Chercher au Québec (1ère partie)

Wilfrid Noël Raby
Les discours sur le pays refont surface, mais le silence est complet sur ce qu'il adviendrait de la recherche scientifique au pays du Québec.
La recherche scientifique fait rarement l'objet des discours patriotiques et les pionniers de la nation québécoise ne s'enflent pas de fierté à l'écoute des discours scientifiques. Les chercheurs, contraints à de longues nuits d'expériences, n'attisent guère les feux de joie des grandes victoires nationales! Le chimiste Lavoisier marchant aux premiers rangs de la Révolution française est l'exception; la science est rarement pionnière hors de ses murs. Elle ressemble davantage au colon qui, succédant au pionnier conquérant, vient habiter et mettre cri forme le pays. L'Inde, par exemple, a su tirer de son agriculture une expertise mondialement connue en génétique et en biologie moléculaire. Même si son indépendance politique fut conquise sans la science, c'est la science qui permet aujourd'hui à l'Inde d'afficher quelques secteurs économiques prospères malgré le joug d'une pauvreté terrible. Comme toute justice sociale étatique ne peut exister que lorsqu'il y a une richesse à redistribuer, cette prospérité pour


voit l'Inde de moyens d'éduquer, de construire, de planifier. Elle permet aux Indiens de penser leur pays en des termes qu'ils n'empruntent à personne. Un pays qui ne peut se réclamer d'aucune culture, d'aucune science se réduit à n'être qu'un pan d'espace habité. Du moment qu'il cogite une culture, une littérature, et une science, un pays devient une présence influente dans le monde.

Ces prémisses posées, pour esquisser une politique de la recherche, il faudra avant tout que l'on se départisse d'idées confuses à son sujet. Bien que le journalisme scientifique québécois se soit considérablement amélioré depuis le coup de barre que lui donna Fernand Séguin, il arrive encore trop souvent que la science ne soit décrite que par la technologie qui en découle. Il est trop facile d'ignorer le long processus qui mena à cette technologie. Nul ne prophétisa lors de la découverte des ondes hertziennes le monde de la radio tel que nous le connaissons aujourd'hui. Mais cette découverte était l'étincelle nécessaire. L'avènement des antibiotiques est considéré comme le début de la médecine moderne; toutefois il laisse dans l'ombre les efforts d'une foule de chercheurs anonymes qui, au XIXe siècle, s'épuisèrent, leur vie durant, à tenter d'élucider les causes de la pneumonie, de la scarlatine ou de la méningite. Pour un chercheur qui trouve, il s'en trouve dix, vingt, cent qui se passèrent des indices de


main en main tout le long de la rude pente de la pyramide des idées, Même lorsque ces idées changent radicalement, la science ainsi bousculée se poursuit dans la même continuité des efforts, avec la conviction de la valeur du savoir, et du travail qu'il faut pour former les futurs chercheurs.

L'avènement des antibiotiques est considéré comme le début de la médecine moderne; toutefois il laisse dans l'ombre les efforts d'une foule de chercheurs anonymes.[ ] Pour un chercheur qui trouve, il s'en trouve dix, vingt, cent qui se passèrent des indices de main en main...

Assurer la continuité

Toute politique de la recherche devra donc contribuer à assurer cette continuité. Chose essentielle lorsqu'il s'agit de la formation scientifique. Tout aspirant à une carrière scientifique verra s'écouler entre douze à quinze ans depuis le début du baccalauréat jusqu'à la fin des études postdoctorales. Mis à part les rares bourses d'industries privées, ces étudiants sont financés par des bourses d'État. Toute coupure dans ces subventions pendant le long processus de la formation produit un hiatus, non seulement pendant la durée de la coupure, mais pendant une durée additionnelle de quinze ans, c'est-à-dire le temps qu'il faut pour recréer les compétences sacrifiées à courte vue. Si le Québec veut avoir une présence en science, il lui faudra assurer à la recherche un support financier et technique continu.

