Biographie de l'Honorable Barthélemi Joliette
La gloire impérissable attachée au nom et aux travaux de cet homme extraordinaire, ne saurait dispenser ses concitoyens d’apporter à sa mémoire, le tribut de leurs sentiments de reconnaissance.
Joliette surtout, qu’il a entourée de toutes parts, qu’il a environnée comme d’un réseau de bienfaits, ne doit pas être la dernière à mêler sa voix dans ce concert de louanges et de gratitude qui, de toutes les parties du pays, s’élève en l’honneur de l’un de ses insignes bienfaiteurs.
Pour nous, élève du Collège de M. Joliette, nous avons pensé nous acquitter d’un pieux devoir, en recueillant les détails d’une vie si dignement remplie.
Malgré les minutieuses recherches que nous nous sommes imposées pour arriver à la vérité, malgré les modifications que nous avons fait subir à notre travail, il nous arrivera peut-être de donner dans quelques légères erreurs. Nous en demandons d’avance pardon à ceux qui daigneront nous lire.
Ces lecteurs bienveillants voudront bien aussi se souvenir, en parcourant ces pages, qu’il nous a fallu les écrire le plus souvent à la hâte, et cela, à travers mille interruptions qui devront quelquefois, laisser du décousu dans notre essai.
Les traditions orales étant les seules sources auxquelles on peut encore recourir avec la certitude d’y trouver d’exacts renseignements, il est hors de doute, que si on eût remis à une époque plus reculée le soin de consigner les événements dont les détails vont suivre, les difficultés d’un pareil travail auraient été beaucoup plus grandes, et des erreurs plus nombreuses s’y seraient immanquablement glissées.
Ce dernier motif devra servir d’excuse à notre témérité d’avoir ravi une tâche si délicate à une plume plus exercée et plus habile que la nôtre.
Il nous reste un devoir à remplir; nous nous empressons d’autant plus de nous en acquitter, qu’il est pour nous un besoin du cœur et l’occasion de plus d’un agréable souvenir : ce devoir, c’est d’offrir nos sincères remerciements aux personnes bienveillantes qui nous ont fourni de précieux renseignements sur la vie de l’honorable Joliette.
À ce titre, Mgr de Montréal, les RR. F. Dorval, P. D. Lajoie, E. Champagneur, MM. de Lanaudière, G. Baby, M.C.C., Chs. Panneton, J. O. Leblanc, P. C. Léodel, Ecrs., ont droit à toute notre reconnaissance, comme à celle du public en général, et surtout celui de Joliette.
Puisse le consolant témoignage d’avoir fait mieux connaître l’une de nos illustrations canadiennes, les récompenser de la lumière qu’ils ont jetée sur cette page de notre histoire!
À la biographie de l’honorable Joliette, nous joignons celle du regretté Grand Vicaire Manseau.
Unis pendant plus de vingt ans, pour la prospérité matérielle, intellectuelle et morale d’une ville fondée par leur énergie et leur patriotisme, ces deux hommes bienfaisants ne doivent pas être séparés après leur mort.
Le burin de l’histoire doit tracer en caractères ineffaçables sur la même page, ces deux noms bénis, comme la reconnaissance les fera vivre éternellement dans le cœur de tous les habitants de Joliette.
Pénétré de cette pensée, nous avions déjà formé le dessein d’esquisser rapidement la carrière de M. Antoine Manseau pour en joindre le récit à celui de la vie de l’honorable Joliette, lorsque, par un bonheur inespéré, nous avons vu nos espérances dépassées.
Apprenant que la biographie de ce saint prêtre avait été préparée, il y a déjà plusieurs années, par le vénérable Évêque de Montréal, nous avons fait de vives instances pour nous la procurer; et aujourd’hui, nonobstant les réclamations dictées par la modestie, nous prenons sur nous de la publier pour la satisfaction du public.
Maintenant, que le lecteur n’aille pas se scandaliser de notre prétention de placer nos humbles essais à côté des écrits si solides, si dignes, si pleins de mérite de Sa Grandeur, Mgr l’Évêque de Montréal. Au sein du même parterre, la rose brillante, gloire du printemps, et la violette à la modeste parure ne s’épanouissent-elles pas sous les rayons du même soleil? N’entendons-nous pas dire tous les jours qu’il faut des ombres à tout tableau?
Eh bien! nos écrits seront ces ombres qui feront ressortir d’avantager (sic) la beauté du tableau qu’a tracé Monseigneur. C’est le seul honneur auquel ils aspirent."
Sortir heureux et triomphant de tous les obstacles que présentent au jeune homme orphelin, pauvre et sans appui, les premiers pas de la vie; parvenir, à l’aide de quelques leçons élémentaires, à l’honneur d’une profession libérale; se concilier pendant quinze ans, la sympathie, l’estime et la reconnaissance d’un vaste district; puis, après ce laps de temps, braver hardiment toutes les prédictions sinistres, s’en venir, sous l’inspiration d’une pensée créatrice, planter sa tente dans l’épaisseur de la forêt qui va disparaître bientôt pour faire place à un riant village; couvrir de moulins, de manufactures, etc., le nouvel établisssement qui, comme par enchantement, a surgi sur les rives pittoresques de la rivière de l’Assomption; emprisonner les eaux dans leurs lits ou se servir de leur chûtes et de leurs courants pour transporter sur une distance de 60 à 80 lieues, le bois des vallées et des montagnes du Nord; ouvrir des routes à travers la forêt et les marécages; relier ce centre commercial à la navigation du St. Laurent, par le moyen d’un chemin de fer; favoriser puissamment l’éducation, par la fondation d’un collège; enfin, couronner toutes ces œuvres par la construction d’un temple splendide : solennel et vivant témoignage de foi et d’attachement à l’église; voilà, certes, de quoi illustrer plus d’une vie; et pourtant, tel est le fruit du génie, du dévouement et du patriotisme d’un seul homme, de l’Honorable Barthélemi Joliette.
C’est le récit aussi fidèle que possible des principales phases de cette belle vie, que nous offrons au public de Joliette. Ce n’est pas que les citoyens de cette localité ignorent leur bienfaiteur ou les grandes choses qu’il a accomplies, non : mais, chacun a pu l’éprouver, il y a toujours un charme nouveau à entendre résonner à nos oreilles le nom et les louanges de ceux qui nous sont chers, et l’on pardonne alors volontiers au narrateur ses défauts de langage, pour ne savourer que le plaisir qu’apporte délicieusement au cœur, les agréables souvenirs qu’il rappelle. « L’amour, dit Lacordaire, n’a qu’un mot, en le disant toujours il ne le répète jamais. » Parlant de M. Joliette, à une population objet de sa munificence et de ses bienfaits, nous laisserons couler doucement notre plume, racontant simplement les faits, sans nous inquiéter beaucoup ni des ornements du style, ni de l’harmonie des périodes. Le sujet que nous traitons devra assez intéresser par lui-même sans qu’il soit besoin de recourir à la magnificence des images pour fixer l’attention du lecteur.
I. Naissance de B. Joliette
Barthélemi Joliette vit le jour à St. Thomas de Montmagny, le neuf septembre dix-sept cent quatre-vingt-neuf, époque mémorable de la révolution française qui a eu un retentissement dans le monde entier.
À l’encontre de cette phalange de révolutionnaires, hommes sans principes, sans honneur et sans foi, mais enivrés du vin de toutes les mauvaises passions, et qui, comme une nuée de vautours, s’abattirent sur la France pour la dévorer, comme ils se dévorèrent eux-mêmes plus tard; Barthélemi Joliette, né à cette époque de troubles et de bouleversements sociaux, devait à lui seul, devenir l’homme d’une autre révolution : révolution pacifique et régénératrice, qui, au lieu de changer la patrie en désert, transforma la forêt et le désert en une ville florissante; qui, au lieu de décimer les citoyens par le fer et le feu, les fit prospérer sous la triple influence de la foi, du commerce et de l’industrie; qui, au lieu de renverser les autels de Jésus-Christ, en éleva de nouveaux sur ce sol canadien fécodé par le sang de nos premiers missionnaires.
II. Ancêtres de B. Joliette
La famille Joliette est originaire de l’ancienne province de Brie, dans cette partie du département de la Seine, connue aujourd’hui sous le nom d’arrondissement d’Epernay.
Ce fut sous le gouvernement de M. de Montmagny, qu’au nombre de ces émigrants que la mère-patrie versait chaque année, d’une main avare, sur les rives lointaines du Canada, arrivait au pays, Jean Jolliet, qui, le neuf octobre seize-cent trente-neuf, épousait à Québec, Marie d’Abrancourt, de St. Varx, près de Soissons.
Le nouveau colon n’était ni de noble extraction, ni favorisé des biens de la fortune; il était tout simplement le charron de la Compagnie des Cent Associés; mais, comme tous nos pères, les anciens canadiens, il avait de la foi, de l’intelligence et du cœur.
Dans ces temps de luttes continuelles, où, disséminés de Montréal à Tadoussac, deux cents européens devaient défendre le pays contre des tribus sauvages qui, par milliers, semblaient sortir de terre pour ravager les propriétés et massacrer les habitants de la colonie; à cette époque de glorieuse mémore où, bien des fois, le colon dut arroser du sang de l’ennemi le sillon qu’il traçait, c’était là, les plus beaux titres de noblesse et le plus précieux apanage qu’on pût posséder.
Le 23 avril 1651, Jean Jolliet mourait à Québec, âgé de 55 ans, laissant aux soins de sa femme, quatre enfants : trois garçons et une fille. Voici leurs noms : Adrien, Louis, Zacharie, Marie.
Ce fut l’un de ces enfants, le jeune Louis, dont les RR. PP. Jésuites découvrirent la haute intelligence, qui fut instruit par leur zèle et leur sollicitude, et que nous retrouvons plus tard, avec la soutane et le titre de clerc minoré, au collège de Québec.
Cependant, cette vie toute spirituelle n’allant pas à son caractère et à l’activité dévorante de son esprit, il se tourna vers un autre avenir, et, laissant là l’étude de la théologie, on le vit faire ses adieux au pays, pour s’en aller à travers les immenses solitudes, faire la traite des pelleteries au sein des tribus indiennes.
Dans cette vie de courses et d’aventures, il se rendit familiers les idiômes des nombreuses tribus nomades qu’il visita. C’est ainsi que, sans s’en douter, il se préparait à l’avance, les ressources nécessaires pour la grande entreprise qui couronna son existence, en attachant à son nom un impérissable souvenir.
L’histoire nous a dit comment, en compagnie du père Marquette, et au prix de quels dangers, Jolliet, après une excursion de deux mois dans les pays de l’Ouest, découvrit le fleuve Mississipi.
Ce fut en récompense de sa découverte et en considération de ses connaissances géographiques, qu’il fut nommé hydrographe du roi et qu’il reçut, à titre de fief, avec pouvoir de haute, basse et moyenne justice, la seigneurie de l’île d’Anticosti.
Plus tard, en l’année 1697, le roi joignit à ses domaines, la seigneurie de Joliette possédée aujourd’hui par quelques-uns de ses descendants.
Voici les détails que nous fournissent, à ce sujet, les notes précieuses du savant abbé Ferland :
« Québec a le droit de revendiquer Louis Jolliet comme un de ses enfants. Après avoir fini son cours d’études classiques chez les Jésuites, il embrassa l’état ecclésiastique. Le 16 août 1662, n’ayant pas encore 17 ans accomplis, il reçut la tonsure et les ordres mineurs dans la chapelle de la Congrégation, au Collège des Jésuites. Son père, Jean Jolliet, était mort en 1650 : et en 1651, sa mère avait épousé en seconde noce, Geoffroid Guillot de Beauport. Il avait reçu les ordres mineurs depuis plusieurs années, lorsqu’il termina sa philosophie en 1666.
Joliet avait encore l’habit ecclésiastique en 1667 et demeurait au Séminaire de Québec. Ayant tourné ses vues d’un autre côté, il fut en 1673 chargé par le comte de Frontenac, d’aller à la découverte de la grande rivière que l’on prétendait se décharger dans le Golfe de Californie, et le père Marquette fut invité à accompagner le jeune explorateur. Ce sont les expressions du Révérend Père qui continue à parler dans les termes suivants de son compagnon de voyage.
Ils ne se trompèrent pas dans le choix qu’ils firent du sieur Jolliet, car c’était un jeune homme natif de ce pays, qui a pour un tel dessein tous les avantages qu’on peut souhaiter; il a l’expérience, la connaissance des langues du pays des Outaouacs, où il a passé plusieurs années; il a la conduite et la sagesse, qui sont les principales parties pour faire réussir un voyage également dangereux et difficile.
Enfin, il a le courage pour ne rien appréhender, où tout est à craindre. Aussi, a-t-il rempli l’attente qu’on avait de lui, et si, après avoir passé mille dangers, il ne fût venu malheureusement faire naufrage au port, son canot ayant tourné au-dessous du Sault-Saint-Louis, proche de Montréal, où il a perdu et ses hommes et ses papiers, et d’où il n’a échappé que par une espèce de miracle, il ne laissait rien à désirer au succès de son voyage. »
L’on voit par là que Jolliet avait déjà fait de longs voyages; il s’était occupé de la traite des pelleteries, mais en tout temps, il avait conservé l’amitié de ses anciens maîtres d’études.
Deux ans après la découverte du Mississipi le 7 octobre 1675, Louis Jolliet épousa Claire Françoise Bissot, née à Québec et fille de François Bissot, Seigneur de Vincennes, de Normandie, et de Marie Couillard, de Québec.
En 1680, il reçut en récompense de ses services, la seigneurie de l’île d’Anticosti qui était une des plus considérables du pays à cause de la traite des pelleteries qui s’y faisait sur une grande échelle, et à cause de sa position avantageuse à l’entrée du fleuve.
Louis Jolliet commença alors à signer : « Louis Jolliet d’Anticosti ». Il fut aussi nommé hydrographe du roi, et en 1697, il obtint la seigneurie de Jolliet.
Le recensement de 1681 donne les détails suivants sur sa famille demeurant à l’île d’Anticosti. « Louis Jolliet, 42 ans, Claire Bissot, sa femme, 23 ans. Leurs enfants : Louis, âgé de cinq ans; Jean, 3 ans; Anne, 2 ans; Claire, un an; six serviteurs; 6 fusils; deux bêtes à cornes, 2 arpents de défriché.
Nous ne connaissons pas la date précise de la mort de Louis Jolliet qui est arrivée entre mai et octobre de l’année 1700.
Louis Jolliet laissa plusieurs enfants dont les descendants sont nombreux dans le district de Québec et dans celui des Trois-Rivières. Les fils de Louis Jolliet paraissent avoir été engagés dans la traite des pelleteries et avoir principalement résidé soit dans l’île d’Anticosti, soit sur la côte voisine, au Nord.
L’un d’eux, Jean Jolliet, prit le surnom de Mingan; il maria sa fille Anne Jolliet de Mingan en 1742 au sieur Jean Taché de Ganganville, diocèse de Montauban, fils d’Étienne Taché, commissaire des vivres à Saint-Malo. La famille Taché, à laquelle appartiennent Sa Grâce Monseigneur l’archevêque de Saint-Boniface, l’honorable receveur-général et le représentant du comté de Rimouski, est descendue de ce mariage.
Claire, fille de Louis Jolliet, épousa le 11 mai 1702, Joseph Fleury Deschambeault; de deux filles nées de ce mariage, l’une Marie-Claire, épousa Thomas Jacques Taschereau, trésorier de la marine en ce pays, natif de Tours et tige de la nombreuse et respectable famille de ce nom (qui a aujourd’hui l’insigne honneur de compter dans son sein le pieux et savant Archevêque de Québec).
L’autre, Louise, se maria avec Pierre François Rigaud de Vaudreuil, né à Québec et fils de Philippe Rigaud de Vaudreuil et de Louise Elizabeth Joybert de Soulanges.
Après la prise de Montréal, Pierre Vaudreuil passa en France avec sa femme et ses enfants. »
Alliée à plusieurs de nos nobles familles canadiennes, celle de Jolliet n’a terni l’illustration d’aucune d’elles. Ce nom de Jolliet s’unit à celui des Taché, des Taschereau, des Fleury Deschambault, des Pierre de Vaudreuil dont le père gouverna longtemps ce pays, et dont le fils eut l’honneur d’être nommé gouverneur à l’époque de la lutte suprême de nos pères, en dix-sept-cent cinquante-cinq.
