La pensée symbolique au Moyen Âge
« Nous identifions généralement, et à bon droit, le Moyen Âge philosophique à l’histoire de la Scolastique. De cette dernière nous savons qu’elle est un mode de penser logique, rationnel et scientifique (1) ; de nombreuses études monographiques se sont appliquées en effet non seulement à faire voir la genèse du discours philosophique et théologique en tant que science (2), mais aussi à en décrire les articulations majeures de fonctionnement comme les traits caractéristiques (3).
On peut donc dire que la pensée scolastique constitue un premier système dans l’épistémê culturelle du savoir médiéval. Concurremment avec ce dernier, au fil des tensions, des oppositions (4), parfois même des perméabilités (5), un autre système de pensée apparaît (moins valorisé à nos yeux pour des raisons qui tiennent à l’histoire culturelle des derniers siècles) comme toile de fond de tout le Moyen Âge, qui n’est que la forme élaborée de la pensée magique de la culture populaire : c’est la pensée symbolique. Comme le prétend fort justement Lévi-Strauss dans la Pensée sauvage, « la pensée magique n’est pas un début, un commencement, une ébauche, une partie d’un tout non encore réalisé; elle forme un système bien articulé, indépendant sous ce rapport, de cet autre système que constituera la science » (6). S’il fallait imaginer les rapports de l’un et de l’autre système entre eux, « au lieu d’opposer magie et science, comme écrit Lévi-Strauss, il vaudrait mieux les mettre en parallèle, comme deux modes de connaissance, inégaux quant aux résultats théoriques et pratiques... mais non par le genre d’opérations mentales qu’elles supposent toutes deux, et qui diffèrent moins en nature qu'en fonction des types de phénomènes auxquels elles s'appliquent » (7). Le Moyen Âge a vécu de la cohabitation culturelle de ces deux systèmes, et malgré les oppositions, une osmose a tout de même été possible dans certains cas.
Les composantes de la pensée symbolique
On pourrait donner trois caractéristiques de la pensée symbolique au Moyen Âge, sans préjuger évidemment des autres traits qui paraissent moins fondamentaux : 1) elle est d'allure mystique, 2) fondée sur une certaine théorie du signe et de la signification, 3) structure un univers esthétique et hiérarchique.
1) d'allure mystique
« Le symbolisme est consubstantiel à l'expérience mystique » écrit le P. Chenu (8). Pour le mystique comme pour le poète en effet, l'essentiel est invisible. Fidèle à la tradition platonicienne, Scot Erigène, et bien d'autres avec lui (9), reconnaît qu’il n’y a rien parmi les choses visibles et corporelles qui ne signifie quelque chose d’incorporel et d’intelligible. Sur ce point, le platonisme d'ailleurs est « consonans Evangelio » comme aime à le répéter Augustin (10). Il n'en fallait pas plus pour que le Moyen Âge reconnaisse dans le symbole autre chose qu’un simple procédé littéraire (tropus), qu’une décoration de style ou qu’un jeu psychologique d'esthétique (11). On oublie trop souvent cette évidence que le Moyen Âge est avant Descartes. Chez ce dernier en effet, la vérité et la certitude sont recherchées ailleurs que dans le sensible, le corporel, la Nature, le cosmos, l’histoire. Seul le cogito dans ses opérations les plus épurées constitue, aux yeux de Descartes, l'espace mental où se manifeste la double certitude originaire de la vérité. Mais depuis Augustin (12), le Moyen Âge conjecture de la vérité sur la foi des signes distribués ici et là dans le sensible, la Nature, le cosmos, l’histoire. Le vrai n'est plus au terme d'une mise en ordre nécessaire des concepts et des idées claires et distinctes, mais enfoui dans la chair du visible et mystérieusement désigné par des symboles. Si bien que pour une large partie des auteurs médiévaux, le symbole est un mode connaître complet et supérieur, voire même un moyen homogène pour signifier le contenu intime des choses, « un moyen de discernement, dans l'épaisseur des êtres, de leur vérité profonde et secrète, un accès à la connaissance du mystère des êtres » (13).
