Le Zeus d'Olympie

Henri Lechat
Après les trois Athéna scultpées à Athènes, après s'être acquitté de la direction des travaux de l'Acropole que lui avait confié Périclès, Phidias, exilé à Élis, entreprend pour le temple d'Olympie un Zeus colossal qui devait figurer dans l'Antiquité au rang des Sept merveilles du monde. C'est une des louanges que l'on fit à Phidias d'avoir rendu les dieux plus humains, d'avoir rapproché ceux-ci des hommes par la mansuétude et la noblesse de l'expression de ses sculptures.

Extrait de Phidias et la sculpture grecque au Ve siècle, de Henri Lechat, ouvrage paru au tournant du XXe siècle.
Phidias atteignit pourtant à un degré d'idéal plus élevé encore, selon le jugement des anciens, dans le Zeus d'Olympie, qu'il exécuta de 437 ou 436 à 432, avec la collaboration de son frère, le peintre Panainos, et de son élève Colotès. Que ne possédons-nous, pour ce Zeus, l'équivalent de la moindre copie en marbre de la Parthénos! Car ce n'est pas assez d'avoir les minuscules reproductions, complètes ou partielles, qu'on trouve sur des monnaies d'Élis, ni ces quelques têtes diverses, provenant de statues dont les auteurs s'étaient plus ou moins souvenus et inspirés du type créé par Phidias: telle la très belle tête du IVe siècle, récemment découverte à Mylasa en Carie, et passée de la collection Arndt au musée de Boston (Fig. 17). Jusqu'à ce jour, nous n'avons donc guère, . pour nous renseigner, que les documents littéraires, notamment la description que Pausanias a faite du prodigieux chef-d'œuvre.

Prodigieux d'abord par les dimensions, qu'explique seule l'envie d'éclipser la statue du Parthénon. Celle-ci était grande autant que l'avait permis le souci de la maintenir en juste proportion avec l'édifice qui la renfermait; or, à Olympie, quoique le plafond fût plus bas et que la travée médiane fût d'un tiers moins large, le dieu mesurait, assis, environ 12 mètres de haut, et 14 avec son piédestal ! Il occupait la largeur entière de la travée, il n'aurait pu se dresser sans trouer le plafond, ni franchir la porte de son temple autrement que de biais et en se pliant! Une si visible disproportion, certainement imposée à Phidias, menaçait d'être funeste pour son œuvre mais, au contraire, son génie su en tirer une expression saisissante de grandeur. — Zeus sur son trône tenait dans la main droite, tout comme l'Athéna du Parthénon, une Nikè d'ivoire et d'or, et dans la main gauche son sceptre que terminait en haut un aigle. Le visage, les bras et le torse, les pieds étaient d'ivoire; d'or, la chevelure et la barbe, les sandales, puis la grande draperie qui enveloppait les jambes et, après avoir remonté derrière le dos, venait retomber en avant, par dessus l'épaule gauche. Le sceptre était fait d'un assemblage de divers métaux précieux; le trône était composé d'ivoire et d'ébène, d'or et de pierres fines; la draperie d'or avait été, par une sorte de niellage polychrome, brodée de figures et fleurie de lis: en tout cela apparaît avec évidence la recherche d'un certain effet de couleur, qui était accru encore par l'habile disposition, devant la base, d'un dallage noir, entouré de cette clôture pleine en marbre blanc, que décoraient, sur la face intérieure, des peintures de Panainos. Des motifs variés, en ronde bosse et en relief, faisaient au trône une ornementation des plus luxueuses: figures de Nikés dansantes, d'Horés, de Charites, de Sphinx; reliefs dont les uns célébraient les concours athlétiques d'Olympie, et les autres représentaient le meurtre des Niobides ou l'histoire d'Héraclès et ses compagnons aux prises avec les Amazones. Le tabouret sous les pieds du dieu était porté par deux lions d'or et développait en relief une seconde Amazonomachie, celle qui était plus spécialement attique et constituait un des exploits de Thésée. Enfin, sur le front de la base, un dernier relief, tout en or, montrait Aphrodite surgissant de la mer, accueillie par Éros et couronnée par Peithô, en présence d'une auguste assemblée d'Olympiens.

Ce décor abondant, et presque débordant, des parties accessoires, n'altérait pas le caractère de simplicité qu'offrait la personne même du dieu, calmement assis, torse nu, ses cheveux lisses ceints d'une couronne dont le modèle avait été pris au feuillage mince de l'olivier. L'opposition était voulue; elle acheminait l'esprit, après les premières minutes d'éblouissement et de stupeur, vers le plus haut sommet de la conception de Phidias. Formidable par ses dimensions qui attestaient sa puissance physique, entouré d'un luxe évocateur du merveilleux palais d'or qu'habitent les Immortels, Zeus — c'était là sa vraie grandeur — révélait par son aspect une âme supérieure à ces signes matériels de sa divinité. Non seulement il demeurait calme et simple au milieu d'un triomphal appareil, mais sa physionomie était toute mansuétude; il n'apparaissait point en dieu redoutable, «amonceleur de nuages»; non plus que sa main ne tenait la foudre, son regard n'annonçait un prochain froncement de sourcils; on le voyait tout puissant, et on le sentait bon; en lui on reconnaissait, selon les mots de Dion Chrysostome, «le dieu de paix, suprêmement doux, dispensateur de l'existence et de la vie et de tous biens, le commun père et sauveur et gardien de tous les hommes». Ainsi, Phidias semblait n'avoir employé des proportions si colossales et mis en œuvre tant de matériaux précieux, que pour mieux faire ressortir une beauté purement morale, de l'espèce la plus rare dans l'Olympe, d'où ne s'épanchaient pas à l'ordinaire. l'indulgence et la bonté. Le Zeus qu'il montrait incomparable de puissance et d'éclat, tel que se le forgeait l'imagination populaire, il lui avait en même temps attribué une qualité d'âme, qu'on peut dire d'essence humaine: et c'est par là, par ce quelque chose d'humain, qu'il avait su grandir le divin, créer cette image souveraine d'un Maître des dieux et Père des hommes, dont le type devait rester unique dans l'art grec.

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