En descendant l’arbre généalogique de la famille de Louis Jolliet, découvreur du Mississipi, l’on trouve à la cinquième génération, Barthélemi, fondateur de la riante petite ville dont la reconnaissance des habitants a changé le nom primitif d’Industrie en celui de Joliette.
Antoine Jolliet, père de Barthélemi, exerçait la profession de notaire. Nous voyons, par les registres ecclésiastiques, qu’il s’était marié à Berthier, en 1785, à Demoiselle Catherine Faribeault, dont le père devint plus tard membre de notre conseil législatif. Antoine Jolliet était allé se fixer à Saint-Thomas de Montmagny où il mourut en 1789 (*)
Orphelin dès sa naissance, Barthélemi fut élevé en compagnie d’Antoine, son frère aîné, sous les soins affectueux de sa mère, femme d’un mérite supérieur, dont la piété égalait l’intelligence et la persévérante énergie.
À l’instar de la plupart des anciennes femmes canadiennes, elle était douée d’une robuste constitution; sans cesse sur pied, on la voyait travailler le jour et une partie des nuits, faire elle-même sans le secours d’autrui, le service de sa maison toute reluisante de propreté.
Elle décéda à l’Industrie, aujourd’hui Joliette, en 1854, à l’âge avancé de 92 ans.
Jusqu’au dernier moment, elle conserva cette lucidité d’esprit, cette heureuse mémoire, cette foi et cette aimable piété qui la distinguèrent toute sa vie.
III. La famille Joliette à L’Assomption
De Saint-Thomas, la petite famille transporta successivement son séjour à Berthier où des parents des connaissances, et tous les doux souvenirs du jeune âge attiraient la mère, puis à L’Assomption, où résidait l’oncle et le protecteur des enfants, l’Honorable Joseph E. Faribeault qui, depuis plusieurs années, y exerçait sa profession de notaire.
IV. Première éducation de B. Joliette
Ce fut peu de temps après sa première communion à laquelle il fut préparé avec soin, et par sa mère et par le zélé curé de L’Assomption, que le jeune Joliette commença à fréquenter l’école du village, tenue par M. Nepveu, dont il garda toujours un excellent souvenir.
Dans son âge mûr, il aimait à se rappeler ces douces années de l’enfance où, en compagnie de ses livres bien-aimés, il passait si agréablement les heures de la veillée. C’était pour lui, disait-il, un véritable délassement; car ne sortant que rarement de chez sa mère, il avait fait de ses livres, ses plus intimes amis. Heureuse la jeunesse d’aujourd’hui si elle se formait sur de pareils modèles!
Bien loin de partager les sentiments et la manière de voir de la plupart des écoliers pour qui l’étude est un supplice, il ne se contentait pas des leçons ordinaires du professeur, mais n’écoutant que son ambition de s’instruire, il s’imposait des tâches surnuméraires dont il allait rendre compte, en sollicitant l’explication des passages qu’il ne comprenait pas parfaitement.
Une estime mutuelle s’était établie entre l’enfant et le précepteur qui ne faisait mystère à personne, du bel avenir qu’il présageait pour son jeune élève.
V. B. Joliette, étudiant en droit.
Cinq années avaient passé bien rapidement, et malgré les regrets du bon et dévoué professeur, malgré le sacrifice de ses inclinations pour l’étute, Barthélemi dût faire ses adieux aux classes de M. Nepveu pour entrer comme clerc-notaire chez son oncle, M. Joseph Édouard Faribeault. Là, comme à l’école, il déploya la même ardeur pour l’étude, la même application à ses devoirs.
Toujours assidu au bureau, on l’y trouvait constamment occupé. Lorsque dans le cours de son travail, il lui survenait quelques difficultés, il prenait pour pratique de ne jamais passer outre, sans s’être rendu compte des obscurités qu’il avait rencontrées.
La science et le jugement de son estimable patron étaient pour lui une précieuse ressource qu’il ne manqua pas d’utiliser. C’est ainsi, qu’à force de travail, de réflexion, et de persévérance, il se préparait une belle carrière pour l’avenir. À cette époque, où l’on ne comptait encore que deux collèges dans le Bas-Canada, où l’éducation classique n’était que le privilège des grandes villes, il fallait aux jeunes gens placés et élevés en dehors de ces centres, une dose de courage et de talent plus qu’ordinaire pour aborder les professions libérales. Les intelligences distinguées seules osaient se lancer dans ces carrières heureusement plus redoutées qu’aujourd’hui.
Aussi, est-il digne de remarque, que les anciens officiers publics, nonobstant l’instruction très limitée qu’ils avaient pu recevoir, étaient profondément versés dans toutes les questions de la jurisprudence.
Les articles qu’ils ont laissés, bien que déparés par certaines locutions un peu bizarres, et bon nombre de fautes d’orthographe, sont rédigés de la manière la plus claire toujours basés sur l’exacte interprétation de nos lois.
Ah! si ces hommes, qui, après quatre à cinq ans de séjour dans une pauvre école de village, se virent obligés, sans aucune autre préparation, à commencer leurs études professionnelles; si, dis-je, ils avaient pu jouir des avantages des étudiants de notre temps, combien ils en auraient mieux profité que quelques-uns d’entre eux! et combien nombre de ces derniers auraient à rougir de la comparaison des connaissances des anciens avec celles des contemporains!
VI. B. Joliette admis à la pratique du notariat
Le jeune Joliette avait terminé ses études légales. Muni de bonnes recommandations et des certificats flatteurs de son digne patron, il partit plein de confiance pour aller se soumettre aux épreuves de l’examen. Ce jour fut pour lui un beau triomphe et l’occasion de nombreuses félicitations de la part des amis que sa bonne conduite avait attirés autour de lui.
Ce fut le trois octobre mil-huit-cent-dix, qu’il reçut de Sir James Craig, sa commission de notaire. Il y avait près de 6 ans qu’il avait commencé sa cléricature.
Combien, en entendant les réponses si justes de son protégé et les compliments que lui adressaient les examinateurs, le cœur du bon oncle, J. E. Faribault, dut battre de joie et d’espérance! Il aimait son neveu comme son fils et ce qui redoublait son affection, c’est qu’il était payé d’un juste retour.
Une nouvelle ère allait donc commencer pour B. Joliette. Derrière lui, il voyait déjà se replier et disparaître les scènes riantes de son printemps. Déjà plus de vingt années avaient fui, rapides comme l’éclair; il était au seuil d’un nouvel avenir dont il lui tardait de voir entr’ouvrir les portes.
Le jeune homme pauvre, qui, après de rudes épreuves, beaucoup de fatigues, de travail et de soucis, est enfin parvenu à vaincre toutes les difficultés de la situation, voit enfin poindre ce jour désiré qui réalisera ses plus chers espérances, doit sentir palpiter son cœur, sous l’effet d’une bien douce émotion.
C’est le voyageur empressé, qui, après avoir franchi les déserts et les solitudes, aperçoit enfin, du sommet d’une montagne qu’il vient de gravir, la patrie, le clocher de son village, le toit de ses pères.
En effet, celui-ci n’a pas le cœur plus joyeux, ne respire pas plus à l’aise que l’étudiant qui, après les anxiétés de l’examen, emporte sur son cœur le parchemin chéri, désiré depuis si longtemps.
C’est le premier triomphe de la vie! Quel suave parfum il doit apporter à l’âme confiante, de cette jeunesse, avide d’honneur, et dont le cœur s’ouvre aussi naturellement à l’espérance du bonheur, que le calice des fleurs aux rayons du soleil qui les fait s’épanouir!
Et, il est si doux de se bercer que ce succès n’est que le premier anneau d’une longue chaîne de prospérité!…
Illusion du jeune âge! Combien il serait à souhaiter que tes charmes ne s’évanouissent sitôt!
Hélas! bien souvent, les orages du cœur, le vent du malheur et de l’adversité viennent déchirer trop soudainement les voiles trompeurs qui nous laissent entrevoir la vie, comme un Eden délicieux, où nous n’avons qu’à tendre la main pour cueillir les fleurs odorantes et les fruits savoureux.
Toutes les âmes cependant ne se prennent pas du même enthousiame; certains esprits plus sérieux n’osent se flatter que le chemin de la vie sera pour eux sans épines et sans douleurs. Barthélemi Joliette fut du nombre de ces derniers. D’un naturel réfléchi, il entrevoyait l’avenir avec ses phases inconstantes variables à l’infini : ses alternatives de succès et de revers, ses sacrifices tempérés par l’espérance, ses travaux et ses souffrances adoucis par les joies de la vertu et le témoignage d’une conscience heureuse de l’accomplissement de ses devoirs.
Il était en droit cependant, d’envisager d’un regard confiant, la carrière qui s’ouvrait devant lui, sous les plus beaux auspices. Sa commission professionnelle, il l’avait bien et dûment acquise par six années d’un travail rude et constant.
Il se mit aussitôt à l’œuvre, et dès la première année de sa vie publique, on vit dans sa personne et dans ses actes, l’homme vertueux et intègre qui, pendant quarante ans, honora la profession de notaire par une conduite sans reproche.
À cette époque, le village et la paroisse de L’Assomption étaient déjà florissants. De plus, l’état d’aisance dans lequel se trouvait la population des lieux circonvoisins, ayant son centre d’affaires au même village, contribuait à rendre plus favorable à M. Joliette, les succès de l’avenir.
La confiance publique ne tarda à pas à prouver au jeune notaire combien l’on savait apprécier son savoir, sa rectitude de jugement et sa probité.
Son bureau était le rendez-vous de cinq à six paroisses. Il suffisait qu’une affaire parût embrouillée pour qu’on recourût au discernement de M. Joliette.
Ce surcroît de labeurs l’obligeait à passer souvent les jours et les nuits sans sommeil; c’était à peine, s’il pouvait expédier cette multitude d’affaires dont on le surchargeait, de toutes parts.
Homme de conseil, il avait la patience d’écouter pendant des heures entières, les raisons, les disputes des deux parties qu’il lui fallait accorder. C’est ainsi qu’il exemptait une foule de procès insidieux et de chicanes : source de tant de désordres et de tant d’implacables rancunes.
Mais ce qui est admirable, ce qui fait le plus bel honneur à M. Joliette, c’est sa générosité et son désintéressement. Jamais on ne le vit exiger aucune rémunération pour les conseils qu’il donnait, et pour lesquels il sacrifiait des moments si précieux.
Belle et précieuse qualité trop rare de nos jours!
VII. Barthélemi Joliette, major de milice. Campagnes de 1812 et de 1813.
Mais voilà que des nuages s’amoncellent à l’horizon politique du Canada. La république américaine ayant violé le blocus continental imposé par la Grande-Bretagne, en haine de la France et en représailles de celui qu’avait ordonné Napoléon, s’irrita de la capture de ses vaisseaux pris en flagrant délit et confisqués par les Anglais. N’écoutant que son ressentiment, forte de la puissance numérique de ses armées, elle déclara la guerre à son ancienne métropole.
On sortait alors de cette époque malheureuse de fanatisme et de persécutions qu’avait inaugurée l’administration de Sir James Craig.
L’Angleterre effrayée, comprit alors qu’elle devait changer sa politique envers les Canadiens-Français, et que la concession des droits et des privilèges qu’ils réclamaient depuis longtemps, lui servirait beaucoup plus avantageusement que le despotisme de son autorité.
« D’heureuses circonstances favorisaient ce retour à des idées plus justes, et surtout plus honorables de la part d’une grande et puissante nation. »
La politesse, la déférence et l’impartialité de Sir George Prévost, successeur de Sir James Craig l’avaient rendu l’idole de la population. De plus, la nomination aux premières dignités militaires de plusieurs de nos compatriotes distingués, achevèrent de populariser le gouverneur.
Il était temps, car la lutte menaçait d’être terrible et sanglante. C’était sur nous que devaient tomber les premiers coups, et cependant, cette prévision n’épouvantait personne. À peine la déclaration de guerre avait-elle été signifiée, qu’un cri universel de patriotisme souleva la poitrine de tous les Canadiens.
À ces nobles accents, on reconnaissait les descendants des vaillants soldats de 1759 et de 1760.
Non, l’ardeur guerrière de ce peuple de braves qui, à la pointe de la baïllonnette, avait purgé le sol des hordes indiennes et sauvé la patrie des invasions redoutables de la Nouvelle-Angleterre, non cette fougue chevaleresque ne s’était pas éteinte dans un lâche et indolent sommeil.
À l’appel de la mère-patrie, le Canada fidèle à sa foi, fier de ses vieilles gloires, se leva comme un seul homme pour voler à la défense de ses frontières menacées.
De toutes parts, accourait se ranger sous la bannière nationale, une foule de nobles cœurs, qui tous, brûlaient de donner un solennel démenti aux accusations mensongères portées contre la loyauté du peuple Canadien. Aux premiers rangs, figurait le jeune notaire de L’Assomption, B. Joliette.
Nommé enseigne et aide-major par Sir James Craig, en mil-huit-cent-huit, il obtint successivement les grades de capitaine et de major, sous le gouvernement de Sir George Prévost. C’est sous ce dernier titre, qu’il servit en mil-huit-cent-douze et en mil-huit-cent-treize, dans la division du lieutenant-colonel Fleury-Deschambault.
Quelques lettres adressées à sa famille, vers cette époque, nous donnent quelques détails sur le moral excellent des soldats placés sous ses ordres :
« Nous sommes toujours sur le qui-vive! écrivait-il; tous brûlent de se mesurer avec l’ennemi, et j’espère que nous aurons bientôt l’occasion de satisfaire notre légitime désir… Sous la tente, tout n’est pas rose : il arrive souvent que nous manquons du plus indispensable. Il ne faut pas s’en plaindre; c’est la condition du soldat. Deux choses cependant plus utiles que les autres ne nous ont jamais manqué : c’est l’honneur et le courage de nos bons vieux pères! »…
VIII. Mariage de B. Joliette
Dans l’intervalle qui sépara les deux campagnes de mil-huit-cent-douze et de mil-huit-cent-treize, le brillant major, de retour dans ses foyers, conduisait à l’autel la noble demoiselle Marie Charlotte Tarieu Taillant de Lanaudière qui devait plus tard lui apporter en dot une partie de la seigneurie de Lavaltrie. Le mariage fut célébré à Lavaltrie, le 27 septembre 1813.
Mais les événements se précipitaient. Le lendemain de son union, le jeune officier dût faire ses adieux à son épouse pour courir à la tête de son régiment qui repartait pour la frontière.
À quelques jours de là, les milices canadiennes remportaient la brillante victoire de Châteauguay qui jeta sur nos armes un dernier reflet de gloire.
Ce triomphe de la valeur, de la tactique sur la supériorité numérique, nous a été utile sous plus d’un rapport. Non seulement, il a légué à la postérité le nom de Salaberry qu’il a couronné d’une gloire immortelle, mais encore, il nous a fait reconquérir dans l’estime des peuples ces titres d’honneur, de bravoure, d’inébranlable fidélité qu’un certain parti d’une race victorieuse avait voulu injustement nous ravir.
Tous nos compatriotes qui marchèrent alors à l’ombre du drapeau militaire, peuvent revendiquer leur part de gloire dans cette mémorable journée. En effet, si tous ne furent pas décorés de nobles cicatrices, si tous ne rougirent pas leur épée ou leur baïonnette du sang de leur ennemi, c’est que l’obéissance et l’accomplissement d’un impérieux devoir, les retinrent impatients, loin du théâtre du combat auquel ils assistèrent tous et d’esprit et de cœur.
Repoussés sur tous les points, honteux de leurs défaites multipliées, Hampton, Wilkinson et leurs troupes avaient repassé la frontière. Le Canada venait d’être sauvé, encore une fois, par la valeur de ses enfants.
De ce moment, les volontaires reçurent leur congé et reprirent joyeusement le chemin de leurs paroisses respectives.
Rendu à sa famille et à ses amis, Barthélemi Joliette se livra de nouveau, avec ardeur, à ses travaux professionnels dont le fardeau allait s’augmentant tous les jours.
La gestion des affaires de la seigneurie de Lavaltrie qu’on lui avait confiée, doublait ses occupations.
Cette agence cependant, ne lui déplaisait nullement, parce qu’elle lui fournissait l’occasion de fréquents voyages bien propres à fortifier sa santé qu’altérait la vie sédentaire du bureau.
