Rembrandt et Comenius contre Rubens: le contexte historique

Karel Vereycken
(Suite: voir également La lumière d'Agapè)

Le contexte historique
Avant d'aborder l'œuvre de Rembrandt, il est indispensable de connaître les enjeux de «la guerre de trente ans». Ce nom réfère en fait au dernier épisode d'une longue période de «guerres de religion» qui embrasèrent l'ensemble du monde au seizième siècle, bien que le conflit se déroule principalement sur le territoire d'Europe centrale et en Allemagne. La révolte de la Bohème de 1618 sert comme date de début et la conclusion de la paix de Westphalie de 1648 comme la fin de cette guerre qui, au-delà des enjeux religieux, marque surtout la fin de l'utopie impériale des Habsbourg et la naissance de l'Europe moderne.

Pour saisir l'origine de ces guerres, il faut remonter au début du seizième siècle. Au Concile de Trente (1545-1563) l'église Catholique romaine avait écarté d'une main les réformes préconisées par Erasme de Rotterdam pour mettre fin aux troubles. Comme il l'avait prédit, Rome, en choisissant comme adversaire principal le démagogue radical et impuissant Luther, s'enfonçait dans un dogmatisme stérile et intolérant permettant chaque jour à la Réforme de gagner du terrain.

Bien que la paix d'Augsbourg de 1555 ait réussi à calmer temporairement la situation, les dispositions ambiguës de ce traité portaient en germe les futurs conflits. Tout d'abord la paix ne s'applique qu'aux catholiques et aux luthériens. Les Jésuites se feront un malin plaisir de jouer la division dans le camp des réformés en dressant les luthériens contre les calvinistes. Ainsi en Allemagne, ils prétendent tout simplement que le calvinisme est interdit parce que non expressément cité dans l'accord. Ensuite, les peuples n'y obtiennent pas de réelle liberté confessionnelle, car les sujets doivent adopter la confession de leur seigneur, qui lui a la liberté de choix. Pour se défendre, les princes protestants se réunissent dès 1608 sous la direction de l'électeur palatin Frédéric V pour former «l'Union évangélique». Leur espoir est la France d'Henry IV, pays où l'Edit de Nantes de 1598 avait mis fin aux guerres de religion. Suite à l'assassinat du roi en 1610, ils s'allieront avec la Suède et l'Angleterre. Du côté catholique, Maximilien de Bavière constitue dès 1609 une Sainte Ligue avec le soutien de l'Espagne.

Au-delà des étiquettes religieuses et politiques des deux camps, on peut identifier un véritable parti de la guerre de chaque coté. Les nuées qui portent l'orage jettent l'ombre de la guerre sur une Europe coupée en deux.


La révolte de la Bohème
Ainsi, après l'interminable révolte des Pays-Bas, l'insurrection de la Bohème fait craindre le pire pour les Habsbourg, car si la Bohème devient une deuxième Hollande, d'autres pays, comme par exemple la Pologne, pourraient basculer dans le camp de la réforme et porter atteinte à l'équilibre géopolitique impérial.

Depuis 1576, la couronne de Bohème appartient à Rudolf II, qui bien qu'ayant un penchant pour l'ésotérisme, sera le protecteur de Tycho Brahé et de Johannes Kepler à Prague. En 1609, les protestants de Bohème avaient arraché à ce monarque catholique une «lettre de majesté» qui leur accordait certains droits en matière de religion. Après sa mort en 1612, son frère Matthias laisse la direction du pays à Kleszl, un des cardinaux de la Contre-Réforme qui en refusa l'application. C'est ainsi que se produisit la fameuse «défenestration de Prague» résultant d'une négociation échauffée qui aboutit au fait que les protestants jetèrent par la fenêtre les deux représentants impériaux, qui atterrirent sur un tas de fumier. Ce fut le signal d'une révolte générale et suite à la mort de Matthias, les insurgés prirent comme souverain, l'électeur palatin Frédéric V, au lieu d'accepter le choix des Habsbourg. Un noble protestant, Charles de Zerotin et un pasteur morave, Jan Amos Komensky «Comenius» furent les éminences grises de cette révolte, comme le montre notamment le fait que Frédéric V fut couronné en 1619 par Jan Cyrill, le confesseur de Zerotin dont Comenius épousera la fille.

Les insurgés furent défaits à la bataille de Montagne Blanche en 1620 par une coalition catholique, composée par les troupes espagnoles de retour des Flandres et les Bavarois de Maximilien. Avec eux, René Descartes, venu sur ses propres frais, entra dans Prague à la recherche des instruments astronomiques de Kepler [FN2]. Comenius, un des premiers à être proscrit par un mandat d'arrestation, et Zerotin échapperont à la répression. Tous les résistants furent arrêtées et certains furent décapités sur la place publique. On monta leurs têtes sur des pics pour les exposer sur le pont Saint-Charles. Parmi eux, le recteur de l'Université de Prague, Jan Jessenius, auteur de la première dissection publique à Prague en 1600 et ami de l'astronome danois Tycho Brahé. Pour avertir ceux qui se servaient de discours pour encourager les hérésies, on lui arracha la langue avant de le décapiter, de l'écarteler et de l'empaler. Trente mille personnes prirent l'exil et Frédéric V, «le roi d'hiver», et sa cour se réfugierons à la Haye, au Pays-Bas, là où Comenius l'avait rencontré lors du retour de ses noces avec Elisabeth Stuart en Angleterre en 1613, noces pour lesquelles Shakespeare avait fait jouer «la Tempête».


Une guerre mondiale
1618 marquera l'embrasement général de tout le continent européen. La volonté affichée et la poussée politique et militaire des Habsbourg pour réunifier l'ensemble du continent européen derrière un seul empereur et sous la bannière d'une seule religion galvanisent une guerre générale. Dès 1625, et avec des subsides anglaises et françaises, le Danemark de Christian IV et ensuite la Suède de Gustave Adolphe interviennent par le nord contre les Habsbourg en Allemagne. La France ouvre elle-même un autre front à l'ouest en 1635. Richelieu, qui avait défait les huguenots à LaRochelle en 1628 (car il «combattait leurs droits politiques, mais non leurs droits religieux») les soutient activement hors du territoire français, car il estime qu' «il est certain que si le parti protestant est tout à fait ruiné, l'effort de la maison d'Autriche retombera sur la France».

«Les Misères et malheurs de la guerre», célèbre série de gravures du lorrain Jacques Callot de 1633, donnent une bonne idée de comment cette guerre, avec son cortège de misère, de famines, d'épidémies et de désolation, a ravagé l'Europe. On estime que rien que sur le sol allemand d'aujourd'hui, la population passa d'environ 15 millions à moins de 10 millions. Des centaines de villes furent ramenées à de simples villages et des milliers de bourgades furent tout simplement effacées de la carte. La guerre se répercutait dans l'ensemble des colonies des puissances engagées dans le conflit. Les pirates anglais et hollandais n'hésitaient pas à en découdre avec les vaisseaux espagnols et portugais à l'autre bout du globe. Pour l'Espagne, fidèle pilier des Habsbourg, 250 millions de ducats furent utilisés dans les dépenses de guerre (entre 1568 et 1654), malgré la faillite d'état de 1575. Cette somme ne représente pas moins que le double des revenus provenant du nouveau monde (or, épices, esclaves, etc.) qui eux se chiffraient à 121 millions de ducats!

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