L'adage commun et persifleur veut qu'il y ait deux types de recherche: "la recherche pour chercher" et "la recherche pour trouver", la première étant superflue et l'autre tolérable. Après correction, il faudrait lire qu'il existe grosso modo deux types de recherche, l'une dite fondamentale et une autre dite appliquée. Elles diffèrent entre elles par la prévisibilité du résultat, la probabilité de générer un profit immédiat, et l'ampleur de son applicabilité. La recherche fondamentale débute baignant dans l'improbabilité, sinon dans une quasi-impossibilité; de telle sorte que plus la part de l'improbable est grande, plus la question est grosse de valeur scientifique. Lorsque l'improbable tourne enfin le dos à l'impossible, le "résultat" se révèle surprenant. Qu'il vérifie nos prédictions théoriques qu'il les nie d'une gifle retentissante parce que nos idées étaient fausses au départ, nous sommes gagnants d'une manière comme d'une autre. Nous gagnons parce que, même lorsque nos chances de réussir sont faibles,


même lorsque nous nous trompons, même lorsque l'application pratique miroite comme un mirage lointain, la gymnastique de notre savoir s'assouplit par les prouesses mentales auxquelles la recherche nous oblige. À son tour cette souplesse qui devient la meilleure garantie de la contribution future de la science à notre quotidien.

La recherche appliquée quant à elle débute, certaine de son savoir, sûre du but à atteindre. Ce qui ne veut pas dire qu'elle est moins rigoureuse ou moins difficile, seulement que ses prémisses sont différentes et mieux cernées. Par exemple, au moment où la nature du virus de la myélite fut connue, il devint presque certain qu'un vaccin allait être mis au point tôt ou tard. Il ne s'agissait plus que d'appliquer minutieusement les toutes dernières techniques virologiques, de vérifier soigneusement les résultats cliniques, et de faire preuve d'une méthodologie de production de masse éprouvée pour arriver au vaccin voulu. Le vaccin contre la polio est un exemple retentissant de la façon d'organiser une recherche appliquée, et il eut été surprenant que l'entreprise échoue. Or, c'est justement lorsqu'elle échoue que l'artifice et les failles de notre savoir surgissent, alors que, croyant avoir tout compris, nous tentons d'arriver à la chose tangible. Jugez-en par notre incapacité de produire un vaccin contre le vi


rus du SIDA. Ce virus renvoie tous les chercheurs à la case départ, sans pour autant les renvoyer bredouilles, parce que les nouvelles techniques acquises en tentant de fabriquer le vaccin permettront de "lyser" encore plus finement les masques de ce virus, entretenant l'espoir et l'acharnement de circonscrire ce fléau. Morale: la recherche pour trouver ne saurait se passer de la recherche pour chercher et vice-versa.

Un simpe exercice de volonté?

Comme l'exemple du SIDA le montre, la recherche devient donc plus qu'un exercice de volonté. Il est tentant, pour les gouvernants peu habitués aux sacs et ressacs de la recherche, de conclure que si les résultats tangibles se font attendre, c'est sans doute en raison d'un certain élitisme ou encore d'une paresse pure et simple de la part des chercheurs. Des films à thèmes scientifiques comme Jurassic Park et Lorenzos Oil laissent entendre qu'il suffit de frapper fortement le poing sur la table - et à répétition s'il le faut - pour qu'enfin le résultat soit obtenu! Dans la réalité, la nature est si complexe qu'elle nous déjoue à tous les détours. Supposons par exemple que les derniers vestiges au monde de la forêt boréale s'apprêtent à être inondés sous les eaux du projet Baie James IV. In extremis, un peloton de biologistes est
rassemblé pour préserver la biodiversité menacée. Leur mandat: collectionner des échantillons, préserver dans des zoos et des jardins, ou encore conserver dans l'azote liquide toutes les espèces participantes à ce pan de nature, afin de reconstruire plus tard, dans un ultime biodôme, cette nature engloutie,

Même avec un budget de plusieurs milliards, il s'agirait là d'une mission impossible. Comment en effet recréer les innombrables contacts entre cent espèces d'oiseaux, cent espèces d'animaux, mille espèces d'insectes, mille espèces de végétaux, dix mille espèces de bactéries et de champignons? Comment organiser la séquence d'activité des espèces qui fait en sorte qu'elles puissent coexister indéfiniment? Ces questions sans réponses nous rappellent que nous ne pouvons pas occuper la planète en la croyant aussi simple qu'un potager. S'obstiner à croire cela nous conduira, nous et elle, encore plus près de la vidange spatiale.

Pour être efficace, une politique de la recherche scientifique devra donc assurer la continuité des soutiens, se préoccuper des niveaux et des types de recherches, et transiger avec la complexité des missions qu'elle se donne. Je discuterai des aspects comptables de la chose dans la prochaine chronique.

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