Sur ces entrefaites, une épreuve bien douloureuse vient assaillir les jeunes époux. Au mois de juillet mil-huit-cent-vingt, la mort toujours cruelle, toujours sourde aux vœux et aux prières, venait leur ravir, à l’âge de six ans, leur unique enfant. C’était sur cet être chéri que reposait leurs plus douces espérances.
Pétillant d’esprit, d’une intelligence au-dessus de son âge, d’un naturel affectueux, aimable et bon, le jeune Charles promettait de devenir plus tard l’honneur de sa famille. Mais les calculs de l’amour, les espérances d’avenir, l’illusion de la tendresse et de l’affection, tout fut déjoué; tout s’évanouit en un clin d’œil, pour faire place au deuil et à la douleur.
Néanmoins, tout en ressentant l’épreuve qui les blessait dans leurs sentiments les plus doux, M. et Mme Joliette s’y soumirent en vrais chrétiens. Leur foi, et les consolations de la religion, leur donnaient la force du sacrifice, voire même d’une entière résignation.
Souvent dans la suite, à l’évocation du souvenir de ce jour de tristesse et de torture morale, de grosses larmes roulaient brûlantes sur les joues de la mère au cœur si sensible; mais bientôt, un regard plein d’espérance vers le ciel, une parole pleine de douceur tombée des lèvres du mari bienveillant et affectueux, ramenaient la sérénité du bonheur au foyer conjugal.
IX. M. Joliette, député du comté de Leinster
En l’année mil-huit-cent-dix-sept, M. Joliette, cédant aux sollicitations de ses nombreux amis, s’était porté candidat pour le comté de Leinster, en opposition à M. Jacques Lacombe, marchand de L’Assomption. La victoire vaillamment disputée de part et d’autre fut remportée par M. Lacombe à une majorité de 36 voix. M. Joliette n’entra en chambre qu’à la suite de l’heureux résultat de la contestation de cette chaude élection.
Ce fut, paraît-il, le premier exemple d’un procès de ce genre en Canada. Est-ce pour cette raison que la corruption électorale n’y pût triompher de la justice?
Mais le triomphe du député légitime du comté de Leinster fut de bien courte durée, car le lendemain de son entrée à la chambre d’assemblée, le parlement fut dissous par l’arrivée de la nouvelle de la mort de George III.
Comme on le voit, la contestation avait duré trois ans; c’était autant de temps qu’il en fallait, pour rendre sur la cause en litige, un jugement prudent et pesé au poids de la sagesse.
Aux élections suivantes, M. Joliette fut élu aux acclamations unanimes de la même division électorale.
Tout le monde avait confiance en son dévouement, sa droiture d’intention, ses talents solides et son patriotisme éclairé. Il ne brillait pas en chambre par ces éclats d’éloquence qui soulèvent, passionnent, électrisent les auditeurs, mais sa parole facile, claire et raisonnée, lui donnait une place distinguée parmi les représentants du peuple.
Aussi, avait-il conquis le respect, l’estime et la confiance de ses collègues qui le consultaient sur une foule de questions relatives au commerce et à l’industrie.
Son passage à la chambre d’assemblée fut marqué par l’adoption de plusieurs mesures protectrices de nos intérêts commerciaux et industriels. C’était lui qui en avait été le plus zélé instigateur, comme le conseiller le plus éclairé par l’expérience.
Cependant le tracas des affaires politiques n’allait que médiocrement au caractère de M. Joliette; il résolut de s’y soustraire; à l’expiration de son second mandat, il annonça à ses électeurs sa détermination de renoncer à la charge dont ils l’avaient honoré.
Dès lors, aucune considération ne put l’engager à reprendre ses fonctions de député.
X. Découverte du site qu’occupe aujourd’hui la ville de Joliette
Nous avons dit précédemment que M. Joliette avait été chargé de l’administration de la seigneurie De Lanaudière dont il était l’un des cohéritiers. Sur les terres de Saint-Paul, à la distance de deux milles de l’emplacement qu’occupe aujourd’hui Joliette, s’élevait, au pied de l’une des cascades de la rivière, un vaste moulin à farine abandonné depuis 1826 et tombé aujourd’hui en ruine.
La surveillance de cet établissement amenait souvent M. Joliette en cet endroit.
Dans une des visites que fit le jeune seigneur sur les beaux domaines que son épouse lui apportait en dot, il côtoya un jour les mille sinuosités de la rivière L’Assomption depuis l’endroit appelé aujourd’hui « Vieux Moulin », jusqu’aux profondeurs de la seigneurie de Lavaltrie.
Accompagné d’un ami, il s’avançait silencieux à travers l’épaisseur des bois, admirant les cascades murmurantes de cette rivière limpide qui se déroulait sous les arceaux de la forêt vierge, en ce moment toute retentissante des harmonieux concerts des oiseaux.
C’était en 1823, par une délicieuse journée du mois de juin. Sous le ciel serein, le soleil souriait amoureusement aux fleurs nouvellement écloses, versant dans l’atmosphère parfumée par les arômes des plantes, la douce et vivifiante chaleur projetée par les rayons d’or de son disque embrasé.
La nature dans toute sa fraîcheur, étalait aux regards le spectacle de ses rameaux en fleurs, de ses mousses chatoyantes, de ses tendres gazons, de ses jeunes ombrages, des perles de la rosée scintillante à travers le feuillage, du cristal des eaux, reflétant comme des miroirs, l’image tantôt gracieuse, tantôt bizarre des plantes, des bois et des rochers semés sur leur cours; en un mot, elle présentait, sous l’éclat de sa charmante parure, toute la magnificence de sa résurrection printannière.
Les deux explorateurs foulaient, en ce moment, ce sol de l’industrie que devaient féconder tant de travaux et de vertus.
Tranquillement assis sous les riants ombrages, nos deux voyageurs contemplaient avec délices les beautés de ce site solitaire qui aurait inspiré les poétiques accents de plus d’un amant de la belle nature…
Inclinée vers le Sud-Ouest par un gracieux détour, la rivière qui, jusqu’alors, coule tranquille et profonde sur un fond uni et sablonneux, change subitement d’allure : parsemée de cascatelles, elle roule bruyamment sur un lit de cailloux, ses eaux blanchissantes d’écume.
Sur sa rive occidentale, la plaine parfois légèrement ondulée, se déroule agréablement au regard. Un riche manteau de verdure semble la recouvrir tout entière, dérobant à la vue le triste aspect des marécages que la persévérance et l’industrie assainiront bientôt.
Sur le fond du paysage, apparaissent avec un heureux agencement de couleurs et de formes, mille ornements divers; ce sont les verts érables, les pruches aux teintes si sombres, les noirs sapins, les ormes aux longs et flexibles rameaux, les hautes épinettes rouges et blanches, les pins gigantesques, les merisiers touffus et les bouleaux mobiles.
De ce côté, vis-à-vis du premier rapide, le rivage est peu élevé; la plaine monte insensiblement jusqu’à la hauteur d’une quinzaine de pieds environ, au-dessus du niveau de la rivière. Dès lors, le terrain enfermé dans le coude formé par les eaux, offre sur une grande distance, une surface plane et richement boisée.
C’est là qu’on abattra plus tard ces pins superbes qui serviront à la construction du moulin, premier berceau de la nouvelle colonie. C’est là encore que, dominant les têtes vulgaires, s’élevaient les fronts altiers de ces ormes magnifiques qu’on aurait voulu conserver, mais qui sont disparus dans les incendies de la forêt.
Un seul, survivant d’un autre âge, a échappé à la destruction; il a été laissé, comme un témoin du passé, comme un poétique souvenir des gloires de ces forêts vierges.
Il est là, avec sa taille d’athlète, ses rameaux séculaires, ombrageant majestueusement le manoir seigneurial vide et désolé. Comme un saule pleureur penché sur le bord d’un tombeau, il semble, lui aussi, porter le deuil de ses possesseurs d’autrefois.
Sur le versant oriental de la rivière, en face de Saint-Thomas, un tout autre horizon s’offre à la vue. Dans tout le parcours extérieur du circuit dont nous avons parlé, les rives sablonneuses s’étendent d’abord en une jolie terrasse, puis, un peu plus loin, changeant d’aspect, elles commencent à s’élever graduellement jusqu’à une si grande hauteur qu’elles dominent presque les sommets des bois de la plaine opposée.
Ces côteaux pittoresques et charmants sont couronnés eux aussi de la plus luxuriante végétation. Le pin, la prûche, les bois francs, tels que le merisier, le hêtre, le bouleau, et surtout l’érable et le plaine y croissent abondamment.
Quelle impression la vue d’un pareil tableau ne dût-elle pas faire sur l’imagination de M. Joliette! Quels éclairs durent illuminer son génie hardi, lorsque les rayons radieux du soleil reflétés sur les chutes, faisaient jaillir dans les airs mille arcs-en-ciel ravissants! De quels rêves d’or, de quels brillants projets son cœur et son esprit ne durent-ils pas être bercés et agités à l’aspect de cette belle rivière d’un parcours d’une centaine de lieues, à travers les riches forêts de la vallée et des sommets des Laurentides!…
D’un rapide coup d’œil, il avait compris tous les avantages d’une position si exceptionnelle. Placé au centre d’un territoire très étendu, et déjà en partie ouvert au travail de la colonisation, l’établissement qu’il projetait d’asseoir en ce lieu, ne pouvait manquer de prospérer rapidement. Une rivière aussi riche en pouvoirs d’eau, aussi avantageuse pour la descente des bois dont regorgeaient les montagnes et les plaines, c’en était assez pour faire concevoir les plus belles espérances.
Quelques heures après, les deux visiteurs rebroussaient chemin pour retourner à Saint-Paul.
Dès lors, un projet unique absorba toutes les réflexions de M. Joliette.
XI. Moyens de M. Joliette
Sa fortune n’était pas considérable; néanmoins la nombreuse clientèle que sa réputation de probité lui avait acquise, l’économie de son administration, l’avaient placé dans un état au-dessus de l’aisance.
D’un autre côté, de précieuses et inestimables qualités devaient suppléer abondamment à l’insuffisance de ses ressources pécuniaires. Doux, affable, bienveillant, généreux envers tout le monde, d’une exquise sensibilité d’âme, d’un caractère noble, hardi, persévérant, d’une activité dévorante dont la mort seule a pu arrêter le cours, d’un jugement supérieur, d’un esprit observateur et inventif, il était trempé pour les grandes entreprises dont il eut l’instinct dès le début de sa carrière.
Tel était le fondateur de l’Industrie, lorsque abandonnant le village de L’Assomption, les amis nombreux qui l’estimaient si hautement, il s’en vint planter sa tente au plus épais de la forêt, sur les confins de la seigneurie de Lavaltrie.
La foi et le patriotisme, héréditaires dans la famille Joliette, lui faisaient entrevoir dans son entreprise, une nouvelle glorification de la religion et un immense bienfait pour ses compatriotes.
C’est fortifié, inspiré par ce double amour de la religion et de la patrie, qu’il devait opérer ces grandes choses qui lui ont mérité l’admiration et la reconnaissance de l’une et de l’autre.
Et qu’on ne perde pas de vue cette vérité : M. Joliette n’est véritablement grand aux yeux de ses concitoyens, son nom n’a mérité les honneurs de l’immortalité, que parce que, comme tous les hommes illustres, il s’est oublié lui-même pour se dévouer au succès des deux plus nobles causes : celle de la religion et celle de son pays.
XII. Premier travail dans la forêt
Cinq mois après l’exploration dont nous avons parlé, la forêt retentissait encore sous les pas de nouveaux visiteurs.
Cette fois, ce n’était plus seulement deux touristes qui, longeant les bords de L’Assomption, s’amusaient à écouter les murmures des ruisseaux ou le mugissement des chutes.
Ceux qui s’avançaient, le sac au dos, la hache à l’épaule, ne s’enthousiasmaient guère de la beauté des paysages, de ces verts érables dont les rameaux embaumés se balançaient,quelques mois auparavant, au-dessus de la tête des premiers voyageurs. Non, ces hardis et vigoureux travailleurs ne venaient pas, en ce jour, savourer le parfum des brises, ou écouter les voix harmonieuses des musiciens des bois.
Voyez-les, pleins de gaieté et de courage, marchant d’un pas rapide, écartant les broussailles qui obstruent l’étroit sentier de la forêt, tout en faisant retentir les échos du refrain populaire :
- En roulant ma boule,
Derrière chez nous y-a-t-un étang,
En roulant ma boule.
À un signal donné, la caravane s’arrête. Elle est arrivée à la tête des rapides, situés au-dessus de la ville. C’est ici qu’il faut abattre l’épaisse forêt, déblayer un terrain spacieux pour y asseoir sur les bords de la rivière, un splendide moulin en pierre à deux étages, de cent pieds de longueur sur une largeur de cinquante.
Une heure plus tard, au milieu des hourrahs enthousiastes des braves travailleurs, cent échos sonores roulant de cascade en cascade, de colline en colline, répercutaient au loin la chute des pins gigantesques s’abattant avec un bruit épouvantable, entraînant sous leur poids les rameaux fracassés des arbres voisins. Ainsi tombaient les rois de la forêt; ainsi le fer meurtrier faisait partout de larges trouées dans ces bois que la main de l’homme avait jusque-là respectés.
C’était au mois de décembre de l’année mil-huit-cent-vingt-trois.
En quelques heures, un chantier de bois rond, calfaté de mousse, recouvert de calles, était élevé sur l’emplacement où se trouve aujourd’hui la maison du meunier du grand moulin.
Ce fut sous ce toit rustique, que passèrent l’hiver les premiers défricheurs de l’Industire. Ces colons intrépides formèrent le premier noyau de cette population laborieuse, pleine d’intelligence, d’activité et de courage, qui a tant aidé le fondateur de Joliette dans son œuvre religieuse et nationale.
Braves artisans, qui, les premiers, avez été au labeur et à la peine dans cette grande entreprise, laissez-nous vous payer une juste dette de reconnaissance.
Permettez que nous répétions encore, ce qui a déjà été dit plusieurs fois : Honneur au courage et à la persévérance des premiers colons de l’Industrie!
XIII. Construction du moulin
Malgré les neiges et les frimats, malgré les tempêtes de l’hiver, la hache ne cessait son travail d’impitoyable destruction. La forêt cernée de toutes parts, attaquée par tant d’ennemis, tombait entre-mêlée, interceptant tout paysage à travers ses immenses ruines. Les plus gros arbres jugés propres à la construction étaient coupés en billots; puis, traînés sur l’emplacement des édifices projetés.
C’est là que des ouvriers actifs fabriquaient les madriers, les planches et les bardeaux, etc., etc.
Non loin de l’emplacement du moulin qu’il s’agissait de bâtir, et en descendant le cours de la rivière, s’étendent sur ses bords, de vastes carrières de pierre calcaire d’une qualité supérieure. Elles furent exploitées immédiatement et fournirent les matériaux nécessaires à la construction du moulin.
Les cent ouvriers que M. Joliette avait sous ses ordres firent tant de diligence que la bâtisse fut achevée l’année suivante.
Mais cette œuvre avait coûté bien des travaux, occasionné beaucoup de sacrifices. Il avait fallu asseoir, élever une digue puissante pour intercepter le cours de la rivière, afin que son niveau fût en harmonie avec le mécanisme des moulins dont elle allait régler la force motrice.
Cette entreprise conduite par M. Joliette, dont l’œil attentif veillait scrupuleusement à l’exécution des plans médités et mûris à l’avance, s’exécuta en quelques semaines.
L’on peut juger de sa solidité, lorsqu’on se rappelle que, depuis cinquante ans, cette chaussée est restée inébranlable : résistant, chaque année, à l’inondation des eaux refoulées par la pression de milliers de billots qu’entasse sur ses jetées, la rapidité du courant.
Dans l’automne de 1824, un moulin à farine et un moulin à scie fonctionnaient parfaitement dans cette bâtisse dont nous avons parlé, et que devait enrichir plus tard, plus d’une manufacture.
La plus grande activité régnait dans tout le chantier de M. Joliette.
Tandis qu’un parti de travailleurs abattaient les pins superbes, les longues épinettes et les cèdres odorants pour fournir un aliment quotidien aux scies rapides du moulin, d’autres pionniers traçaient hardiment les routes : artères indispensables qui devaient amener jusqu’au cœur de l’Industrie, la richesse et la vie des populations d’alentour.
XIV. Voyage de M. Joliette aux Etats-Unis.
Épuisé par ses travaux continuels, M. Joliette, sur les instances de ses nombreux amis, quitta ses occupations pour aller redemander au ciel plus doux de Philadelphie le rétablissement de sa santé.
