHRIST même et saint Paul nous font espérer, que consistera le bonheur de l’autre vie. » [3]

A en juger par l’importance des sciences, l’informatique en particulier, dans nos vies --quoi de plus rationnel qu’un algorithme !--nous sommes plus que jamais en contexte cartésien. Ne faut-il pas voir là aussi un contexte favorable à l’accès des femmes aux Emplois? Et quand les féministes les plus radicales soutiennent que le corps n’entre pas dans la définition de la femme, ne sombrent-elles pas dans une vertu cartésienne devenue folle? Et voyez comme les situations d’hier et d’aujourd’hui se ressemblent :

«ENTRE tous les défauts que l’on donne aux femmes, l’humeur inconstante et volage est celle qui fait plus de mécontents. Cependant les hommes n’y sont pas moins sujets ; mais parce qu’ils se voient les Maîtres, ils se figurent que tout leur est permis : et qu’une femme s’étant une fois attachée à eux, le lien ne doit être indissoluble que de sa part ; quoiqu’ils soient tous deux égaux, et que chacun y soit pour soi.»[4]

 

Il faut lire François Poulain de La Barre.  De l’égalité des deux sexes est disponible en ligne dans un excellent format PDF.

De l’égalité des deux sexes

http://blog.le-miklos.eu/wp-content/Poullain-EgaliteDesDeuxSexes.pdf



[1] http://blog.le-miklos.eu/wp-content/Poullain-EgaliteDesDeuxSexes.pdf

 

[2] P.5de l’édition en ligne citée.

 

[3] P.49 op.cit.

[4] P.72 op.cit.

À lire également du même auteur

Une rétrovision du monde
C‘est dans les promesses d’égalité que Jean de Sincerre voit la premi&egra

Éthique de la complexité
Dans la science classique, on considérait bien des facteurs comme négligeables. C'

Résurrection de la convivialité
Ivan Illich annonçait dès les années 1970 une révolution, litt&eacu

Mourir, la rencontre d'une vie
Si la mort était la grande rencontre d’une vie, que gagnerait-elle, que perdrait-elle &

Bruyère André
Alors qu'au Québec les questions fusent de partout sur les coûts astronomiques li&e

Noël ou le déconfinement de l'âme
Que Noël, fête de la naissance du Christ, Dieu incarné, Verbe fait chair, soit aus

De Desmarais en Sirois
Démocratie ou ploutocratie, gouvernement par le peuple ou par l'argent? La question se po

Le retour des classiques dans les classes du Québec
Le choix des classiques nous met devant deux grands défis : exclure l’idéal




Articles récents