Les maisons de la découverte
LES MAISONS DE LA DÉCOUVERTE
Le Conseil des sciences et des technologies du Québec tenait récemment une conférence de presse qui était avant tout un prétexte pour relancer le projet d'un grand musée des Sciences à Montréal. On nous a appris à cette occasion que le nombre d'inscriptions dans les programmes de sciences des cégeps avait tendance à diminuer. Cette nouvelle, qui s'ajoute à ce que nous savions déjà sur le retard traditionnel du Québec en cette matière et sur les taux de décrochage au secondaire, n'a rien de réjouissant. Nul doute que si un musée des Sciences apparaissait comme le meilleur moyen d'éveiller le goût de la recherche et de la découverte chez les jeunes, un tel projet mériterait la plus grande attention. Mais à une époque où un ordinateur de quelques milliers de dollars peut donner accès à toutes les informations du monde devenant ainsi un véritable musée part moment où, de toute évidence, un climat convivial sinon familial est la première condition intellectuel d'une majorité de jeunes, ne conviendrait-il pas de so
nger à une autre formule, un réseau de petites maisons de la découverte plutôt 'à un musée traditionnel centralisé et difficile d'accès? Difficile d'accès parce qu'il serait éloigné du trajet quotidien des enfants et parce qu'il leur en imposerait par son gigantisme. Loin d'être abandonné, le projet de musée pourrait être reformulé autour d'une idée adaptée à l'ère de l'autoroute de l'information: une centrale de distribution de l'information.
Une seule image, simple et émouvante contient parfois l'ébauche des projets les plus intéressants, et non seulement l'ébauche, niais aussi le germe des mobiles généreux qui vont rendre leur réalisation possible. Voici l'image qui est à l'origine de l'idée des maisons de la découverte. Il y a quelques années, je visitais un marché aux puces où l'un de mes amis tenait un kiosque d'informatique. Tout le monde entre dans un marché aux puces y compris des jeunes sans le sou qui n'oseraient pas visiter les grands salons d'informatique. L'un de ces jeunes, un garçon de douze ou treize ans, semblait fasciné par le kiosque d'informatique et par mon ami, dont il se sentait compris et peut-être déjà un peu aimé. Si bien que chaque fois qu'il en avait l'occasion, il allait à demi furtivement, taper sur le clavier d'une machine en démonstration. Quand des clients se présentaient, il disparaissait quelques minutes, puis revenait dès qu'il voyait la place (sa place) libre. De temps à autre, il se hasardait à poser une quest
ion. Il obtenait toujours une réponse précise et souriante. Comme le manège durait depuis plusieurs jours, on peut en déduire que ce petit décrocheur - car ceci se passait pendant les heures de classe - avait trouvé une méthode bien à lui, et très efficace, d'acquérir des connaissances en informatique... tout en se faisant un ami.
Cette image a pénétré profondément en moi, si profondément qu'elle est devenue indissociable de l'ensemble de mes réflexions sur l'éducation et la société en général. L'enfant au clavier est devenu mon guide et mon critère.
Il y a quelques mois, un personnage influent me demandait mon avis sur un projet de musée des Sciences à Montréal. C'est l'enfant au clavier qui a déterminé ma réponse. Ce n'est pas un grand musée des Sciences et des techniques qu'il nous faut en ce moment. Chaque ordinateur, en raison de la multiplication des disques laser et de l'autoroute électronique est désormais un petit musée portable. D'autre part dans tous les quartiers, dans tous les villages, il y a des "enfants au clavier". Ils sont très nombreux si l'on en juge par le taux de décrochage scolaire.
La nécessaire initiation
Un personnage influent me demandait mon avis sur un projet de musée des Sciences à Montréal. Ce n'est pas un grand musée des Sciences et des techniques qu'il nous faut en ce moment. Chaque ordinateur, en raison de la multiplication des disques laser et de l'autoroute électronique, est désormais un petit musée portable.
Ce n'est toutefois pas d'un programme étatique de lutte contre le décrochage scolaire dont ces enfants ont besoin, mais d'une porte qui s'ouvre sur un adulte ami, de préférence un grand frère ou une grande soeur et en même temps sur des connaissances à découvrir. Les choses à découvrir sont souvent, pour les enfants, non une fin mais un prétexte pour se rapprocher d'un adulte qui les aimera peut-être.
Ces enfants de toute évidence bora plus à l'aise dans un kiosque de marché aux puces qu'ils lie le seraient dans un grand palais de la science et des techniques. Souvent il n'y a personne qui les attend à la maison à la fin de la journée, au moment où ils commencent les fugues qui les conduiront au décrochage. Pourquoi ne pas leur offrir des haltes, qui seraient de vraies maisons, où la satisfaction de leur curiosité serait pour eux prétexte à se rapprocher d'un savant qui pourrait devenir un ami? En ce moment, ce sont les arcades qui satisfont de façon bien froide, ce besoin des enfants.
Pendant que ces derniers rêvent de l'adulte initiateur qui sera leur ami, il y a au Québec surabondance de jeunes diplômés qui' cherchent un travail intéressant et utile à la société. Il y a aussi de plus en plus de retraités qui ne demandent pas mieux que de nouer des liens féconds avec les jeunes générations. À propos du rôle de l'initiateur, dois-je rappeler qu'il s'agit là du grand thème ressortant des travaux de Jacques Grand'Maison sur la jeunesse québécoise? Si, nous apprend le célèbre sociologue les maîtres et les parents ont tant de difficultés à transmettre valeurs et connaissances, c'est que les enfants sont de plus en plus privés de ces adultes amis qui, dans des sociétés moins atomisées que la nôtre, jouent le rôle d'initiateurs auprès d'eux.