Accompagné de son épouse, de M. Paul De Lanaudière, son beau-frère, du Dr. Henri Loedel, il partit, non sans adresser à regret un adieu momentané à sa chère Industrie où il se proposait d’amener bientôt sa famille.
L’air de la grande République lui fut salutaire, et trois mois après son départ, parfaitement reposé, il reprenait joyeusement le chemin du pays, et surtout de sa chère colonie, l’objet de sa constante sollicitude.
XV. Nouvelles manufactures – Cloche du moulin
Son voyage lui avait donné l’occasion d’une foule de précieuses observations qu’il sut bientôt utiliser.
Aux deux moulins dont nous avons parlé, vinrent s’en adjoindre d’autres dont il avait pris le modèle chez nos industrieux voisins.
Bientôt des manufactures à carder, à fouler, à presser, des moulins à berly, des fabriques de clous et à bardeaux vinrent mêler leurs voix bruyantes au concert déjà assourdissant des premiers mécanismes. Toutes ces manufactures, fabriques, avaient été concentrées dans la grande bâtisse en pierre appelée « le grand moulin ».
Pour compléter la toilette du nouvel édifice, on avait couronné son sommet d’un riant et joli clocher. Quelques semaines plus tard, une cloche de deux à trois cents livres y était installée aux acclamations de tous les travailleurs.
Ce dût être, en effet, pour eux, une jouissance bien agréable, que d’entendre retentir au milieu des bois les accents sonores de l’airain qui, dès l’aube matinale, les invitait joyeusement au travail. Cette voix qui, trois fois le jour, mêlait son harmonie au chant des oiseaux, au mugissement des rapides, aux mille bruits de la forêt, réveillait dans leurs âmes les plus doux souvenirs : ceux de la paroisse natale, du clocher de leur village, des parents et de des amis laissés là-bas…
Et lorsqu’aux approches du soir, la cloche jetait de nouveau, sur l’aile des brises, ses harmonieuses volées que répercutaient au loin les échos de la rivière, l’outil s’échappait de la main des ouvriers, toutes les oreilles étaient tendues pour savourer délicieusement ce beau concert.
XVI. Premières habitations du Village d’Industrie
Aux environs du moulin, avaient été élevées, en peu de temps, plusieurs élégantes habitations que l’on voit encore sur la rue De Lanaudière, appelée alors « le chemin de Saint-Paul ».
Ces demeures étaient celles du meunier, celle du Dr. Leodel occupée actuellement par Mme Chaput, celle de M. François Panneton, et enfin, celle de M. Joliette devenue la résidence actuelle de madame Édouard Scallon.
En outre, à travers les éclaircies de la forêt, l’œil apercevait épars ça et là une quinzaine de chantiers occupés par les travailleurs. Quelques-uns d’entre ces derniers, commençaient à y amener leurs familles.
Les cabanes qu’ils habitaient, construites à la hâte, et presque sans aucune dépense, convenaient à la situation des nouveaux colons, car à cette époque, où le terrain était encombré de débris, de branchages, d’abattis d’arbres, des incendies fréquents balayaient tout sur leur passage. C’était à peine si les habitants pouvaient sauver de la conflagration les quelques pièces de leur modeste mobilier.
Mais la ruine d’un chantier était peu de chose. On en était quitte pour un jour de travail auquel prenait part toute la colonie. C’est à qui montrerait le plus de zèle, le plus d’empressement à secourir le pauvre incendié.
Qu’il était beau ce dévouement! On aurait dit une famille tendrement unie! Touchante union! Bienveillante sympathie! Honorable cordialité qui fait encore aujourd’hui le caractère distinctif des citoyens de Joliette!
En ces vertus, comme en beaucoup d’autres qui les honorèrent, les anciens habitants de l’Industrie ne faisaient qu’imiter la générosité du seigneur Joliette dont la bourse, ainsi que celle de toute la noble famille seigneuriale, était ouverte à toutes les infortunes.
XVII. Pont des Dalles
Mais, hâtons-nous de suivre l’infatigable fondateur se transportant trois à quatre fois la semaine, du pont qu’il faisait jeter sur la rivière de l’Assomption, à l’immense chantier de billots organisé par ses soins, sur la paroisse même de l’Industrie.
En descendant vers son embouchure, à la distance d’un demi-mille du moulin de pierre, la rivière, engagée dans les rapides, se précipite en mugissant sur un lit rocailleux : ses rives abruptes et élevées se resserrent tout à coup, ne laissant au passage des eaux bouillonnantes qu’un canal d’une soixantaine de pieds de largeur.
Cet endroit fut désigné sous la dénomination de Dalles de la rivière; de là, le nom de Pont des Dalles, donné à la construction qu’y fit M. Joliette.
Par cette communication, il ouvrait la porte de son village aux paroisses de Sainte-Élizabeth, de Saint-Thomas et autres, amenant à son établissement le commerce de ces localités, dont les produits étaient auparavant dirigés sur Sorel et Berthier.
XVIII. Chantiers
Pendant que le marteau retentissait sur le pont sonore, deux cents bûcherons échelonnés sur un espace de six à sept milles, s’attaquaient aux pins séculaires qui, débarrassés de leurs branches, coupés en billots, étaient traînés sur les bords de la rivière. C’est de là, qu’à la débâcle du printemps, les draveurs secondés par les courants, devaient les diriger jusqu’au boom, situé un peu en amont de la chaussée du moulin à scie.
Devant nécessairement parler du commerce du bois, branche d’industrie qui, habilement exploitée, devint pendant vingt-cinq ans la source où M. Joliette puisa abondamment de quoi subvenir aux frais de ses grandes entreprises, nous arrivons tout naturellement à quelques détails sur l’organisation d’un chantier.
Lorsqu’un exploiteur a résolu de faire chantier, il commence par réunir le nombre d’hommes voulu pour conduire à bon terme son entreprise. Les uns sont engagés comme bûcherons, d’autres sont loués avec leurs voitures comme charretiers.
Au jour indiqué, la caravane, composée de cent à deux cents hommes ou plus encore, s’embarque sur les sleighs surchargés de toute une cargaison de piques, de haches, de scies, de raquettes, de pelles, de quarts de fleur, de lard, de couvertures, et aussi, n’allons pas l’oublier, d’une batterie de cuisine; le tout en rapport avec les besoins et les exigences indispensables des lieux.
Soudain la voix redoutée du foreman se fait entendre.
« Vite, vite Pierrot! Dépêche-toi Baptiste! » Il faut partir malgré les attraits de Bacchus; il faut dire adieu à l’auberge, et se jeter ou être jeté sur les traîneaux qu’entraînent avec vitesse les chevaux aiguillonnés par le fouet dont leurs flancs sont labourés. Tous les charretiers, en effet, ne sont pas en état de mesurer leurs coups. Nonobstant les précautions et les défenses sévères des conducteurs, les têtes sont échauffées sur plusieurs points. De tous côtés, s’échappent les éclats de rire qu’accompagnent les joyeux refrains de la chanson des voyageurs :
- Dans les chantiers nous hivernerons,
Dans les chantiers nous hivernerons.
À Bytown, c’est une jolie place,
Mais il y a beaucoup de crasse, etc.
XIX. Dans la forêt
Les travailleurs sont arrivés au milieu de la forêt. Ça et là, sur les sommets et le versant des montagnes, au fond des humides vallées, dominant avec majesté le faîte des bois, apparaissent par groupes, les pins géants qui balancent orgueilleusement leurs têtes verdoyantes. Voilà les ennemis auxquels il faut s’attaquer et dans cette guerre contre ces rois de la forêt, il faut frapper sans pitié, jusqu’à la dernière tête.
Mais auparavant, il s’agit d’asseoir le chantier. La troupe se divise par bandes de vingt à trente hommes. Chacun de ces corps doit pourvoir à son habitation respective. Échelonnée sur une distance de quatre à cinq milles, et plus encore, chaque nouvelle famille de bûcherons se met hardiment à l’œuvre.
En quelques heures, une foule de cabanes en bois ronds surgissent comme par enchantement dans l’épaisseur des bois. Des calles ou planches de pin fendues avec la hache et le coin, recouvrent ces palais forestiers dont les fentes sont calfatées avec de la mousse ou avec l’écorce des arbres.
Au centre de ces toits rustiques, on a eu soin de pratiquer une large ouverture afin de faciliter le passage de la fumée qu’exhale sans cesse le feu dévorant du foyer.
Entrons dans le chantier; voyez-vous tout autour de la nouvelle demeure, ces larges bancs recouverts de branchages! Ce sont les lits des travailleurs dont la paille, les rameaux de cèdre et de sapin forment le plus moëlleux édredon.
Malgré la fureur des vents, le craquement épouvantable des bois, le hurlement des loups, les cris sinistres du hibou perché au-dessus du chantier, c’est là que l’on dort d’un sommeil non interrompu; que l’on repose légèrement, bercé par les songes les plus doux.
D’énormes quartiers de roches posés les uns sur les autres et disposés en cercle constituent la cambuse ou foyer qui, durant tout l’hiver, ressemble à une forge embrasée.
C’est là que le cook (cuisinier) d’une propreté souvent équivoque, armé d’une pelle en fer, bouleverse dans la profonde chaudière, le lard, les pois et le blé-d’Inde entassés; du sein de la marmite bouillonnante, s’élèvent dans les airs, en parfumant la cabane, les odeurs savoureuses de la soupe du soir. Ce succulent potage dont les voyageurs seuls ont le secret, se sert trois fois le jour dans de larges écuelles en ferblanc dont les parois portent souvent l’empreinte des soupes et des ragoûts de la veille, quelquefois même des semaines et des mois précédents. Affaire de détail; personne n’y fait attention.
Voilà pour l’intérieur du chantier; franchissons un intervalle de quinze à vingt pas, et nous examinerons le style des écuries. Leur architecture ne diffère en rien de celle des chantiers, à la seule exception que les fentes en sont calfatées plus soigneusement et que la porte en ferme plus exactement.
Tournons maintenant le dos à ces élégants édifices; laissons le cook et ses aides occupés à préparer le repas du soir, pour suivre le foreman et ses hommes marchant bravement à l’assaut des premières redoutes.
Levez les yeux. Voyez-vous ces pins de quatre, de cinq et même de six pieds de diamètre? Ce sont ces Goliaths de l’armée forestière qu’il faut renverser, terrasser et dépouiller. Les bûcherons disposés par couples, au pied de chaque géant, saisissent leurs haches tranchantes. Le signal est donné : les coups redoublés et terribles résonnent en cadence, faisant jaillir de toutes parts les larges copeaux qui parsèment le blanc manteau dont l’hiver a recouvert la terre.
Tout à coup, on voit frémir et s’agiter les têtes des arbres; les colosses s’ébranlent. Hôlà! Hôlà! Prenez garde! Prenez garde! s’écrient les bûcherons, en prenant la fuite. En même temps, et au milieu du roulement d’un tonnerre épouvantable, les pins s’abattent pêle-mêle sur le sol qui tremble sourdement sous leur poids énorme. À l’instant, les ébrancheurs s’élancent sur leur tronc pour les dépouiller; les scieurs se sont armés du Godendard pour les séparer en billots : les charretiers les roulent sur les traîneaux pour les transporter à la rivière, tandis que les abatteurs, fiers de leur succès, courent à de nouvelles conquêtes.
C’est ainsi que se passent les jours à l’horizon desquels, durant tout l’hiver, on ne voit jamais apparaître l’aurore d’un lendemain nouveau.
XX. Amusements au chantier
Cependant on ne s’ennuie pas au chantier. Après les rudes travaux de la journée, lorsque les mets succulents du souper ont réconforté les estomacs, les hommes du chantier s’amusent joyeusement autour du foyer, où flamboient en pétillant le hêtre à la flamme bleuâtre, le pin résineux, le sapin et le cèdre odorants.
Les histoires les plus comiques, les contes les plus étranges, les histoires de revenants, toujours piquantes d’intérêt, les légendes de chasse-galerie, de loups-garous, de feux-follets, de bêtes à la grandqueue, font passer les auditeurs de l’hilarité la plus désopilante au frisson de la plus vive frayeur; d’autres fois, aux accents mélodieux d’un violon, la cabane se transforme soudain en une bruyante salle de bal.
Les reels à huit, les gigues-simples, les menuets, les chansons canadiennes se succèdent, pendant une partie de la nuit, avec un entrain qui ne permet pas d’envier de plus éblouissants théâtres. Telle est, durant l’hiver, la vie des hommes de chantiers.
Il va sans dire que nous passons sous silence les orages du cœur et des passions qui n’épargnent pas ces rudes natures que le missionnaire a fini pourtant par apprivoiser. Néanmoins, le blasphème, les paroles licencieuses, l’immoralité exercent trop souvent leurs ravages chez un certain nombre de ces robustes artisans.
XXI. Descente des billots
Lorsqu’à la fonte des neiges, il faut s’embarquer dans les canots pour dégager et conduire à travers les roches, les battures, les rapides, les mille détours de la rivière, cette immense armée de billots, c’est encore un travail incalculable, ainsi que la source de mille dangers.
Au début de son commerce de bois, M. Joliette n’avait pas besoin de s’éloigner pour exploiter les belles forêts de pins qui abondaient jusqu’aux alentours de son domaine. Mais lorsqu’après une dizaine d’années, il fallut remonter jusqu’au lac des Français, puis, à celui de l’Assomption distant de 60 lieues de l’Industrie, les dépenses de l’exploitation durent augmenter considérablement.
L’opération la plus pénible, la plus dangereuse est celle appelée : le dravage des billots. Sur le chemin que doivent parcourir les draveurs, sont échelonnés de nombreux rapides qui, presque chaque année, engloutissent quelques victimes. Les plus célèbres chutes de la rivière de l’Assomption sont celles de Montapeine et celle des Sept.
La première s’engouffrant d’abord dans un canal retréci et profond, précipite ses eaux furieuses pour les laisser tomber ensuite du haut d’un rocher perpendiculaire de cinquante à soixante pieds d’élévation.
Son bruit est assourdissant comme celui du tonnerre; sur ses bords escarpés ne croissent que les mousses humides, les plantes grimpantes au milieu desquelles, rares et dispersées, apparaissent tristement les têtes des sapins rabougris. Ces lieux arides offrent à l’œil un aspect désolé et étrangement sauvage. La nature, ici, semble avoir horreur d’elle-même : l’alouette à la chanson matinale, le délicieux rossignol, la douce fauvette, la grive mélodieuse, tous les aimables chantres des bois se sont envolés loin de ces sombres bords.
Seuls, perçant les éternels mugissements de la cataracte, les cris lugubres des corneilles et des hiboux révèlent en ce lieu la présence d’êtres vivants. Ces oiseaux sinistres semblent tinter le glas funèbre des infortunés devenus la proie du torrent, et dont ils ont dévoré les cadavres revomis sur le rivage.
Là, au pied du torrent, creusé par les eaux, dans les flancs déchirés du rocher, sont des enfoncements profonds, où, chaque année, une quantité de billots s’engouffrent pour ne plus reparaître.
Dans la chute des Sept, située en amont de la première, sept rapides étroits obligent à draver les billots sur un long trajet. Joignez à cela les sinuosités capricieuses d’une rivière qui semble se jouer à travers les montagnes et les plaines, qui, par exemple, dans un circuit de neuf milles, revient à neuf pas de son point de départ, formant une presque’île appelée « la Pointe-à-neuf pas », et vous aurez une idée de l’énergie, de la persévérance qu’il faut déployer pour y conduire à terme heureux un chantier de billots. C’est ce que, pendant vingt ans, entreprit et exécuta avec les plus magnifiques succès, le père et le fondateur de l’Industrie.
De son temps, lorsqu’à la crue des eaux du printemps, le bois encombrait la chaussée, les moulins redoublaient de vitesse, roulant nuit et jour, ils transformaient en madriers, en planches, en lattes, etc., les vingt à trente mille billots enlevés chaque année aux forêts séculaires. C’était le travail de l’été.
Ces bois de service étaient de nouveau remis à flot, les draveurs reprenaient leurs leviers, leurs piques et leurs gaffes pour l’escorter jusqu’à l’embouchure de la rivière de l’Assomption. C’est de là, qu’embarqué sur des barges, il était dirigé vers Québec pour y être livré aux acheteurs.
Tant de labeurs de la part de M. Joliette devaient bientôt avoir leur couronnement. Dans la pensée de cet homme éminent, s’enfantaient déjà toutes ces merveilleuses créations qui ont rendu son nom si cher à ses compatriotes.