Le système de la pensée symbolique est sensible à l’idée de mystère, de profondeur, de secret. Qu’il s'agisse de la mystique plotinienne, augustinienne, dionysienne, l'évidence n'est pas un domaine accessible à l’homme autrement que dans l'extase. La Lumière dionysienne qui est aussi super-essence, ne se donne en partage que par hiérarchisation des êtres et des compétences, l’Un de Plotin est au-delà de tout, le Dieu des chrétiens est inexprimable et le suprêmement caché. Le moyen âge a vécu de cette épistémologie spéculaire (videmus nunc per speculum et ænigmate) articulée sur la dialectique du cacher et du dévoiler. On comprend que dans ce contexte, on ait jugé le concept (contrairement au symbole) inapte à conduire l'esprit sur le chemin de la vérité. Etymologiquement d'ailleurs, le mot symbole chez les Grecs, rappelle Le Goff, évoque l’idée de reconnaissance ; il visait en effet un objet de céramique, de bois ou encore une médaille, qui avaient été brisés et dont les deux parties, par leur exacte jointure, permettaient à leur détenteur de s’identifier mutuellement. Le symbole est donc signe de contrat, d'un secret engagement, i.e. référence à une unité perdue, récupérée et à la fois récupérable dans l'expérience d’une réalité transcendante (amitié, foi religieuse) et voilée. Cette relation du symbole à une vérité transrationnelle et cachée, le Moyen Âge l'a appliquée à l’Ecriture. La vérité est devenue pour lui texte, livre (14). Si bien que la tâche de saisir le vrai fond des choses, du monde, de la nature, de l’histoire, de l’homme, se réduit à bien lire et à interpréter correctement la vérité voilée derrière le texte sacré et ses symboles. Nos penseurs médiévaux, je songe à ceux qui avaient renoncé à la prétention de la science, de tout savoir et de tout expliquer, auraient été d'accord sur ce point avec le beau mot de Nietzsche : « Nous ne croyons plus que la vérité soit encore vérité dès qu'on lui retire son voile : nous avons trop vécu pour croire cela. Aujourd’hui c'est pour nous une affaire de convenance qu'on ne saurait voir toute chose mise à nue, ni assister à toute opération ni vouloir tout comprendre et tout savoir... On devrait mieux honorer la pudeur avec laquelle la nature se dissimule derrière des énigmes et des incertitudes bigarrées » (15). Prolongeant la tradition héraclitéenne et épicurienne, le système symbolique est une pensée de l'énigmatique. Chez Augustin par exemple, qui de loin et de haut commande toute la culture médiévale, le scepticisme a laissé des traces malgré la conversion à la foi chrétienne : la vérité est protéiforme (16) alors que Dieu, l’homme, le temps, la pensée sont des énigmes (17). « Et voici la grande énigme, écrit Augustin en concluant ses recherches sur la Trinité, que nous ne voyions pas ce que nous ne pouvons pas ne pas voir » (18).
« Mais comprendre la lettre de l'Ecriture, dit M. Gilson, en commentant le De doctrina christiana d'Augustin, n'est pas assez ; il faut en outre connaître la nature de tous les êtres dont il y est parlé : minéraux, plantes, animaux. Le symbolisme du texte sacré est inintelligible à qui ne sait pas ce que sont les choses elles-mêmes où nous cherchons des symboles ; d’où la nécessité d’une connaissance étendue des sciences naturelles y compris la géographie, la minéralogie, la botanique, la zoologie » (19). La connaissance des signes implique celle des choses que les signes sont chargés de signifier. On saisit mieux ainsi comment le Moyen Âge fut un monde de bestiaires, de lapidaires, de plantaires. Ces sciences de la Nature sont qualitatives, magiques voire même alchimiques. Il y a dans le livre de la Nature toute une prolifération de symboles dont l'exubérance sémantique est domestiquée par l' ordre même (oiconomia) du texte sacré. En ce lieu symbolique, les couleurs ont une signification ultra-physique, les nombres sont des pensées divines (pythagorisme), les noms sont les signes efficaces du réel (étymologies), la poétique élémentaire de la nature est intégrée au sacramentalisme (eau, feu, air, terre, pain, huile, vin), les animaux et les plantes recèlent de significations moralisantes, l’histoire (littera) renvoie à de multiples significations métaphoriques (allégorie, étiologie, topologie, analogie) (20). La littérature populaire, les enluminures, l'architecture, la poésie courtoise sont peuplés d'allégories et d’images (21). Et ce qui donne vie à ce système symbolique comme tout ce qui tient lieu d’interprétation est en définitive le jeu des similitudes, des analogies. Le concept de base est celui du reflet, de miroir, d'image. Et c'est dans les limites de ce jeu de réfraction des miroirs que le système fonctionne.
2) fondée sur une certaine théorie du signe et de la signification
Le P. Chenu a justement écrit : « C'est dans un univers augustinien que vit le moyen âge » (22). Or l’univers augustinien est un réseau de signes, une architecture de significations. Augustin nous livre, au livre 2e du De doctrina christiana, une théorie du signe qui est un héritage renouvelé de la philosophie stoïcienne qu’il a connu dans sa phase sceptique. « Un signe, est-il écrit, est une chose qui en plus d'avoir un premier sens empirique, donne à penser à quelque chose d'autre » (23). La sensibilité ici va moins à la consistance propre, première, empirique, de la chose qu’à sa valeur de signification spirituelle. Pouvons-nous y lire l'aveu - tout au moins implicite - de vouloir transcender la dichotomie du sensible et de l’intelligible en situant d'emblée la réflexion au niveau des signes ? Il semble bien puisque l'approche de la vérité par le biais du signe, sous-entend que les qualités sensibles des choses (couleurs, sons, saveurs, propriétés tactiles, etc...) sont mises en rapport avec les propriétés de la pensée ; elles constituent donc un langage qui a sa logique propre et qui est habilité à signifier dans l'aire de l’intelligible et pour la conjecture du vrai. La région du métaphorique est sans borne nous rappelle Augustin dans la lettre 55 : « pour signifier