Commentaire de Dominique Collin sur un quatuor de Beethoven

Domnique Collin

 

On s'habitue à tout, même à la vie; surtout à la vie, peut-être. Si bien qu'on finit par ne plus la voir et ne plus voir que ce qu'on y projette de soi - ses peurs, ses désirs, ses idées, ses projets, ses besoins, ses urgences, et davantage ce qui manque que le miracle de ce qui est.  Puis un jour - maladie, incendie, accident - on croit tout perdre. Pour qui s'en relève, le mystère de l'incarnation apparaît dans toute son immédiateté.  L'attelage dépareillé de l'âme, si bien décrit par Platon, se réconcilie: ni ciel ni terre, mais l'éternel dans l'instant, et la joie à travers ce qui passe et même à travers les larmes.  C'est ce qu'évoque pour moi le cantique qui ouvre le troisième mouvement, intitulé Heiliger Dankgesang eines Genesenen an die Gottheit  (hymne de reconnaissance du convalescent à la Divinité), du 15e quatuor, en la mineur, opus 132, composé alors que Beethoven se relevait d'une longue fièvre que l'on avait cru fatale.  Cet adagio en mode lydien, écho lointain de musique d'église, semble suspendu dans le temps; puis, soudainement, il s'ouvre sur la vie qui reprend avec une énergie renouvellée (neue Kraft fühlend, précise la partition); les forces contraires des voix hautes et basses du quatuor s'affirment dans la joie, chacune tirant de leur côté pour se réconcilier ensuite et se fondre dans un hymne-chorale imbu de sérénité.   Mais ce ne sont là que des mots; pour que s'incarne cette musique il faut oublier les idées, s'installer dans le silence, et écouter.  Je vous y invite.




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