Tout en dirigeant avec intelligence les travaux de ses chantiers dont il suivait de l’œil les moindres détails, on le voyait s’occuper des dispositions topographiques de son établissement naissant. C’est ainsi que dans la prévision de l’avenir, il traçait dès 1826, au milieu des souches et des bruyères, l’alignement des rues de la cité future, qui ne comptait guère alors plus de dix à douze colons résidants.
XXII. Manoir seigneurial
Quelques temps après, en 1828, il jetait les fondations du splendide manoir que l’on admire encore aujourd’hui. Au moment où les heureux possesseurs de cette demeure vraiment princière allaient en faire la solennelle dédicace, un accident imprévu en retarda d’une année la cérémonie.
Le jour de Noël, pendant que la famille Joliette et tous les habitants du Village d’Industrie s’étaient transportés à Saint-Paul pour assister à l’office divin, l’incendie se déclara tout-à-coup au manoir.
Le feu, d’après toute probabilité, s’était communiqué du poële aux planches et aux madriers que l’on avait rangés au-dessus afin de les faire sécher plus promptement. Malgré l’activité et la diligence des courriers qui coururent porter l’alarme dans l’église de Saint-Paul, l’incendie dévora en quelques heures les plafonds, les toits et tout le bois accumulé dans les appartements du château; le mur d’arrière fut si endommagé qu’il croula pendant l’embrasement.
Loin de se décourager, M. Joliette se remit à l’œuvre, fit refaire à neuf ce que le feu avait détruit, et en 1830, il put célébrer, avec ses amis, la fête du premier de l’an dans le manoir seigneurial, devenu plus brillant qu’auparavant. Dès lors, il ne quitta plus ce séjour, que lorsqu’il dut dire à la vie le dernier et solennel adieu.
XXIII. Construction de nouveaux moulins en 1835 et 1836
Le fondateur de l’Industrie poursuivait les travaux et les améliorations qui devaient assurer à sa fondation un avenir prospère. Sur les bords de la rivière, on vit s’élever deux nouveaux moulins; le premier, destiné à la mouture des avoines et appelé pour cela « moulin à avoine ». Il n’existe plus aujourd’hui; un incendie l’a ruiné de fond en comble vers l’année 1863. À la droite du manoir seigneurial, un monceau de ruines indique seul l’endroit où il a été bâti.
Quant au second, il fut construit sur la rive opposée de la rivière; il était destiné à aider le premier moulin à scie, dans la manufacture des bois de service; il a conservé sa destination primitive et ne cesse ni jour ni nuit de remplir son industrieuse mission.
XXIV. Canal pour la descente du menu bois en 1837
Cependant, les Américains que l’on rencontre partout où il y a une industrie nouvelle à exploiter; les Américains avaient envahi à leur tour les bords de l’Assomption, et faisaient, par leur commerce de bois, une rude concurrence à M. Joliette.
Outre les billots de pin, ces compagnies étrangères faisaient descendre une quantité de menues pièces, telles que perches, piquets, bois de corde, etc. L’accumulation de ce bois obstruait les abords des booms qui ne pouvaient que difficilement lui livrer passage, vu l’énorme quantité de gros billots qui les encombraient à l’avance. Afin de remédier aux plaintes émises à ce sujet, M. Joliette chargea son agent, M. Chs. Panneton, de diriger les travaux d’un canal qui, prenant le plus court chemin, devait, après un parcours d’une dizaine d’arpents, venir déboucher en aval de la chaussée. Par ce moyen, les bois légers trouvant une facile issue, tomberaient immédiatement dans les rapides pour poursuivre leur course sans aucune interruption.
Ce canal de six pieds de largeur sur trois ou quatre de hauteur, et que l’on prit soin de boiser en madriers, fut parachevé dans le court espace de vingt-cinq jours.
Malheureusement, il ne produisit pas le résultat désiré, car, à cause de la nouvelle élévation de la chaussée, ses eaux ne coulant plus sur un plan assez incliné, le bois ne pouvait s’écouler qu’avec le secours d’un grand nombre de bras. Ce défaut le fit abandonner, et aujourd’hui, il n’en reste plus que quelques vestiges, au milieu des marécages situés en arrière du Collège et du Noviciat des Clercs de Saint-Viateur.
XXV. Perte de vingt mille billots
Ce ne fut pas le seul échec qu’éprouvèrent les affaires de M. Joliette, en cette année de 1837.
Au moment où tous les billots de ses chantiers d’hiver couvraient la rivière, aux alentours des moulins, une crue extraordinaire des eaux, refoulée par un vent violent, rompit les chaînes qui retenaient les booms. Alors une débâcle effroyable eut lieu. Vingt mille billots s’ébranlèrent, et se précipitèrent les uns sur les autres, culbutèrent de la chaussée dans les rapides.
Une digue s’était formée au pont des dalles; un instant, on avait conservé l’espoir de voir s’arrêter ce torrent débordé. Mais à peine un quart d’heure s’était-il écoulé, que le pont, cédant à l’énorme pression des eaux envahissantes, se disloqua avec un craquement épouvantable, laissant un libre passage aux billots qui, bondissant sur les rochers, reprirent leur course effrénée.
Dès lors, tout fut perdu, et, de cette immense quantité de bois, une partie s’égara sur les rives de l’Assomption, tandis que l’autre, suivant le cours des flots, fut entraîné dans le fleuve Saint-Laurent.
Un si grand malheur n’altéra en rien la sérénité d’âme de M. Joliette. Lorsqu’on vint lui annoncer cette triste nouvelle, il répondit au messager : Eh bien! c’est le bon Dieu qui l’a voulu! Tâchons de nous résigner à sa volonté!
XXVI. Construction d’un marché en 1837
Sous l’influence de son fondateur, le village d’Industrie prenait chaque jour de nouveaux développements. Les habitants des paroisses de Sainte-Élizabeth, de Saint-Thomas et de Saint-Paul, oubliaient un peu la route d’autrefois, pour s’y acheminer.
C’est alors que l’on songea sérieusement à la construction d’un marché assez vaste pour les besoins de la population et les développements du commerce.
D’après les conseils de M. Joliette, M. Chs Panneton et feu le docteur Barbier érigèrent, sur les bords du canal, une bâtisse devant en tenir lieu, et qui dura jusqu’en 1854.
À cette époque, les habitants de la localité comprirent la nécessité de remplacer ce marché primitif qui n’avait qu’une cinquantaine de pieds de longueur, par un autre plus spacieux, mais qui, n’en déplaise à son architecte, ne semble guère plus élégant que le premier. L’érection de cette nouvelle construction fut le sujet d’une opposition assez vive entre quelques citoyens du village, qui voulaient le marché sur le terrain occupé aujourd’hui par M. Clements. Le premier choix fut maintenu et les contestants durent céder. Disons qu’ils le firent d’assez bonne grâce, et que l’harmonie, un instant troublée par ces quelques contestations, reprit heureusement son empire sur le village d’Industrie.
XXVII. Troubles de 1837 et de 1838
Cependant un cri de liberté avait retenti d’un bout à l’autre du Bas-Canada.
Excitée par la parole ardente et enthousiaste de MM. Papineau, LaFontaine, Nelson et autres, la population de la rive droite du Saint-Laurent s’était soulevée en masse pour venger ses droits méconnus.
Une foule de révolutionnaires sillonnaient en même temps le pays, dans le but d’enrôler des volontaires pour la cause sacrée de l’affranchissement de ce qu’on appelait la tyrannie anglaise. Dans un grand nombre de localités, la voix des Évêques, les conseils des hommes sages retinrent les habitants dans les limites du devoir.
À l’Industrie et à Saint-Paul les tentatives des Fils de la liberté échouèrent complètement, grâce à l’intelligence et au dévouement de M. Joliette. Faisant taire la voix d’une ancienne amitié pour n’écouter que celle de sa conscience, il répondit aux avances du chef de l’opposition bas-canadienne par une énergique protestation de fidélité à la couronne d’Angleterre. « Plutôt, disait-il, briser mille fois liens de notre amitié que de me déshonorer au point de forfaire à mon serment d’allégeance.
Pendant que, sur plusieurs points, les agitateurs semaient ces étincelles qui devaient allumer les funestes incendies de Saint-Charles, de Saint-Denis et de Saint-Eustache, M. Joliette parcourait son district, calmant partout les passions surrexcitées. Aux cris de : « Liberté » et de « À bas les Anglais », il opposait le cri du devoir, la doctrine de la soumission au pouvoir établi, les conséquences désastreuses de l’insurrection, couronnant toutes ces exhortations en exigeant des citoyens la prestation du serment de fidélité au gouvernement anglais.
Aussi, après les effusions de sang qui couvrirent de deuil plusieurs villages du Bas-Canada, M. Joliette reçut-il les plus chaleureux remerciements de la part de ses concitoyens qu’il avait préservés de la contagion de la révolte.
La divergence d’opinions politiques qui, pendant les troubles, avait opéré une scission entre lui et ses anciens collègues du Parlement, n’avait laissé dans son esprit aucun sentiment d’aigreur.
Dix ans plus après les malheureux événements dont nous venons de parler, un de nos plus illustres patriotes de l’époque descendait à son manoir pour s’acquitter de ce qu’il appelait une réparation envers les devoirs de l’amitié.
M. Joliette versait des larmes de bonheur en recevant dans ses bras ce vieil ami qui, après un long exil, rentrait dans la patrie qu’il avait conduite à l’abîme en voulant la sauver.
« Mon cher ami, lui dit le nouveau venu, avant de franchir le seuil de votre demeure, de me livrer à la joie de notre intimité d’autrefois, j’ai à vous demander pardon de notre refroidissement apparent et dont mon silence a été la cause. Hélas! que d’événements depuis dix années! Je le sais, on m’a accusé de tous les malheurs qui ont fondu sur nos infortunés concitoyens; on m’a reproché d’avoir ensanglanté la patrie et d’y avoir semé la tempête. Je ne puis répondre à ces graves et terribles accusations, qu’en protestant de mon amour pour mon pays; je ne voulus jamais sa ruine ni son malheur, puisque j’ai travaillé toute ma vie pour sa gloire et sa liberté. Mon patriotisme a toujours été sincère et si nous n’avons pas réussi dans notre entreprise, il n’en faut accuser que le sort qui nous a été contraire! »
Assez, assez, reprit M. Joliette, tirons un voile sur ces malheurs que vous n’avez pas prévus. Rappelons des souvenirs plus heureux.
Et l’entretien se poursuivit, sans qu’une allusion tant soit peu pénible n’attristât le front déjà si pensif de notre grand orateur canadien.
Plus d’une fois, dans la suite, M. Papineau se donna la jouissance d’une visite aux aimables seigneurs du manoir de Joliette.
XXVIII. M. Joliette, juge et père de la population de son village
Durant le laps de temps qui suivit sa résignation de mandataire du peuple, M. Joliette fut sollicité plus d’une fois d’entrer de nouveau dans la politique. Il refusa constamment de se rendre à ces instances. Un but unique, constant, lui faisait concentrer toutes ses ressources matérielles et intellectuelles vers le charmant village qui, comme une fleur bien-aimée, croissait sous sa tutelle protectrice et s’épanouissait sous le regard de son amour.
Nous avons déjà dit que M. Joliette avait cessé l’exercice de sa profession de notaire. Cet office était rempli par un citoyen dont la ville de Joliette a appris à respecter l’intégrité, le dévouement et cette aimable modestie qui est le caractère distinctif du vrai mérite. Cet honorable monsieur, que personne ne saurait méconnaître sous ce portrait, est M. J. O. Leblanc, Ecr., ex-régistrateur du comté de Joliette.
Quant au fondateur de l’Industrie, il n’en rendait pas moins à l’égard des habitants de la localité les services qu’on pouvait attendre d’un notaire savant et dévoué.
Pendant de longues heures, il se prêtait de la meilleure grâce du monde à écouter les demandes qu’on lui adressait sur les questions litigieuses. Il se montrait, tout à la fois, le père dévoué et le juge impartial de cette population qui se groupait autour de son manoir. Il arrêtait les procès; admonestait les citoyens coupables de quelqu’injustice; les engageait à la réparation des torts qu’ils avaient causés : faisant le tout, avec tant de bonté, d’esprit de justice, de prudents ménagements, que chacun, renonçant à sa prétention ou à son ressentiment, se trouvait heureux de se rendre à ses raisons et à ses avis paternels.
Sa patience était admirable; car, malgré les manières rudes, les répliques parfois grossières et injurieuses des parties dont il avait à régler les différends, jamais, ni le ton de ses réponses, ni l’altération de son visage, ne laissaient apercevoir l’indignation ou l’impatience qui aurait éclaté chez un caractère moins trempé, moins accoutumé à réprimer ses saillies.
Et lorsqu’au sortir de ces longs entretiens, après l’heureux dénouement d’une affaire embarrassée, on venait lui demander ce qu’il exigeait pour sa peine : « Ce n’est rien, mes amis, leur disait-il; soyez toujours unis; je serai assez récompensé de mes conseils, si j’apprends que vous vivez en paix et que vous êtes toujours de bons citoyens et surtout de bons chrétiens. »
Sa charité
Ce n’était pas seulement par sa douceur qu’il s’attirait l’affection de la population, car sa charité n’était pas moins admirable que sa bienveillance.
C’est un fait publiquement avéré par tous ses contemporains, que jamais un malheureux n’a frappé en vain, à la porte de son manoir.
Il allait jusqu’à prévenir les demandes des nécessiteux en leur envoyant avec libéralité de quoi soulager leur misère.
Rencontrait-il un homme sans occupations, il l’arrêtait sur le champ, l’amenait avec lui, et lui mettant en main un instrument de travail, il lui disait : « Eh bien! mon ami, voici un moyen de gagner honorablement ta vie et celle de ta famille. Fais cette besogne, tu viendras ensuite recevoir la récompense de ton labeur. Il en sera ainsi tant que tu n’auras rien à faire chez toi. »
Comme tous les grands cœurs, M. Joliette aimait à garder le secret de ses bonnes œuvres. Mais c’était en vain que sous le voile de sa modestie, il s’efforçait de les dérober à tous les regards, leur parfum les révélait et les faisait bientôt découvrir.
Souvent, vers le soir, on le voyait se diriger vers une ou deux des plus pauvres habitations de son établissement. À son aspect, la joie renaissait dans l’âme de la mère affligée; les petits enfants, le front rayonnant de bonheur, s’approchaient avec confiance de celui qu’ils chérissaient comme un père. Après quelques-unes de ces douces paroles, qui tombaient sur les plaies du cœur, comme un baume bienfaisant, après avoir glissé quelques pièces d’argent dans la main tremblante de la mère reconnaissante, l’heureux seigneur repartait, au milieu des bénédictions de cette famille consolée, emportant dans son âme plus de bonheur que s’il eût gagné une fortune.
XXIX. Madame Joliette
Nous devons ajouter à l’honneur et à la juste louange de sa noble épouse qu’elle ne lui en cédait guère, sous ce rapport. Digne héritière de la noblesse d’origine et de sentiment, de la charité proverbiale de la famille de Lanaudière, jamais on ne vit son cœur et sa bourse fermés devant l’infortune ou la misère.
Type de la femme forte et accomplie, on la voyait dès l’aurore, occupée aux soins de sa maison qu’elle dirigeait à la tête de ses servantes. Un pauvre frappait-il à la porte du manoir? Elle-même allait s’informer et du motif de sa visite et des détails de son indigence. Elle s’affligeait avec lui, au récit de son malheur ou de ses privations. Là ne s’arrêtait pas sa sympathie et sa charité; car, après l’avoir fait manger en le servant elle-même, elle ne manquait pas de le gratifier encore d’une abondante aumône.
Un jour c’était en l’absence de son époux. La seigneuresse, assiégée par un certain nombre de mendiants, n’avait su résister à l’entraînement de son bon cœur : d’une aumône à l’autre elle avait donné jusqu’à quatorze minots de blé! À la fin de la journée, réfléchissant qu’elle avait peut-être plus consulté sa générosité que sa discrétion, elle craignait de recevoir des reproches à cause d’une pareille prodigalité. Son inquiétude était assez vive. Pour prévenir la réprimande, elle avait chargé un ami d’avertir son époux de ce qui était arrivé.