une chose dans l'ordre du sacré, pour l'expression de nos discours et pour la célébration des sacrements chrétiens, nous prélevons des ressemblances dans la Nature (les éléments, les plantes, les animaux, l’homme) » (24). Trois zones donc d'application du signe : le sacré, le langage, l’histoire du salut ; et le réservoir des signes, la création tout entière. Cette dernière est parlante, mieux elle est parlée par le logos divin ; c'est pourquoi elle est signe de l’invisible. Ce monde a une profondeur, cet univers est religieux, il est en quelque sorte ensorcelé. « Les signes sont depuis le lointain des âges le langage des dieux » nous rappelle Heidegger (25). Dans la culture médiévale, le divin est présent dans les signes à la manière d'une trace, d'un vestige, d'une image. Ce qui est aussi l’indice d’une absence. La fonction principale de l’homme médiéval est de lire les signes, les capter et les dévoiler : car la Nature, l'Histoire même le langage parlent parce que supportés par la parole originelle dont ils sont l'expression finie. Ce qui fait que dans ce système, connaître c'est re-connaître, le vouloir-dire devient un pouvoir-entendre et un pouvoir-voir. Les aires de l'audition et de la vision des signes ont été assez clairement définies par Augustin dans son De doctrina christiana. Voir le tableau suivant (26) :
CLASSIFICATION DES RES-SIGNA
RES
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SIGNA
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A) res in quantum sunt : 1. dans l’ordre de l’autorité - Trinité - Histoire du salut (res gestae) - Nature (quadrivium) - Homme 2. dans l’ordre de la raison - Société (amicale, familiale, civile) - Les langues |
Christ (exemplum) sacramenta (res sacra) signa naturalia (vestigia) signa conventionnels |
B) res in quantum praeter se significant : 1. le vouloir-dire divin - Histoire du salut - Écriture 2. le vouloir-dire humain - non-articulé (yeux, oreilles) - articulé (trivium) |
signa divinitus data - allegoria facti - allegoria verbi signa data intentionnels signa conventionnels (sous réserve De doct. christ., II, 2, 3.) signa data intentionnels signa propria - ignota - ambigua signa translata - ignota - ambigua |
C) res in quantum sunt locutae, praedicatae : | dictio elocutio |
Tout ce système de signes doit être compris selon la dynamique augustinienne du foris, de l'intus et du supra. En effet les res et les verba (foris = extériorité) ne peuvent signifier (supra = transcendance) que par la médiation du cogito(intus = intériorité). Comme dit Ricoeur : « Il y a transition par un ordre de l'homme, structuration psychique et noétique, possibilité donc du cogito augustinien qui est au centre même d'une théorie du signe » (27). C'est donc le sujet connaissant qui donne sens. Toutefois cette intériorisation du sens ne doit pas nous laisser croire que nous sommes ici enfermés dans la subjectivité pure encore moins qu'elle annoncerait l'idéalisme allemand ou témoignerait servilement de l'idéalisme platonicien. Si le cogito donne sens, les significations émises ne peuvent jouer que dans les limites d'un certain ordre (cosmiotès). La polysémie des signes est contrôlée par une structure sociale et juridique (les institutions ecclésiales) et par une structure fondée sur les idées normatives contenues dans le Verbe divin (supra). Par sa participation au logos divin, fort d'une illumination intérieure, le cogito donne du sens au res investies d'un sens déjà là par effet de création. La nature, l’histoire, le langage humain dans sa syntaxe (grammaire), son expression (rhétorique) et ses structures logiques (dialectique), sont déjà dits par le logos divin : ils sont déjà le signifié d'un discours originel (28). Toute l'entreprise herméneutique sera précisément de viser à la coïncidence entre ma donation de sens et celle que Dieu manifeste dans les choses (29). Coïncidence certes toujours visée sans être jamais accomplie dans le temps de l’histoire actuelle.
La pluralité des sens devient alors possible. La pensée symbolique se reconnaît à ceci que, lorsqu'elle s'adonne à l'exégèse d'un texte, elle adopte un comportement plus mystique que scientifique (30). Non pas que le souci de la recherche du sens littéral soit absent (31) ; mais vu l'obscurité du texte, la difficile communication des ego, les ambiguïtés du langage et l’inaccessibilité de la vérité, la pensée symbolique refuse l'unidimensionnalité sémantique du texte. Elle ne refuse pas la littéralité, elle la multiplie pour écarter ce qu’il y aurait d'appauvrissement à soumettre le sens à l'analyse réductrice de la science. Augustin nous avoue dans les Confessions : « Pour moi, certes, je le déclare hardiment et du fond du coeur, si je devais par un de mes écrits atteindre au comble de l'autorité, j'aimerais écrire de telle manière que toute donnée vraie saisie par chacun, eût son écho dans mes paroles plutôt qu’asseoir une seule idée vraie, assez évidente pour exclure toutes les autres où rien de faux ne me choquerait » (32). Ce type d'exégèse a fait son deuil de l'évidence et du sens propre, car la vérité appartient à tous (33). Depuis Augustin jusqu’à Dante - pour prendre les points limitrophes du Moyen Âge - cette famille d'esprits refuse de considérer la pensée ou l’oeuvre d’un auteur comme une donnée positive, fixée, statique, encerclée dans les limites d’un inventaire analytique qui décante ce qui est de ce qui n'est pas (34). Il y a un geste réel de mutilation à vouloir ignorer ce qu’une oeuvre « donne à penser aux autres » comme dit Heidegger (35) ; c'est anémier le texte que de ne pas le voir en liaison intime et interne avec ce que chacun a pu y puiser de vrai et de significatif pour lui. Dans cette optique, les Rétractations d'Augustin (ces Confessions du vieil âge) ou l’Itinéraire de l'âme vers Dieu de Bonaventure sont la preuve qu’il n’y a jamais coïncidence de soi à soi et de soi à l'autre. N'est-ce pas l’illustration de la mouvance de nos pensées et de la mobilité du réseau de significations dans le monde de nos perceptions ?