En apprenant cette conduite, celui-ci vint la trouver, et la félicitant sur sa bonne action: « fais à l’avenir, lui dit-il, selon que te le conseillera ton cœur généreux, tout ceci t’appartient, ajouta-t-il, en lui désignant du geste le manoir et les environs. » Digne et noble réponse, qui entoure de la même gloire, et la charité de l’épouse, et la grandeur d’âme de l’époux.
Dans une autre circonstance, madame Joliette, dont l’œil vigilant surveillait tout, s’était transportée auprès du vaste four, d’où l’on retirait en ce moment le pain qui devait nourrir sa nombreuse famille de serviteurs. Sur ses pas, comme d’habitude, les pauvres étaient accourus demandant l’aumône. Émue jusqu’aux larmes à la vue des haillons qui les couvraient, de la misère peinte sur leur figure, la noble dame leur distribua toute la fournée de pain. Les mendiants s’en retournèrent en bénissant son nom et celui de son époux, tandis qu’en souriant, elle donnait des ordres pour une nouvelle fournée.
XXX. Établissements religieux.
Au milieu de la prospérité matérielle de son village, M. Joliette n’oublia pas les établissements religieux dont la fondation devait couronner sa belle carrière. Il était profondément pénétré de cette conviction qu’une société, qu’une association quelconque ne saurait prospérer sans la religion. Il reconnaissait que cette dernière est la base, le fondement indispensable de tout progrès véritable, comme de toute vertu et de toute grandeur.
Aussi l’aimait-il de tout son cœur, cette religion pour l’honneur de laquelle il sacrifia une partie de sa fortune. Il la vénérait dans la personne de ses ministres dont les plus marquants figuraient au nombre de ses amis les plus chers.
Le Vénérable Évêque de Montréal avait en grande estime ce généreux citoyen. Cette haute considération, qui ne souffrit jamais d’atteinte, ne manqua pas d’être payée d’un juste retour de la part de l’Hon. Joliette.
Ce fut en témoignage de son dévouement pour l’Église, ainsi que pour remplir le vœu de la population dont il était le père, que dans l’automne de 1841, il suppliait Monseigneur Ignace Bourget de lui permettre d’ériger à l’Industrie un temple dont il ferait tous les frais de construction.
En attendant que le nouvel édifice put être livré au culte divin, il sollicitait pour son village la faveur d’avoir l’Office divin tous les dimanches et les fêtes. Le prélat, qui connaissait ses bonnes dispositions, lui accorda de grand cœur ce qu’il avait déjà sollicité en vain, auprès de feu Mgr Lartigue.
« Nous permettons, disait l’Évêque dans un décret, nous permettons qu’une chapelle soit bâtie par contribution volontaire sur la terre que l’Honorable Joliette et sa femme promettent de donner pour sa fondation. »
Le curé de Saint-Paul, qui s’était offert pour desservir la nouvelle mission, reçut en même temps que M. Joliette, la réponse favorable de l’Évêque.
Voici un extrait de la lettre que Sa Grandeur, Monseigneur Bourget, lui adressa à cette occasion.
Montréal, 7 décembre 1841
Monsieur,
Pour récompenser les généreux sacrifices qu’ont fait et que veulent encore faire vos seigneur et seigneuresse, et encourager le zèle et les bons sentiments du village d’Industrie, je me rends à vos demandes instantes et réitérées, en vous permettant de biner tous les dimanches et fêtes, à la chapelle située au dit village d’Industrie; cette permission est pour un an, à commencer du 8 décembre courant. Ne manquer pas de remercier la Vierge Immaculée, car c’est à Elle que vous êtes redevable de cette faveur. J’espère qu’elle bénira ce pauvre village et qu’elle en fera un village de saints, ce qui est très-digne de sa grande miséricorde, et ce que je lui demande de tout mon cœur.
+ Ig. Évêque de Montréal
Rév. F. M. Turcotte, curé de Saint-Paul
Construction d’une église
Quelques jours après, dans le haut du moulin le plus voisin du château (le moulin brûlé en 1863), une chapelle fut préparée pour recevoir, chaque dimanche, les habitants de la localité. À chaque solennité, c’était toujours un nouveau et édifiant spectacle, que la vue de cette fervente population appelant les bénédictions célestes sur elle et sur ses bienfaiteurs. Mais la modeste chapelle devait faire place à un temple plus digne de la future paroisse de Saint-Charles-Borromée. C’était là le plus vif désir du fondateur du village d’Industrie.
Avec son activité ordinaire, il s’était déjà mis à l’œuvre. Des riches carrières, qui bordent la rivière de l’Assomption, sortit bientôt la pierre nécessaire pour l’érection de la nouvelle église. Au printemps suivant, tous les matériaux étaient rendus sur place. On se mit au travail avec une incroyable ardeur.
L’activité fut si grande qu’au treize juin, cédant à la sollicitation de M. Joliette, Mgr Bourget put venir faire la bénédiction de la première pierre de l’église de Saint-Charles. Le jour de la cérémonie s’annonça d’abord sous les couleurs les plus tristes. Il pleuvait à torrents. M. Joliette, qui se promettait tant de joie pour la circonstance, désespérait de l’arrivée de l’Évêque, lorsqu’à travers les brouillards et l’orage, il aperçut sa voiture s’arrêtant à l’entrée du manoir. Un cri de joie et de reconnaissance s’échappa de sa poitrine. Merci Monseigneur, du bonheur que vous me procurez en venant aujourd’hui bénir notre église! « Mon cher monsieur Joliette, reprit l’Évêque avec un doux sourire, convenez qu’il faut bien vous aimer pour vous faire visite en un jour comme celui-ci; mais, poursuivit-il, nous devons nous réjouir, car cette pluie abondante, c’est la rosée du ciel qui fécondera la bonne semence que vous venez de jeter sur le sol de l’Industrie. »
Malgré le mauvais temps, un grand concours du peuple assistait à la cérémonie. Monseigneur ne put s’empêcher d’adresser la parole à cette population qui était accourue pour le voir et entendre sa voix toujours aimée. Lorsqu’après avoir expliqué, avec son onction ordinaire, les cérémonies imposantes de la bénédiction, il en vint à parler de l’immortalité des œuvre entreprises pour la gloire et l’honneur de l’Église, de la grandeur du citoyen qui se sacrifie pour sa religion et sa patrie, un murmure approbateur parcourut l’assistance transportée : tous les cœurs palpitaient sous le coup d’une violente émotion, et l’on vit tous les regards pleins d’admiration, d’amour et de reconnaissance se diriger vers M. Joliette, l’objet de ces justes éloges.
Pendant ce temps-là, confondu dans la foule, baissant humblement la tête, le noble seigneur ajoutait, par sa modestie, un nouvel éclat à la gloire si pure de ses vertus de foi, de dévouement et de patriotisme.
Ce zèle ardent, cette générosité inépuisable qu’il montrait pour la construction de son église devinrent contagieux pour la population de son village qui ne voulut pas rester en ar[rière] dans une si belle œuvre. Les habitants étaient pauvres; ils donnèrent de leur pauvreté; on les vit offrir le secours de leur bras, de leurs chevaux, de leurs voitures pour aider à la construction de leur temple.
Leurs efforts, couronnés splendidement par la générosité de la famille seigneuriale de Lanaudière, eurent un résultat si efficace que le treize octobre 1843, l’Évêque de Montréal descendait de nouveau à l’Industrie pour procéder solennellement à la bénédiction de l’édifice religieux. Pour le plaisir de nos lecteurs, nous leur mettrons sous les yeux le compte rendu de la circonstance, publié dans le temps dans les Mélanges religieux.
Il y a dans ces lignes d’intéressants détails qu’il importe de conserver.
« Mercredi, douze courant, Monseigneur de Montréal avait consacré l’autel de l’Église de Saint-Paul avec toute la solennité d’usage; le soir du même jour, le seigneur Joliette envoya son carosse, traîné par deux chevaux, pour transporter l’Évêque au village d’Industrie. Il y arriva vers le couchant du soleil par un très beau temps. Tout le village avait un air de fête et ses habitants se trouvaient sur la rive principale, où passa l’Évêque suivi d’un nombreux cortège. Ce fut le lendemain qu’eut lieu la bénédiction de l’église.
L’église de Saint-Charles est bâtie d’après un très beau plan et des proportions telles qu’elles rendent cet édifice un des plus élégants du pays. Elle a cent dix pieds de long, trente-deux de haut, et cinquante de large. Elle a deux rangs de fenêtres; le deuxième rang, de moindre dimension, sert à éclairer les galeries latérales qui se prolongent jusqu’aux angles des chapelles. Un beau jubé est construit au bas de l’église. Le portail de l’édifice est en pierres de taille exploitées et taillées sur le lieu même.
À la suite de l’église, et aux murs mitoyens, sont la sacristie et un presbytère à deux étages, de quarante pieds sur trente, ce qui forme cent cinquante pieds de maçonnerie. Les ouvrages doivent se continuer immédiatement, et au mois de mars, l’église sera complète; voûte en plâtre, murs imités en marbre, galeries décorées, bancs du meilleur goût, sanctuaire orné, etc. On couvre maintenant le clocher en fer-blanc; il y a place pour trois cloches qui ne se feront pas attendre longtemps; j’ai compris qu’elles arriveraient dans le cours de l’année.
Le presbytère doit aussi être fini au mois de mars. Une ferme sur laquelle l’église est bâtie est donnée par le seigneur Joliette pour aider à la subsistance du curé auquel cent louis sont assurés annuellement, outre le casuel, le revenu de la ferme et quelques dîmes.
Quelques minutes après huit heures, commença la cérémonie qui se fit avec toute la solennité possible, au milieu d’un concours tel, qu’au moins un tiers des assistants ne pût trouver place dans l’église. Il était plus de onze heures, lorsque la consécration de l’autel fut terminée. M. Quiblier avait été invité pour faire le discours dans cette circonstance. Quoiqu’il eût accepté l’invitation, une indisposition l’empêcha de s’y rendre. Il fallut qu’un des prêtres présents, M. le Grand Vicaire Manseau, montât en chaire et improvisât un discours de circonstance.
Le seigneur Joliette, le seul auteur du bel établissement au village d’Industrie, méritait la reconnaissance publique : les habitants du village n’ont fourni que quelques matériaux bruts : bois rond, pierre, chaux, sable, point ou presque point d’argent. L’orateur les louant sur le zèle, la piété, la générosité démontrés par leur superbe édifice dont la première pierre avait été bénite quatre mois auparavant, s’est arrêté et a repris : ‘La vérité et la justice demandent de moi, dans ce moment, quelque chose de plus. Je dois le dire, cet édifice magnifique est le fruit des efforts généreux d’un honorable citoyen bien connu de tout cet auditoire, d’un citoyen dont la grande âme a conçu et réalisé un projet sans précédent et unique quant aux moyens qu’il a employés – unique par l’esprit de bienveillance et de vraie philanthropie qui a présidé à cette œuvre admirable, oui, œuvre admirable que je ne peux louer que faiblement, mais qui sera louée et mieux appréciée par la génération présente, et par toutes celles qui la suivront; elle doit être appréciée surtout par tous les citoyens de cette localité qui doivent en tirer le principal avantage.
C’est à eux surtout qu’est imposé le devoir d’une reconnaissance continuelle, et, ils le rempliront ce devoir par les égards, la franchise et la probité qu’ils apporteront dans leurs rapports avec leur commun bienfaiteur, etc.
Le village d’Industrie contient quatre cents communiants. L’exploitation des bois, les moulins à carder, à fouler, etc., etc., tout cela produit par le génie de M. Joliette doit faire surgir dans cette place une ville à l’avenir. Ce monsieur est comme le père nourricier de toute la population.
Jeudi, treize courant, le tout s’est terminé par un banquet, où une cinquantaine d’amis prirent place.
Village d’Industrie, 18 octobre 1842.»
Les commentaires sont ici inutiles; qu’ils suffise de faire remarquer avec le regretté Grand Vicaire Manseau, que la gloire dont l’Hon. Joliette a entouré sa vie par la fondation d’une ville et la construction d’une église, vivra à jamais dans le souvenir des citoyens objets de sa munificence.
Nonobstant les immenses sacrifices déjà accomplis, le bienfaiteur de l’Église voulut parachever son œuvre. La voûte, les galeries, les peintures des murs, les autels, les décorations du chœur, les bancs, la chaire, etc., tout fut terminé au printemps suivant :
À ces dépenses considérables, le généreux donateur avait ajouté celle d’une maison pour le public, d’une cuisine au presbytère, des granges, remise, hangar pour l’usage du curé, de l’entourage du cimetière, des cours, des jardins, etc., etc. Joignons à cela l’achat des vases sacrés, des ornements sacerdotaux, des parures de l’autel, et nous aurons une idée des sacrifices qu’il dût s’imposer. Il semblait que sa bourse ne devait pas plus s’épuiser que la générosité de son cœur.
Jusqu’à cette époque, l’église du village d’Industrie n’était qu’une succursale desservie par le curé [de] Saint-Paul. Cet état de choses ne pouvait durer. Au premier janvier de l’année 1843, M. Neyron fut nommé curé résidant de la paroisse de Saint-Charles-Borromée. Le nouveau curé ne remplit ses fonctions que pendant dix mois, après l’écoulement desquels il fut remplacé par le Révd. Antoine Manseau, l’un des Grands Vicaires de Mgr l’Évêque de Montréal. Deux mois après l’installation du deuxième curé de l’Industrie, le 23 décembre 1843, Monseigneur Bourget lançait le décret de l’érection canonique de la paroisse de Saint-Charles.
La nouvelle circonscription ecclésiastique comprenait une étendue de territoire de forme irrégulière, d’environ huit milles de longueur sur deux milles de largeur. L’érection civile, demandé par l’Honorable B. Joliette, n’eut lieu qu’en juin 1845.
XXXI. Don de trois cloches à l’église, par la famille De Lanaudière. – Cérémonie de la bénédiction, le 6 septembre 1843.
Quelque chose manquait encore au temple splendide – témoin vivant de la foi de son fondateur. Ce brillant et gracieux clocher, qui dominait majestueusement les habitations du village, ne disait pas au cœur ce qu’on pouvait en espérer; il était resté sans voix. Cette voix, dont les accents mystérieux se mêleront bientôt à ceux de la cité et de la famille, « pour en consacrer les joies, en pleurer les douleurs, en rappeler les devoirs », ce sera celle de la cloche catholique, objet d’amour et d’espérance pour toutes les âmes chrétiennes.
Quel langage, en effet, plus éloquent et plus doux, plus fort et plus tendre, plus mélancolique et plus suave que celui des cloches de nos églises. « On dirait la voix de l’ange tutélaire que la foi nous montre à côté de chaque homme, guidant ses pas, inspirant son cœur, souriant à ses innoncents plaisirs, sympathisant avec ses souffrances, gémissant sur ses erreurs.
C’est elle qui, à notre entrée dans la vie, nous salue d’une voie maternelle et annonce, par ses joyeux carillons, un nouveau-né à la famille, un citoyen à la patrie, un élu pour le ciel. Du haut de sa flèche aérienne, elle est comme une sentinelle dont le regard protège les champs et les cités. Si les orages et les tempêtes dévastent les campagnes, si des toits de nos maisons jaillit la flamme de l’incendie, c’est elle qui réunira la population et sauvera les vies et les propriétés en péril.
C’est par la cloche que la terre chrétienne fait monter vers le ciel, ou ses gémissements ou sa reconnaissance.
Ainsi, elle symbolisera la communauté de biens spirituels; sa voix imposante proclamera dans les airs, la majestueuse union de foi, d’espérance et de charité que l’Église seule a reçu mission de réaliser parmi les hommes. »
Le bienfaiteur de l’église de Saint-Charles avait deux raisons de soupirer ardemment après le beau jour où le temple qu’il venait d’élever à Dieu chanterait à sa manière la gloire de l’Éternel, transportant jusqu’au ciel, sur les notes de l’airain sonore, l’hymne pieux de sa foi et de sa reconnaissance.
Voix imposantes et harmonieuses des cloches, lorsque vous éclaterez pour la première fois, vous redirez encore d’autres louanges; car vous publierez en même temps, et la gloire du fondateur de l’Industrie, et la générosité de la famille qui vous aura installées dns votre demeure aérienne!…
C’était la noble famille de Lanaudière qui s’était réservé l’honneur de fournir, au prix de six mille cinq cents francs, le joyeux carillon, qui fut importé d’Angleterre. Ajoutons que ce ne fut pas le seul sacrifice qu’elle s’imposa pour seconder la bienfaisance de l’Honorable Joliette et de sa dame.