3) Structure un univers esthétique et hiérarchique
Je fais ici référence à une autre tradition de la pensée symbolique que celle de la philosophie augustinienne, et qui a marqué également la pensée médiévale : c'est l'oeuvre du Pseudo-Denys. Cette dernière a connu en Occident un succès assez retentissant si l'on en juge par l’influence qu'elle a exercée non seulement sur les grands médiévaux comme Maxime le Confesseur, Scot Erigène, Thomas d'Aquin, Nicolas de Cues, maître Eckart, mais par-delà le Moyen Âge, sur Leibniz, Hegel, Schelling, Berdiaeff (36).
On pourrait dire que si la symbolique augustinienne est davantage une symbolique du cogito, celle du Pseudo-Denys est plutôt cosmique, où tout ce qui dit référence à l’individu, au sujet, à la liberté est laissé au second plan. De l'anthropologie nous passons ici à une cosmologie, l'esprit objectif succède au cogito. Comment ne pas reconnaître en l'oeuvre dionysienne la fidèle héritière de l’humanisme cosmique des Grecs ? Je parlais, il y a un instant, de cosmologie ; il vaudrait mieux évoquer l’idée de la cosmiotès. En effet, ce système est tout entier réglé sur l’idée d'une nature géométrique, harmonieuse, équilibrée. Comme l'écrit Papaioannou, « cosmos, ordre ; ordre raisonnable, harmonieux, générateur de rapports justes dans les mouvements des corps stellaires ou dans les vibrations des cordes métalliques : ce terme (cosmos), nous le savons, était revêtu d'une multitude de significations dont la seule énumération suffirait pour montrer la volonté du Grec de laisser le monde s’imposer comme limites à reconnaître et comme loi intérieure. Aussi cosmos signifie-t-il en même temps « parure » et toute « splendeur » en général ; univers ou totalité des êtres et constitution politique fondée sur la loi ; principe d'ordre et d’harmonie qui règle aussi bien les rapports entre les êtres particuliers qu'entre les éléments de chaque être ; « vertu » ou « bien » immanent à chaque être et lui permettant de devenir ce qu’il est et de se maintenir tel qu’il est » (37). La culture antique et le Moyen Âge « dionysien » ont donc toujours perçu le cosmos comme un tout, (comme une Totalité) en dehors duquel rien n'est et à l’intérieur duquel rien n'échappe à l’Ordre (38). Même la liberté humaine et l’histoire. « Dans la perspective moderne, souligne Papaioannou, l’image de l'univers et la conception qu’il faut se faire de l’homme et de sa dignité sont rigoureusement distinctes, la situation de l’homme étant celle d'un sujet détaché de l’univers, opposé à l'objet, maîtrisant la nature. Or dans la perspective grecque du cosmos, cette revendication moderne d'une sphère d'autonomie qui est propre à l’homme et le dualisme essentiel entre l'ordre naturel et le monde et la liberté qu'elle postule, ne manqueraient pas de paraître complètement illégitimes.... Les Grecs.... répugnaient à considérer en soi et pour soi ce règne de l'arbitraire humain échappé à la nature, émancipé de la nature » (39).
Deux exceptions apparentes cependant : l'existence des contraires, le triomphe de l’injustice. La grande difficulté qui se présente à cette vision esthétique de l'univers, était amenée par la présence du mal dans l'Ordre. « C'est le désir de résoudre le problème du mal, écrit Runciman, qui se trouve à la base du gnosticisme » (40). Comment concilier en effet un univers ordonné par un logos providentiel avec la manifestation du désordre, de l’injustice, du mal ? Devant le paradoxe de la sainteté divine du cosmos et de la méchanceté humaine, l’homme antique maintient les deux composantes du dilemme : d'une part il croit fermement que le monde est sacré, i.e. qu’il ne le croit pas absurde, inerte, muet, opaque ; d'autre part il n'ignore pas la réalité du mal, affecté qu’il est dans son existence quotidienne par les effets néfastes de sa présence. En cherchant à concilier l’un et l'autre, sa réponse valorise à l'extrême le caractère nécessaire et universel de ce logos provident auquel tout est soumis ; dès lors, le mal devient une des lois inéluctables de l'Ordre. Analysée au plan de l’irrationnel, cette solution pourrait bien exprimer « la crainte de la liberté, le refus inconscient du lourd fardeau de choix individuel qu’une société ouverte impose à ses membres » comme le suggère Dodds (41).
Le système symbolique dionysien prend place devant cette toile de fond aux lignes géométriques et esthétiques. On sait en effet que la Nature - et tout ce qu'elle contient - est par elle-même symbole efficace, analogie et théophanie de la lumière super-essentielle. Mais la question surgit de savoir comment les éléments du cosmos (l’homme inclus) deviennent-ils des symboles efficaces ? Intervient ici un des symboles fondamentaux du système dionysien, celui de hiérarchie. L'Ordre de la cosmiotès est esthétique parce qu’il est structuré selon la dialectique hiérarchique de la descente et de la remontée au long de laquelle les êtres occupent une position spécifique. Et c'est la position qu’ils occupent dans la hiérarchie qui permet aux choses d'acquérir tel degré de luminosité et qui les rend capables de fonder le transfert vers les réalités invisibles et transcendantes (42). On peut donc dire que la capacité de signification et de symbolisation de chaque être est fonction du rang qu’il occupe dans « la cascade illuminative » (Gilson). Il faut imaginer un univers « en escalier » articulé en forme de cercles concentriques qui tous, chacun en son lieu, touchent également le point centre divin qui les engendre. Ainsi s'étalent hiérarchiquement les êtres à partir du Néant, de la matière, des corps, des vivants, des âmes, des intelligences, de l’un, du Bien, le critère de valorisation dans l'échelle étant la lumière divine concentrique à laquelle chacun participe selon son mode. « Le sceau, est-il dit dans le traité de Noms divins, n'est pas entier et identique dans toutes les empreintes; je réponds que ce n'est pas la faute du sceau, qui se transmet à chacun entier et identique, mais c’est l'altérité du participant qui rend dissemblables les reproductions de l’unique modèle, total et identique » (43). Cette ontologie de la participation structure aussi l’Ethique. L’impératif éthique consiste dans l’union au degré supérieur en même temps que par l’éloignement du degré inférieur, opération s'accomplissant selon une dialectique ascensionnelle présidée par l'eros.
La grande question que pose ce système n'est pas tant la remontée éthique des êtres vers le super-Bien que l'énigmatique descente du divin vers les degrés inférieurs. Comme le souligne G. Durand, la question qui hante le platonisme est de savoir comment l’Être sans racine et sans lien est parvenu jusqu'aux choses sensibles ? (44) Et son corollaire est également problématique : comment des choses sensibles sommes-nous reconduits aux Idées immatérielles, immuables, incorruptibles, éternelles ? C’est probablement le sentiment aigu de la distance infinie entre ces deux mondes qui est au coeur même de la pensée symbolique et qui a donné naissance à tout un réseau de symboles comme intermédiaire, médiation, relais, analogie. Le signe, le symbole, la hiérarchie, l'ange, le Christ, l’homme, l’institution ecclésiale illustrent éloquemment que la jointure de l’intelligible et du sensible ne peut s’instaurer sans médiation ni intermédiaire. Car ce monde-ci est séparé de l'autre monde, et la fonction symbolique est nécessaire pour les relier l'un à l'autre. L’ici et l'ailleurs se rejoignent dans le relais ; c'est ainsi que pour le Moyen Âge, l’homme, situé à la frontière des deux mondes est le relais par excellence, à l’instar du Christ d'ailleurs qui, dans l'ordre théologique, est le médiateur aux deux natures. Il en est de même pour l'ange, cette copie chrétienne des éons gnostiques ou des intellects séparés des averroïstes ; lui aussi est relais entre l’Esprit infini et celui de l’Homme. Mais le Moyen Âge s'éteindra lorsque disparaîtront les anges (45) ; la culture occidentale connaîtra alors la mort de cette symbolique monarchique.
En effet l’ère du soupçon, amorcée par Abélard, prolongée par le système scientifique de la scolastique aristotélicienne, sera consommée avec Guillaume d’Occam. Ce dernier contestera le nécessitarisme et l'esthétique monarchique de la pensée symbolique. Fidèle à l’interprétation oxfordienne d'Aristote (46), Occam revalorise la connaissance directe, intuitive, sensible des choses à partir d’une théologie de la Toute-Puissance (47). Ce qui l’amènera à déduire « le contingentisme radical » d’un univers créé par un Dieu nullement soumis à l’épistémê de l’homme. Il n’y a aucune nécessité à ce qu’en Dieu et entre Lui et ses oeuvres ne s’interposent des intermédiaires, des relais et des médiations. « Pluritas non est ponenda sine necessitate ponendi » écrira Occam. Il faut dès lors écarter les imaginations humaines, voire même les signes. Avec ce triomphe de la pensée scientifique, directe, c'est la fin en Occident, jusqu’à une date toute récente, de la pensée symbolique.
L'Alchimie ou l’essai de jonction entre le discours scientifique et symbolique
Un dernier mot sur un autre courant de la pensée symbolique (48), à savoir le système alchimique. Il semble important de complémentariser ce qui vient d’être dit sur la pensée symbolique par l'attitude et le projet alchimiques. D'abord parce qu’incontestablement la symbolique alchimique fait partie de cette culture malgré sa marginalité ; d'autre part parce que, refusant le « parti pris » chrétien que Le Goff décèle dans les travaux de Chenu et De Lubac (49), je crois que l’alchimie va nous servir de terrain propice pour saisir cette osmose culturelle - dont je parlais au début de cet article - entre le système scientifique de la scolastique et le système symbolique de la mystique (philosophique et théologique).
Il convient auparavant de rappeler le comportement épistémologique de nos deux systèmes pour en illustrer les différences de fonctionnement et aussi pour expliquer la raison de leur opposition et de leur tension.