Combien l’âme de ces personnes généreuses dût tressaillir de bonheur en la fête joyeuse de la bénédiction de ces trois belles cloches auxquelles la reconnaissance donna le nom de leurs donateurs et donatrices!
Chaque vibration de l’airain consacré, retentissant sous les voûtes pavoisées du temple, devait faire palpiter leur cœur sous l’effet de mille souvenirs attendrissants.
Aussi, le Père Boué, prédicateur de la circonstance, ne manqua pas de faire là-dessus de touchantes et spirituelles allusions auxquelles tout l’auditoire, plein d’émotion, applaudissait de cœur, d’âme et de regard.
XXXII. Témoignage d’honneur et d’estime rendu à l’Honorable B. Joliette par la Cour de Rome
Les éclatants témoignages que l’Honorable Joliette venait de donner de sa foi et de son attachement à l’Église lui avait attiré les félicitations de ses compatriotes catholiques dont il se montrait le si glorieux modèle. Les journaux du temps ne tarissaient pas l’éloges à son adresse.
Au milieu de ce concert des catholiques et de toute la presse canadienne, la voix de Rome se fit entendre pour proclamer les services éminents rendus à la cause religieuse par le fondateur du village d’Industrie. Cette pièce fait trop d’honneur à un enfant du Canada pour être passée sous silence. Nous nous faisons un devoir de la reproduire, persuadé que la lecture de ce document sera un véritable plaisir pour tous les citoyens de Joliette.
« Très Illustre Monsieur,
C’est avec la plus grande satisfaction que la Sacrée Congrégation de la Propagande de la Foi a appris que, parmi les sacrifices que fait votre Seigneurie pour le soutien de la religion, sacrifices que vous continuez encore avec la même ardeur, vous avez bâti à grands frais une magnifique église, pour y célébrer dignement le culte divin et procurer le salut des âmes.
Quoique nous sachions bien qu’en tout cela, vous avez recherché non les louanges des hommes mais la plus grande gloire de Dieu, et que votre zèle bien connu n’a pas besoin d’être excité, cependant, nous ne pouvons nous empêcher, au nom de la Sacrée Congrégation, de louer dans le Seigneur votre amour ardent et votre piété, de vous témoigner notre affectueuse estime et de vous exhorter, en même temps, à continuer de protéger et soutenir de toutes vos forces la sainte religion catholique.
À cela, nous ajoutons un petit cadeau en argent, savoir : une médaille de l’œuvre précieuse de la propagation de la foi, que vous recevrez volontiers, comme gage de notre attachement et de notre considération.
Nous prions Dieu qu’il conserve longtemps votre seigneurie et la préserve de tout danger.
De Votre Seigneurie,
Le très-affectionné,
- J. Th. Franzoni, Préfet
Rome, 25 juillet 1844
Des paroles aussi flatteuses et tombées de si haut, redisent trop éloquemment le zèle, le dévouement, la générosité, la modestie de l’Honorable B. Joliette, pour qu’il soit besoin d’y joindre le tribut de nos faibles éloges. Et pourtant ces belles actions qui lui valaient ces pompeuses louanges, n’étaient encore que le prélude des œuvres vraiment admirables, qui jetteront sur le soir de sa vie de si brillants reflets de gloire.
XXXIII. Idées de l’Honorable Joliette sur l’éducation
Avec son jugement si sûr, la haute intelligence dont il avait donné des preuves si convainquantes, le seigneur Joliette comprenait qu’il manquait quelque chose d’essentiel à la prospérité de son établissement et au bonheur de la population qui s’y acheminait chaque année.
Il comprenait que son œuvre resterait inachevée, s’il ne réussisait à doter sa ville naissante d’une maison d’éducation dont le programme des études fut en rapport avec les besoins du temps.
« Rendre la jeunesse heureuse en développant ses perfections morales et intellectuelle pour la rendre utile à ses semblables et à elle-même, pour la former aux luttes et aux devoirs de la vie publique et privée », telle était l’idée que cet illustre citoyen avait conçue de la mission de cette éducation qu’il se proposait de faire donner à ses compatriotes. Avant tout, catholique sincère, il voulait que cette éducation fût essentiellement religieuse. Il était persuadé que sans cette condition, elle ne saurait être bonne et utile à la société.
À son langage et à ses actes, on voit que, contrairement à l’opinion d’un certain nombre de nos prétendus esprits forts, il était convaincu que l’éducation qu’il fallait à notre jeunesse canadienne n’était pas celle donnée si imprudemment à la génération française du dix-huitième siècle, et qui, aux jours radieux de la foi, aux sublimes dévouements, fit succéder les tempêtes sociales, et amena le débordement de toutes les mauvaises passions au sein de la société que l’on corrompait dans sa source.
Non, élevé dans les principes du plus pur christianisme, habitué dès son enfance à la pratique de ses devoirs religieux, l’Honorable Joliette sentait le besoin de répandre autour de lui les bienfaits de cette religion d’amour qui, en grandissant les sentiments du cœur de l’homme, lui procure en même temps de si douces consolations aux heures mêmes de ses sacrifices.
Il croyait à bon droit que le premier devoir de la société était de donner à l’enfant avant toute autre connaissance la connaissance de Dieu et du bien, et qu’elle la lui devait, pour lui-même d’abord, et pour elle ensuite.
1. « Pour lui-même, afin qu’il ne s’engageât pas sans boussole sur cette vaste obscurité de la vie, afin qu’il ne demeurât pas sans consolation, sans secours, durant ces naufrages auxquels sont communément réservées les plus chères espérances du cœur, et que, frappé dans ses biens, dans son esprit, dans son âme, dans son corps, un indescriptible appui restât à son âme immortelle, et la sauvât du désespoir. Cet appui, il le savait, il le proclamait, c’est Dieu.
Où l’homme le prendra-t-il, s’il ne le connaît pas? Où trouvera-t-il son unique refuge s’il n’a, dès la jeunesse, dès l’enfance, contracté l’habitude salutaire d’y porter, avec la soumission d’un égal amour, l’offrande de sa joie et de ses pleurs.
Il souffrira en vain, tout sera funeste dans sa vie; ce peu de bonheur amer qu’il arrachera à la morne âpreté de son destin, ces fruits rares et chétifs qui pendent aux buissons de la mauvaise vie – mauvais comme elle – tromperont la soif de son cœur, et chargeront son âme d’un aliment empoisonné.
2. Pour elle-même. Cette connaissance, la société la doit encore pour elle-même; car un jour, face à face avec les graves et austères devoirs de la vie, le jeune homme sera appelé à secourir ses frères, à diriger une famille.
Il devra donner le bon exemple à ses inférieurs, la soumission aux lois, le respect aux supériorités; il faudra que l’humanité règle ses entreprises, que la chasteté gouverne ses sens, qu’une rigide probité le guide dans les affaires, que la religion reçoive publiquement ses hommages. Il faudra tout cela, s’il ne veut produire autour de lui une effrayante démoralisation. »
Voilà l’homme tel que la société a droit de le demander à l’éducation du Collège et de l’Académie. C’est ainsi que voulut le donner, et que le fit instruire, l’Honorable B. Joliette.
XXXIV. Fondation du Collège Joliette en 1845
Depuis longtemps, le projet de bâtir une grande maison d’éducation germait dans son esprit. Il n’attendait que l’occasion favorable pour réaliser ce vœu de son cœur.
Bientôt, à côté de l’Église, sur un vaste terrain qui devait servir de dot à la nouvelle fondation, on vit s’élever les murs d’un édifice de quatre-vingts pieds de longueur sur quarante de largeur; c’était le futur Collège Joliette. Commencé en 1845, cette bâtisse en pierre de rang, à deux étages, se terminait l’année suivante.
Quelques semaines plus tard, dans le joli clocher qui en couronnait le toit, la cloche du grand moulin changeant de domicile et de mission, appelait dans l’enceinte du Collège naissant l’intéressante jeunesse du Village d’Industrie.
Le bienfaiteur de l’institution, qui voulait imprimer à son œuvre le cachet de la stabilité, s’était proposé de confier le soin de cette maison d’éducation à une communauté religieuse. Dans ce but, il entreprit plusieurs démarches auprès de Mgr Bourget qui, avec son zèle ordinaire, seconda puissamment son dessein.
En attendant que le projet en question pût être effectué, l’Évêque chargea le Rév. M. Rester, MM. Barret et Dequoy, ecclésiastiques, d’aller, en compagnie de quelques professeurs laïques, ouvrir les classes du Collège (1).
Mais auparavant, il était juste que l’inauguration d’un établissement fondé sous l’inspiration d’une pensée de foi, empruntât à la religion quelques-unes de ses splendeurs.
En fait d’entreprises religieuses, l’Honorable B. Joliette ne faisait rien sans les conseils et la direction de son Évêque. La construction de l’Église, l’érection de son Collège et la direction qui y fut donné ne passèrent de l’état de projet à celui de faits accomplis, qu’après beaucoup de consultations dans lesquelles il se fit toujours remarquer par sa docilité, son humble soumission aux intentions et aux désirs de Mgr de Montréal qu’il aimait et vénérait comme un bon fils aime et vénère son père. L’affection et l’estime dont l’entouraient son Évêque, le payaient largement de retour.
Le 22 septembre 1846 fut un jour mémorable pour la paroisse de Saint-Charles. Feu Mgr Prince, alors coadjuteur de Mgr Bourget, s’était transporté au Village d’Industrie pour y faire la bénédiction du Collège qui venait d’être achevé.
Il était accompagné de feu M. le Grand-Vicaire Truteau, d’heureuse mémoire. Il y eût ce jour-là à l’Église de Saint-Charles, messe pontificale solennelle. En cette circonstance, comme au jour de sa bénédiction, ce temple tapissé de tentures, de verdure et de fleurs, tout retentissant de chants pieux, semblait n’avoir qu’une voix pour chanter en l’honneur de son fondateur l’hymne de la reconnaissance.
Après l’Évangile, l’Évêque monta en chaire et dans un discours plein de force et d’onction, il développa devant la foule, que l’Église pouvait à peine contenir, les inappréciables avantages de l’éducation et surtout de l’éducation religieuse et catholique.
L’encouragement constant donné au Collège de M. Joliette prouve suffisamment que ces paroles avaient été comprises de la population. L’office terminé, au son des cloches et au bruit du canon, Mgr se rendit au Collège pour en faire la bénédiction solennelle.
Les prières de l’Église étaient achevées, et la foule nombreuse qui encombrait la cour du Collège attendait encore quelque chose. Dans sa muette attitude, dans ces regards affectueux dirigés vers l’Honorable Joliette, elle semblait supplier l’Évêque de se faire, auprès de son bienfaiteur, l’écho de l’universelle gratitude.
Le cœur de Mgr Prince avait compris et ressenti lui-même ce vif et profond sentiment qui agitait la multitude. Aussi, il ne se fit pas prier; sa bouche parla de l’abondance de son cœur. Sa pensée pleine d’heureux aperçus et d’ingénieux rapprochements se traduisit par une brillante improvisation qui laissa dans les âmes un profond souvenir.
Comme on le présume aisément, M. Joliette ne fut pas épargné, et sa modestie dût subir en silence tous ces éloges mérités qu’accueillaient les nombreux et bruyants applaudissements de la foule.
Après avoir parlé des bienfaits de l’éducation religieuse et avoir félicité les citoyens de l’Industrie de l’heureuse fortune d’avoir au sein de leur village un établissement aussi précieux qu’une maison dirigée par les membres d’une communauté spécialement dévouée à l’instruction de la jeunesse, Mgr Prince termina en disant : « En quittant ce Collège qui doit ouvrir ses portes aux jeunes gens de cette paroisse ainsi qu’à ceux des paroisses d’alentour, j’emporte dans mon cœur la douce pensée qu’il ne cessera de prospérer, et qu’il deviendra plus tard une des plus florissantes maisons de cette province. »
L’œuvre patriotique et religieuse de M. Joliette allait commencer à produire des fruits. Bientôt cinquante élèves recrutés dans le village et la campagne environnante, animèrent joyeusement les salles de la nouvelle institution. Tout allait bien sous la direction du prêtre zélé et intelligent que l’Évêque avait placé à la tête du Collège naissant.
XXXV. Arrivée des religieux de Saint Viateur
M. Joliette n’en poursuivait pas moins son premier plan, celui d’avoir des religieux pour son établissement.
Secondé des conseils du Grand-Vicaire Manseau et du zèle infatigable de Mgr Bourget, il négocia les principaux arrangements du contrat qu’il proposait à la communauté des clercs de Saint Viateur.
Au printemps de 1847, l’Évêque de Montréal revenant d’un voyage à Rome, passa par Vourles, leva les difficultés qui restaient encore et amena avec lui, trois religieux de cette communauté : noyau fécond de cette association naissante, qui aujourd’hui, au nombre de cent membres, répand ses bienfaits dans le diocèse de Montréal, étendant ses ramifications jusqu’à la lointaine Colonie Canadienne de Bourbonnais (près de Chicago).
Nous reproduisons ici une lettre que Mgr Bourget adressa alors à l’Honorable B. Joliette, pour lui rendre compte du succès de ses négociations. Elle dira aux habitants de Joliette qui pourraient l’ignorer, que dans l’établissement des religieux de Saint Viateur au sein de leur ville, le vénérable et saint Évêque de Montréal a aussi des titres bien chers à leur reconnaissance.
« Honorable Monsieur,
En revenant de Rome, je me suis arrêté à Vourles pour conclure, avec Monsieur Querbes curé de Vourles, l’affaire de la fondation des Frères de Saint Viateur à Saint-Charles de l’Industrie. J’ai pris sur cette Congrégation naissante toutes les informations possibles, et, autant que j’ai pu en juger, elle remplira parfaitement vos vues généreuses et bienveillantes. J’amènerai avec moi, au mois de mai prochain, trois de ces Frères, et un quatrième suivra de près.
En faisant les frais de cette fondation, vous vous proposez de propager d’une manière efficace l’éducation et l’industrie, dans votre ville naissante, et dans tout le pays. Or, je crois que vous trouverez dans les Frères de Saint Viateur des hommes capables d’exécuter ce double projet si beau et si digne de vous…
Veuillez présenter mes respects à toute votre honorable famille, et me croire avec une haute considération,
Monsieur,
- Votre très-humble serviteur,
Ig., Év. de Montréal
En faisant à ses frères bien-aimés les adieux du départ, le Père Querbes remettait de son côté, au frère Étienne Champagneur, pour l’Honorable Joliette, les lignes suivantes :
« Honorable Monsieur,
C’est pour seconder vos généreux desseins que nous envoyons trois de nos frères dans vos contrées. Monseigneur de Montréal m’assure que vous êtes disposé à faire de grands sacrifices dans l’unique vue de procurer les bien-être religieux et temporel de vos concitoyens.
J’ai l’espoir que nos frères y répondront. J’ose les recommander à votre généreuse bienveillance. Leur reconnaissance sera partagée par tous les membres de leur institution et par leur supérieur en particulier qui est avec respect,
Honorable Monsieur,
Votre très-humble et très-obt servt.
Querbes, ptre.
Vourles, 17 avril 1847. »
Le 28 mai, après une heureuse traversée, les religieux annoncés arrivèrent à l’Industrie où ils furent reçus à bras ouverts par MM. Manseau et Joliette.
En attendant que l’année scolaire commençât, ils furent logés au Collège. En septembre, ils prirent la direction de cette maison qui, selon les prévisions de Mgr Prince, n’a cessé de prospérer, bien que son ciel n’ait pas toujours été exempt d’orage.
Tranquillisé sur le sort de sa fondation, se reposant entièrement sur l’habileté des religieux pour le soin et l’impulsion à donner aux études dont il avait pourtant tracé le programme, le fondateur n’apparaissait au Collège que pour y applaudir au travail et aux succès de ses chers enfants, pour y surveiller les améliorations temporelles dont sa générosité prévoyante ne se lassait pas de poursuivre le cours.
L’amour, le respect et la confiance dont l’entouraient les professeurs et les élèves « le dédommageaient amplement, disait-il, des petits services qu’il avait essayé de rendre à la jeunesse de sa localité ».
Il faut entendre parler les jeunes gens d’alors qui eurent le bonheur de le voir, de l’entendre, de jouir de sa présence au milieu d’eux, pour se faire une idée de l’attachement filial et de l’admiration qu’il inspirait à tous, par sa conduite si pleine de noblesse, de bonté et d’affectueuse tendresse.