La scolastique a pris son modèle du côté de la science, celle d'Aristote il va sans dire ; tandis que la pensée symbolique s'est alignée sur la mystique et la poésie (50). Il y a entre ces deux attitudes épistémologiques toute la distance qui existe entre la pensée « directe » et « indirecte » comme le remarque G. Durand (51). Le pur expérimentalisme aristotélicien élimine le symbolisme au profit d'une science des définitions ; en effet dans cette perspective de la pensée directe, les idées sont dans les choses qui deviennent par le fait même le lieu propre de l'être et de la substance. La vérité est donc à chercher là, dans l’adéquation directe, au bout de la quête des causes, dans l’explication nécessaire et universelle de la réalité phénoménale. Le système symbolique est une pensée indirecte. Le contenu physique des choses est dévalué puisque la pensée symbolique propose une inversion du regard, une conversion de la vue (52) : le réel (ta onta, eidos) est d'ailleurs, dans un monde séparé, transcendant, religieux. D’où l’idée de transitus (Augustin) d’anagogè (Ps-Denys), de translatio (Scot Erigène), de coaptatio (Hugues de St-Victor). Accessibilité donc du divin de manière indirecte par la médiation des signes non des causes. Il y a donc dans ce système une prévalence de la signification sur l'explication, fondée sur l’idée de la participation sentie comme une dialectique du semblable et du dissemblable. C'est le triomphe de la logique de l'équivocité et de la surabondance sémantique sur celle de l'univocité.
Les tenants de la pensée scientifique et de la pensée symbolique, on le constate, suivent des chemins à tout le moins divergents, sinon opposés. Il suffit d'ajouter à ces mentalités diverses des rivalités personnelles, d'écoles, de monastères pour que les disparités se durcissent et dégénèrent en querelles ouvertes. Ainsi s'explique cette réaction d'Albert le Grand : « La plupart du temps, lorsqu’Aristote réfute les opinions de Platon, il ne réfute pas le fond mais la forme. Platon a eu en effet une mauvaise méthode d'exposition. Tout chez lui est figuré et son enseignement est métaphorique et il met sous les mots autre chose que ce que les mots signifient, comme par exemple il dit que l’âme est un cercle » (53). Sont suspects à ses yeux non seulement les théologiens et les philosophes qui traitent de Dieu et des choses metaphorice, mais également les alchimistes qui, note Albert le Grand, « s'adressent seulement au connaisseur et cachent leur vrai sens sous des expressions symboliques, ce qui n'a jamais été l’habitude des philosophes » (54). D'ailleurs pour lui, l'alchimie est un art beaucoup plus près de la magie que de la science. Plus réceptive est l'attitude de Thomas d'Aquin; même s'il perçoit l'alchimie comme un art, il lui reconnaît cependant la capacité d'opérer en conformité avec les lois de la nature et d'éviter ainsi d’être tenue pour démoniaque (55). Roger Bacon, le contemporain anglais de Thomas d'Aquin, est encore plus accueillant envers l’alchimie si l'on en juge par l’importante place qu’il lui accorde dans la VIe partie de son Opus Majus et dans son Opus Minus. Il y distingue une alchimie spéculative d'une alchimie opératoire, la première ayant le statut de science théorique et aussi les caractéristiques (56).
La réaction de Thomas d'Aquin et de Bacon est assez révélatrice d’une juste compréhension du système alchimique. C'est pour cela que je me suis arrêté quelque peu sur leur cas. En effet chez eux commence à se réaliser la jonction des deux systèmes de pensée (scientifique et symbolique). Premiers balbutiements sans doute trop théoriques, mais reconnaissance toutefois de la validité du concept en même temps que du symbole. Thomas d'Aquin reconnaît que la sacra doctrina (théologie) est une science argumentative à qui il arrive, par nécessité, d'user de métaphores (57). Cela tient au fait que pour lui la théologie est une sagesse axée sur une épistémologie binaire, à savoir sur un mode intuitif et mystique de connaître et sur un mode scientifique et déductif (58). Même note dominante chez Roger Bacon. Lorsqu’à la VIe partie de son Opus Majus, il traite de la Scientia experimentalis, Bacon pour ainsi dire instaure une épistémologie « concordataire » entre science et mystique, entre concept et symbole. La science de l'expérience joue ici sur deux claviers : un premier, celui de l'observation empirique avec ce que cela comporte d’instruments techniques ad hoc, tâche servant d'ailleurs à corroborer une théorisation scientifique et spéculative préalable ; un deuxième clavier, celui de l'expérimentation intérieure, mystique, spirituelle, articulée sur les vertus, les dons de l’Esprit, les béatitudes et enfin l'extase. Vient donc s'abouter à cette admiration certaine de la science ce vieux fond de mentalité symbolique pour qui la connaissance scientifique demeure superficielle si elle ne décrypte pas le sens profond, caché, mystérieux et religieux dans les lois de la Nature. Nous ne sommes pas finalement, très loin du projet alchimique. Certes leur vision du monde, à saveur plus panthéiste et gnostique que chrétienne, n'a échappé à personne. Mais maniant avec maîtrise les deux systèmes de pensée (scientifique et symbolique) jusqu’à la synthèse harmonieuse, les alchimistes rendaient à maturité ce qui était embryonnaire chez Thomas d'Aquin et Roger Bacon. C'est peut-être pour cela que ces derniers se sont sentis en connaturalité d'esprit avec les premiers et qu’ils ont été plus accueillants envers leur entreprise. Si l'Alchimie était suspecte à cette culture, c'est parce que les esprits « symbolisants » lui reprochaient son scientisme, et les scientifiques, ses expressions symboliques (59). Nous avons là une belle illustration du cloisonnement des disciplines.
Que masquaient donc les menaces, les querelles, les interdits même dont les théoriciens de l'Alchimie ont été victimes ? : un reproche, pas toujours très explicite, celui d'avoir tenté la périlleuse synthèse entre art et science, d’avoir ménagé des lieux de jonction entre le discours scientifique et symbolique. En cela d'ailleurs ils annonçaient la Renaissance qui est, comme le note le P. Lenoble, « l’une des rares époques de la pensée où art et science ont donné exactement la même représentation orphique de la Nature » (60). Chez nos alchimistes médiévaux, - je ne parle pas de souffleurs - le laboratoire est adjacent à l'oratoire, i.e. qu’ils ont vécu non seulement de la pratique expérimentale, de la théorisation scientifique et de l’heuristique des causes, mais également de la mystique allégorique, mythique et poétique. Leur idéal : faire voisiner en eux le saint, le savant, le poète. Comme dit Ganzenmüller : « Ainsi l'alchimie du Moyen Âge est-elle liée intimement à une conception générale du système du monde, du fait qu'elle a cherché à donner une signification aux expériences chimiques, et un rapport non seulement avec les manifestations de la nature, mais avec l’univers entier, avec les forces surnaturelles » (61) . »
Notes
(1) Voir S. Pinckaers, Le langage scolastique, langage rationnel, dans les Actes du XIIIe Congrès des Sociétés de philosophie de langue française, Neuchâtel, A la Baconnière, 1966, p. 124-128.
(2) Je songe par exemple au beau livre du P. Chenu, La théologie comme science au XIIIe siècle, 3e éd., Paris, Vrin, 1957.
(3) A ce sujet, voir les travaux de Gilson, Chenu, Vignaux, Mandonnet, Van Steenberghen. Le classique en ce domaine reste encore Grabmann, Geschiste des Scholastichen Methode, Fribourg, 1909.
(4) Nous verrons plus loin (p. 10) comment et pourquoi se sont manifestées ces oppositions.
(5) La pensée symbolique n'est pas tout à fait absente de l’oeuvre de Thomas d'Aquin à cause de l’influence augustinienne et dionysienne. Depuis les travaux de Fabro et de Geiger, on s'est rendu compte en effet du rôle actif que jouait dans la pensée de Thomas d'Aquin, la théorie de la participation (idée centrale dans la pensée symbolique).
(6) Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 21.
(7) Ibid., p. 21.
(8) Cf., Chenu, La théologie au XIIe siècle, Paris, Vrin, 1957, p. 174-175 ; voir également M. de Gandillac, Œuvres complètes du Pseudo-Denys, Paris, Aubier, 1943, p. 31 ss.
(9) Cf., Chenu, op. cit., p. 162, 170, et les textes d'Alain de Lille, de Hugues de St-Victor et de Bernard Sylvestris auxquels il réfère.
(10) Dans La Cité de Dieu, XI, 18, Augustin se réjouit de ce que saint Paul recourrait souvent aux tropes et aux métaphores. Voir à ce propos J. Fontaine, Sens et valeur des images dans les Confessions, dans Augustinus Magister, Paris, 1954, p. 117-126.
(11) Relativement à la dévaluation de l’image dans la culture occidentale, cf., G. Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris, P.U.F., 1963, l’introduction.
(12) Le cogitoaugustinien est très loin - sinon à l’opposé - du cogitocartésien ; voir mon article Le contenu du cogito augustinien, dans Dialogue, 4 (1966), p. 465-475.
(13) Chenu, op. cit., p. 159.
(14) Par extension, la Nature sera aussi un Livre, cf., E.R. Curtius, La Littérature européenne et le moyen âge latin, Paris, P.U.F., 1956, ch. XVI : le symbolisme du livre. Aussi R. Lenoble, Histoire de l'idée de nature, Paris, Albin Michel, 1969, p. 239-279.
(15) Nietzsche, Le gai savoir, Paris, Gallimard, 1967, p. 19.
(16) Comme il le prétend dans son traité Contre les Académiciens, III, 6, 13.
(17) Je publierai bientôt un article sur L'énigme dans la culture littéraire de saint Augustin.
(18) De la Trinité, XV, 9, 16.
(19) E. Gilson, Introduction à l'étude de saint Augustin, Paris, Vrin, 1949, p. 161.
(20) Chenu, op. cit., p. 162 et suivantes.
(21) Par-delà les spécificités symboliques de chacun des secteurs culturels, se manifestent des caractères fondamentaux que j'essaye ici précisément de dégager.
(22) Chenu, Introduction à l'étude de saint Thomas, Paris, Vrin, 1950, p. 49.
(23) De la doctrine chrétienne, II, 1, 1.
(24) Lettre 55, 13.
(25) M. Heidegger, De l'essence de la poésie dans Qu'est-ce que la Métaphysique ?, Paris, Gallimard, 1951, p. 249.
(26) Ce tableau est extrait d’une communication que j'ai prononcée au VIe Congrès International de Patristique, Oxford, 1971, sur L'articulation du Sens et du Signe dans le De Doctrina christiana de saint Augustin.
(27) Cours de la Sorbonne sur le Problème du langage, 1962-63.
(28) Cela a été magnifiquement montré par J.-J. Goux, Saint Augustin et la Parole de l'Autre, dans Tel Quel, 21 (1965), p. 67-75.