XXXVI. Établissement d’une distillerie
Au milieu des préoccupations que lui causaient le coût et la surveillance des travaux de l’église et du collège, M. Joliette n’avait détourné en rien le cours de ses entreprises industrielles. Le commerce du bois qu’il continua jusqu’aux dernières années de sa vie, lui procurait les ressources nécessaires à ses pieuses fondations.
D’autres entreprises avaient occupé quelque temps, cette intelligence qui ne pouvait rester en repos.
C’est ainsi qu’en 1840, de concert avec M. E. Scallon, il avait établi une distillerie de whisky qui donnait de l’occupation à une trentaine de personnes. Pendant une année, elle fonctionna, rendant un bénéfice au-delà de toute espérance, lorsque tout-à-coup un incendie la détruisit de fond en comble. L’élément destructeur arriva d’une manière si inopinée, envahit si rapidement l’édifice qu’on ne put rien sauver. Tonneaux d’eau-de-vie, machines, appareils distillateurs, tout devint la proie des flammes. On ne voit pas que ni M. Joliette ni M. Scallon aient eu l’idée de tenter de nouveau la fortune sur ce point.
Quelques personnes, trop sévères sans doute, ont reproché à M. Joliette sa coopération à l’établissement de cette distillerie. Telle n’est pas notre opinion, et voici pourquoi : M. Joliette poursuivait un but noble, digne de son grand cœur et de sa haute intelligence : la fondation d’un village et l’établissement d’une paroisse. Il usait ainsi les forces vives de son âge mûr, pour la prospérité de son pays et la gloire de l’Église. Dans ce dessein, et pour se procurer les ressources pécuniaires nécessaires à l’avancement de ses œuvres, il encourageait toutes les industries honnêtes, toutes les légitimes entreprises commerciales.
La fondation d’une distillerie opérée dans le but de procurer à sa population une plus grande somme de travail, de faire un commerce honnête, ne lui semblait pas une entreprise blâmable. L’abus probable d’une chose bonne en elle-même, ne saurait être une raison d’en condamner le raisonnable usage. M. Joliette, en homme sage et éclairé, que le préjugé et le fanatisme ne pouvaient ni égarer, ni jeter dans les extrêmes, croyait qu’il était permis de se livrer à cette exploitation et qu’il ne saurait y avoir de faute, à faire des liqueurs fortes un usage nécessaire ou utile, pourvu que cet usage fût prudent et modéré.
D’ailleurs tout le monde sait que ce n’était pas le goût des boissons enivrantes qui l’avait tourné et poussé vers cette branche d’industrie.
Sa sobriété était exemplaire. Il ne prenait jamais d’eau-de-vie; dans les repas, les petites réunions de famille ou d’amis, il n’usait que d’un peu de vin. Lorsque, dans ces circonstances, on portait des santés, un seul verre de vin lui suffisait pour toutes. Il détestait souverainement les ivrognes qu’il renvoyait impitoyablement de son service, lorsqu’après deux ou trois avertissements, ils retombaient dans leurs premières habitudes.
Quelque temps après la construction de sa distillerie, il avait songé à l’établissement d’une manufacture de verre. L’entreprise était résolue, mais les conseils de ses amis le détournèrent de ce projet qui resta abandonné pour toujours.
Cependant une autre entreprise plus vaste que les précédentes préoccupait l’esprit du fondateur de l’Industrie : cette entreprise, qui devait épuiser ses forces et le conduire au tombeau, c’était un chemin de fer destiné à relier son village au fleuve Saint-Laurent.
XXXVII. Chemin de fer
Situé à quatorze lieues de Montréal et à douze milles au nord du Saint-Laurent, le « Village d’Industrie », isolé au milieu des campagnes encore peu défrichées, se voyait privé de communications faciles avec les grands centres de commerce. Il ne pouvait prospérer que par son industrie locale, par l’exploitation des chantiers, par les travaux incessants qu’exécutait l’homme extraordinaire que la Providence y avait suscité.
Ces ressources venant à manquer, advenant la mort de ce protecteur, l’établissement au berceau aurait été condamné à languir dans son isolement, partageant le triste sort de ces villages stationnaires que le défaut de communication ou d’initiative retient dans l’engourdissement, empêche de progresser et de grandir.
Plein de sollicitude pour une œuvre en faveur de laquelle il avait consacré les forces de sa vie, l’Honorable Joliette ne songeait à rien moins qu’à relier par une voie ferrée son établissement avec le Saint-Laurent.
Déjà un plan avait été conçu; déjà sur ses cartons, une route avait été tracée de l’Industrie à l’Assomption, lorsque les marchands de ce dernier Village créèrent à ce projet une si vive opposition qu’il dût s’adresser à meilleure enseigne. Il se tourna vers Berthier : il offrit d’y diriger son chemin de fer, à la condition que le Village souscrirait une certaine somme en faveur de l’entreprise; mais les citoyens de cette localité, à l’instar de ceux de l’Assomption, ayant refusé ses avances, il ne se découragea pas.
Ayant tenté de faire déboucher son chemin à Lavaltrie, de nouveaux obstacles surgirent et l’empêchèrent d’effectuer ce dessein. Il y avait de quoi réfléchir. Il résolut alors de choisir la voie la plus courte, malgré les immenses travaux que devait nécessiter son terrassement.
Le village de Saint-Thomas, qui ne comptait alors que quelques maisons, et celui de Lanoraie furent les jalons de cette artère féconde qui, avec le commerce, amènerait à Joliette le mouvement, la vie et la prospérité.
En quelques mois, sous sa présidence et par ses soins intelligents, une compagnie puissante est formée; une charte est sollicitée et octroyée. Enfin, au printemps de 1848, deux cents travailleurs, la hache et la pioche à la main, opéraient à travers la forêt une large trouée que devaient bientôt parcourir de lourds chariots, descendant au fleuve géant les produits du Nord.
Le touriste à qui il a été donné de faire le trajet de Lanoraie à Joliette, qui a promené son regard sur ces immenses savanes mouvantes et bourbeuses, couvertes d’eaux stagnantes que la persévérance a assainies; qui a vu ces côteaux sablonneux à travers les flancs desquels il a fallu tracer un sillon profond; qui a considéré ces dix milles d’abattis qui ont été faits; qui a examiné les terrassements élevés qu’a nécessités l’ouverture de cette voie ferrée, peut se faire une idée des difficultés qu’a dû vaincre M. Joliette pour parachever son œuvre.
Président, conducteur, aviseur, il était tout à la fois; qu’il fit beau ou mauvais temps, que le ciel fût sombre ou qu’un soleil de juillet embrasât l’atmosphère, il était là, au milieu des ouvriers, dirigeant toutes les opérations; rien n’échappait à sa sagacité.
S’il arrivait à quelqu’un de ne pas comprendre sa tâche ou de la remplir négligemment, il pouvait être assuré de ne pas échapper à l’œil du maître. Une première et douce réprimande suivait cette première maladresse ou cette première faute. Si l’admonition ne suffisait pas pour amender les coupables, ils devaient s’attendre à recevoir poliment leur argent et leur congé, sans plus de cérémonie.
M. Joliette n’aimait pas à perdre son temps dans les contestations inutiles. Très affable et très conciliant pour ses employés qui, après leurs manquements, promettaient de mieux s’acquitter de leurs devoirs, il était inflexible envers les ivrognes, les paresseux et les scandaleux qu’il refusa toujours d’admettre à son service.
Six mois d’infatigable labeur avaient englouti dans l’entreprise la somme de 25 000 $. Au printemps suivant, les travaux furent repris avec une nouvelle vigueur. Aux derniers jours de la saison d’automne, signalés par une noire colonne de fumée, les chars nouvellement apparus dans ces régions solitaires se promenaient du Saint-Laurent au village de Saint-Thomas. Enfin, au printemps de 1850, au prix de $ 55 300, la ligne du village d’Industrie au Saint-Laurent se trouvait parfaitement organisée, et fonctionnait à merveille, à l’extrême satisfaction de l’Honorable Joliette.
Mandé pour la circonstance, Monseigneur Bourget qui, en tant d’occasions, s’était rendu à l’Industrie pour bénir les travaux et les entreprises de M. Joliette, voulut encore cette fois condescendre au vœu général de la population, et venir procéder lui-même à la bénédiction du nouveau chemin de fer. Cette belle cérémonie eut lieu le dimanche, dans l’après-midi, au milieu d’un immense concours du peuple. L’Évêque y prononça une belle et touchante allocution.
Entr’autres considérations du plus haut intérêt, il peignit à grands traits, avec des éloges mérités, les œuvres de l’Honorable fondateur du village d’Industrie.
Puis, parlant de l’alliance intime de la Religion avec le progrès des arts, des sciences et de l’industrie, il rappela que c’était au foyer sacré de la Religion que s’était rallumé, au moyen-âge, le feu du génie, et que, sous son inspiration créatrice, avaient été enfantés ces chefs-d’œuvre que la vieille Europe est aujourd’hui si fière d’offrir à l’admiration du monde.
« Cependant, a-t-il ajouté, si bien des fois, à la vue des merveilles de l’art chrétien, le cri de : « Gloire à nos pères! » s’est échappé de nos poitrines, nous pouvons répéter aussi : gloire à nos concitoyens qui, par leurs travaux et leurs sacrifices, ont procuré le bien-être matériel et religieux de leurs frères! Gloire au génie qui rapproche les distances, suspend des ponts dans les airs, et qui, par la puissance de la vapeur, donne à de lourds chariots l’agilité de l’aigle et la rapidité de la flèche qui fend les airs.
Amie constante du progrès, la Religion applaudit au succès de l’homme, se fait un bonheur de rendre un solennel hommage aux créations du génie. Voilà pourquoi elle vient aujourd’hui, entourée de sa pompe et de ses vœux, imprimer le sceau d’une salutaire consécration à ce magnifique chemin de fer, triomphe de la persévérance et du patriotisme d’un grand citoyen… Tout en encourageant ce progrès matériel, elle demande qu’il soit uni au progrès religieux et moral; elle nous fait ressouvenir qu’il ne faut pas oublier la main généreuse qui bénit les entreprises humaines et leur accorde un heureux couronnement. C’est ce qu’a compris le fondateur du beau Village d’Industrie qui, en nous appelant pour bénir chacune de ses entreprises, s’est rappelé la parole des livres saints : Nisi Dominus aedificaverit domum, in vanum laboraverunt qui aedificant eam. »
Par cette nouvelle voie de communication, le coût exhorbitant de la descente du bois de sciage qu’il fallait auparavant conduire au fleuve par les interminables sinuosités de la rivière, fut considérablement réduit. Il en fut de même des produits de l’agriculture, qui, par des routes à demi-ébauchées, devaient être transportées soit à Berthier, soit à l’Assomption.
Dès lors, le Village d’Industrie prit un nouvel essor. Dès ce moment, son commerce quadrupla, et, en moins de cinq années, le chiffre de sa population fut doublé.
XXXVIII. Vue de Joliette
Lorsque, dans la belle saison d’été, le voyageur, entraîné par le vapeur sur le chemin de fer de Lanoraie à Joliette, entendant le sifflement aigu de la locomotive, signe précurseur de l’arrivée au terme de la course, promène son regard sur la ville et ses alentours, il voit se dérouler devant lui un panorama riant et gracieux.
À l’avant-scène, et comme une brillante émeraude sur un champ d’or et d’azur, se présente le joli bocage d’érables couronnant si pittoresquement les rives de l’Assomption.
À ses côtés, vers le Sud-Ouest, s’étendent les campagnes cultivées dont les replis onduleux, suivant parallèlement le cours de la rivière, vont se perdre du côté de Saint-Paul.
En face du débarcadère, apparaît la limpide rivière de l’Assomption. Descendant les rapides, ses eaux courent avec vitesse, battant les rives sonores qu’elles inondent de blanchissante écume.
Sur la rive occidentale, s’étend la grande plaine aux frontières de laquelle s’élève, pour la dominer, l’industrieuse cité de Joliette.
Bâtie en parallélogramme, Joliette ressemble beaucoup aux petites cités américaines qui se présentent à l’œil avec un air de jeunesse, d’aisance et de coquette élégance. Avec ses rues larges, parallèles et ombragées en plusieurs endroits, ses places spacieuses, ses maisons resplendissantes de propreté, ses moulins, ses manufactures, ses nombreux magasins de tout genre, ses édifices publics, tels qu’église, chapelle, collège, couvent, école, hôpital, palais de justice, institut littéraire, cette petite ville canadienne se dessine aux regards de l’observateur sous l’aspect d’un tableau plein d’animation et de vie.
Au sortir des chars, le premier objet qui attire l’attention de l’étranger, est le manoir du seigneur et fondateur de la ville : l’Honorable Barthélémi Joliette.
À une demi-lieue de distance, le touriste avait déjà vu se dessiner à l’horizon le dôme brillant qui couronne cet édifice. À mesure que les espaces s’effacent, il a vu le manoir s’élever par degrés et apparaître plus distinctement.
Comme sur l’Océan, un vaisseau lointain dont on n’aperçoit d’abord que l’extrémité de la mâture semble perdu, naufragé dans la plaine liquide, mais qui, en se rapprochant, grandit à vue d’œil et se dresse bientôt fièrement sur les flots qui le balancent majestueusement, de même, le manoir dont on ne voit d’abord que le faite, paraît surgir du sol, en grandissant peu à peu; les ailes se découvrent et un quart d’heure après, à travers les magnifiques ombrages qui l’encadrent, il rayonne dans tout son éclat.
Construit en 1828, sur un plan moderne dont on peut retrouver le modèle à Philadelphie dans la vue du château du prince Joseph Bonaparte, le manoir de Joliette est assis sur le bord des bruyantes cascades de la rivière, au milieu des ondulations du côteau où prend naissance la rue de Lanaudière.
C’est un édifice à deux étages, de cent pieds de longueur sur une largeur de quarante. Deux ailes de vingt-cinq pieds de largeur sur une cinquantaine de profondeur, laissent saillir de cinq à six pieds le corps principal qui, orné d’un fronton semblable à celui des ailes, revêt par toutes ses proportions un air de force et d’élégance peu communes.
À l’instar de celles des châteaux féodaux du moyen-âge, ses ouvertures sont larges; les portes à double battant, ainsi que les larges fenêtres placées au-dessus d’icelles, se terminent par une ellipse à leur partie supérieure. Avec ses toits en fer-blanc, sa solide structure en belle pierre bleue, cet édifice grandiose et vraiment princier peut durer plusieurs centaines d’années.
Après un demi-siècle d’existence, il est encore aussi brillant qu’aux beaux jours de son inauguration : alors que dans son enceinte pompeusement décorée, une société d’élite se pressait autour de son hospitalier et très-noble seigneur.
Malgré le deuil qui l’environne aujourd’hui, le manoir de Joliette a le privilège d’attirer à ses alentours les pas du promeneur pensif et solitaire.
Lorsqu’au déclin du jour, dans les délicieuses journées de l’été, celui-ci se dirige vers cet endroit écarté et silencieux, il ne peut s’empêcher de contempler longuement le tableau qui parle si éloquemment à son imagination et à son cœur.
Outre l’aspect mélancolique des ruines colossales d’un ancien château jadis rival de celui de M. Joliette, mais dont les décombres épars ça et là sur le sol rappellent sans cesse à l’esprit les vers du poète :
Les plus belles choses ont le pire destin;
Et rose, il a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.
Outre ce tableau, dis-je, ce palais désert au sein duquel règne le silence de la tombe, ces jardins qui n’ont conservé que de légers vestiges de leur splendeur primitive, ces murs d’enceinte lézardés et délabrés, ces sombres peupliers qui murmurent sous la brise du soir, tout en ce lieu porte l’empreinte de la tristesse et semble porter le deuil des anciens bienfaiteurs de la ville.
Au bruit continuel des chutes, aux notes plaintives des oiseaux nocturnes, joignez le spectacle du soleil couchant, qui, à travers les branches des arbres fait miroiter ses rayons sur les toits et les vitraux de l’édifice abandonné en y projetant les lueurs de l’incendie, et vous aurez une idée des indescriptibles sentiments qu’un pareil spectacle doit inspirer aux âmes, tant soit peu impressionnables et sensibles.
À COMPLÉTER
(1) M. Rester n’était que clerc à son arrivée au Collège, mais il fut ordonné prêtre quelques semaines plus tard, à Joliette, par Mgr Gaulin, ancien évêque de Kingston.