(29) Il n’y a donc pas seulement le sujet connaissant qui donne sens ; il y a un sens déjà là, déposé par le Verbe créateur (dans la Nature et dans l’Histoire). Quand le P. Chenu affirme : « Le signe augustinien est conçu au niveau et selon les ressources de la psychologie de la connaissance, comme l’instrument d'une expérience spirituelle couvrant tout le champ non seulement du langage mais aussi les divers modes d'expressions figurées (Théologie au XIIe siècle, p. 176) », il se réfère peut-être trop exclusivement au De doctrina christiana. Il faut, à mon sens, compléter l'analyse par la lettre 55 où l'accent est mis sur une certaine extériorité du sens par rapport au cogito. Il y a un ordre ontologique du sens sur lequel le cogitodoit se régler, voir mon article sur Arts libéraux et langage chez Augustin, dans les Actes du IVe Congrès International de Philosophie médiévale, Paris, Vrin, 1969, p. 481-492.
(30) P. Pontet, L'exégèse de saint Augustin prédicateur, Paris, Aubier, 1944, p. 146-148.
(31) On sait l’importance qu'Augustin accorde au sens littéral et historique ; cf., De la doctrine chrétienne, II, 39 ; Lettre 101, Commentaire littéral de la Genèse, XI, 39 ; Sermon 2, 7.
(32) Confessions, XII, 31, 42. Cette richesse de la signification littérale n'est pas une objection à la rigueur de la pensée. C'est le sentiment de Heidegger : « Tout ce qui est véritablement pensé par une pensée essentielle demeure, et ce pour des raisons essentielles, multiple de sens », Qu’appelle-t-on penser ?, Paris, P.U.F., 1959, p. 113.
(33) Confessions, XII, 25, 34.
(34) Cette théorie de la multiplicité des sens ne s’applique pas seulement à l'Ecriture ; elle est aussi valable dans le cas des textes profanes et du discours poétique, cf., De l'utilité de la foi, IV, 10.
(35) C'est proprement ce qu’il appelle « l’im-pensé » ; cf., op. cit., p. 117.
(36) M. de Gandillac, op. cit., p. 45-57.
(37) K. Papaioannou, Nature et Histoire. Cosmologie antique et historicisme moderne, dans Archives des sciences sociales, Athènes, 1955, p. 4.
(38) Voir J. Pépin, Univers dionysien et univers augustinien, dans Aspects de la dialectique, Paris, 1956. Pour saisir comment cette « ordination » des choses peut s'appliquer à des domaines aussi divers que la structure des « Sommes » et l'architecture, voir E. Panofsky, Architecture gothique et pensée scolastique, Paris, Minuit, 1967.
(39) Papaioannou, op. cit., p. 1.
(40) S. Runciman, Le manichéisme médiéval, Paris, Payot, 1949, p. 11.
(41) E.R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, Paris, Aubier, 1965, p. 241-242.
(42) R. Rogues, L'Univers dionysien, Paris, 1954 ; aussi l’introduction de
M. de Gandillac, op. cit.
(43) Ps-Denys, Traité des noms divins, 644 B.
(44) G. Durand, L’Imagination symbolique, Paris, P.U.F., 1964, p. 24.
(45) Une affirmation de H. Gouhier évoquée dans G. Durand, L’Imagination symbolique, p. 35.
(46) Particulièrement celle de Bacon ; cf., C. Bérubé, La connaissance de l’individuel au moyen âge, Montréal, P.U.M., 1964.
(47) P. Vignaux, La philosophie au moyen âge, Paris, Armand Colin, 1958, p. 179.
(48) Je n’ignore pas évidemment qu’il existe d'autres domaines symboliques : littérature, théâtre, architecture, statuaire, etc. Mais le point de vue adopté ici est celui de la pensée articulée en système philosophique.
(49) J. Le Goff, La civilisation de l’Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1964, p. 421.
(50) C'est un vieux problème en Occident que de savoir sur quoi la philosophie doit s'aligner ? Sur l'éloquence (Isocrate, Cicéron, Jean de Salisbury), sur la poésie et la mystique (Platon, Plotin, Augustin, Ps-Denys, Heidegger), sur la science (Aristote, Albert le Grand, Kant, Comte, Bergson), sur l’histoire (Hugues de St-Victor, Anselme de Havelberg, Hegel, Marx, Saint Simon), sur les sciences humaines ? Le Moyen Âge, comme chaque culture d'ailleurs, a fait son choix au gré de ses besoins et de ses impératifs.
(51) G. Durand, L’imagination symbolique, p. 3.
(52) Comme l'expose J. Guitton, Les pages immortelles de Platon, Paris, Corréa, 1960, p. 26-27 ; voir aussi Chenu, Théologie au XIIe siècle.
(53) Cité par Le Goff, Les Intellectuels au moyen âge, Paris, Le Seuil, 1957, p. 122. (Traité de la Nature et de l'Origine de l'âme, II, 8, 45.)
(54) Dans le Traité des Minéraux, III, 7 ; aussi III, 1, 4.
(55) Somme théologique, II-IIae, q. 77, a. 2, ad 1 um.
(56) Ganzenmüller, L’alchimie au moyen âge, Paris, Aubier, s.d., p. 71 et suivantes.
(57) Somme théologique, 1 a,q. 1, a. 2, a. 8, a. 9.
(58) Ibid., q. 1, a. 6, ad 3 um.
(59) Le scientifique Albert le Grand reproche aux alchimistes leur usage de la métaphore, tandis que Dante les place aux derniers rangs de son enfer à cause de leur prétention « opératoire » et chimique.
(60) Op. cit., p. 304.
(61) Op. cit., p. 207.