Toutes les conditions pour que les maisons de la découverte se multiplient sont donc réunies. Mais les coffres des États et des cités sont vides, dira-t-on! Voilà peut être paradoxalement une autre condition de la réussite d'un tel projet. Si les ordinateurs et les autoroutes électroniques peuvent de quelque manière être bénéfiques pour les sociétés, c'est avant tout en tant que moyens peu coûteux de concentrer toute l'information du monde en un point précis de l'espace. Précisément parce qu'il est peu coûteux, ce moyen peut à certaines conditions, contribuer à accroître le pouvoir de petits groupes de citoyens. C'était le rêve, ne l'oublions pas, des fondateurs de la compagnie Apple.
Dans les déserts de montagne, il y a ce qu'on appelle des points d'eau. Jadis des familles pauvres allaient s'installer près de ces points d'eau qui permettaient à quelques herbes de pousser et à quelques bêtes de s'en nourrir. Les maisons de la découverte pourraient devenir des points d'information permettant à des grappes de personnes, à la fois de parfaire leur connaissance d'elles-mêmes et du monde, et d'acquérir la maîtrise de cette information qui est devenue plus importante que le capital et le travail dans le développement des nations. Or les gens n'acquerront pleinement la maîtrise de l'information que s'ils sont pleinement responsables des moyens (médias) par lesquels elle transite.
Une heure d'écran, une heure de cosmos
Mais attention! L'être humain ne se nourrit pas que de données numérisés. Si ces données se substituent au réel au lieu d'y ramener l'attention, l'avantage qu'on en tire n'est qu'apparent et éphémère tandis que les inconvénients sont durables et lourds de conséquences. Pour que le point d'information soit vraiment un point d'eau, un point de vie, il faut que la maison ait une lime et qu'au-dessus de la salle des machines, il y ait un belvédère d'où l'on puisse observer le monde. En d'autres termes, il faudrait qu'après une heure d'écran, les enfants aient l'occasion d'aller s'initier à l'observation des plantes et des oiseaux, de feuilleter des revues et des livres, d'apprendre une chanson ou un Poème.
Mais dira-t-on, il y a déjà des écoles, des bibliothèques, des maisons de la culture. Tout cela coûte déjà très cher, trop cher. Ces objections sont évidemment sensées et il ne fait aucun doute qu'il conviendrait d'utiliser tous les équipements existants pouvant être réaménagés en fonction des buts des maisons de la découverte, et de les intégrer ensuite au réseau envisagé.
Le mécénat collectif
Comment favoriser l'émergence d'un tel réseau? D'abord, avant même de songer à un réseau, il faut penser à une maison, puis à une autre à l'échelle expérimentale. S'ils sont destinés à demeurer vivants, les réseaux se créent d'eux-mêmes ensuite.
Or, le modèle de la maison de la découverte existe déjà au Québec, sous diverses formes. Il existe par exemple une maison des enfants à Montréal, mais l'exemple parfait de la maison de la découverte c'est celle qu'habitent et qu'animent les écologistes Claude Arbour et Danielle Asselin au Lac Villiers, situé au nord de Saint-Michel, comté de Berthier. Nous avons évoqué la vie et le travail de ce couple à quelques reprises dans L'Agora. Ils ont fait d'autre part l'objet d'un grand reportage à l'émission le Match de la vie, l'an dernier à Télémétropole. On les a vus à l'oeuvre notamment dans leurs efforts fructueux et sans précédent en vue de la réhabilitation des balbuzards.
Claude, Danielle, et maintenant leurs deux enfants, sont soutenus par une Fondation, la Fondation naturaliste du Lac Villiers, laquelle est elle-même alimentée chaque année par une centaine de sympathisants, appelés collaborateurs, parce que plusieurs d'entre eux ne se limitent pas à une contribution financière mais aident Claude et Danielle directement de mille façons, depuis la participation aux corvées pour la construction jusqu'au transport de balbuzards blessés en provenance de Saint-Hyacinthe.
Au cours de l'année qui s'achève, ils auront reçu la visite de mille personnes, des enfants et des adolescents pour une large part à qui ils auront transmis leurs connaissances et leur enthousiasme.
Puisque l'expérience dure depuis sept ans et que tout va de mieux en mieux, on peut déjà parler de réussite.
Il y a quelque chose d'unique, d'inimitable dans cette réussite. Il en est ainsi de tous les fruits de la vie. Rien n'empêche toutefois des gens de Montréal, Québec ou Sherbrooke de se regrouper pour adapter la formule du mécénat collectif à une maison de la découverte. À noter que bon nombre des collaborateurs de Claude et Danielle reçoivent de ces derniers, sous forme d'information ou d'excursions dans la nature, au moins l'équivalent des 100 $ qu'ils leur versent en moyenne chaque année. Il s'agit donc d'un échange.
Et, de même que Claude et Danielle sont reliés aux grands centres d'information via l'Union québécoise de réhabilitation des oiseaux de proie et la faculté de Médecine vétérinaire de l'Université de Montréal, de même les maisons de la découverte pourraient être ouvertes sur le monde par des associations semblables. Et dans ce cas, nous l'avons déjà dit, les nouvelles techniques de communication pourraient être mises à contribution.
Le rôle des autorités municipales et des gouvernements
Étant donné l'intérêt des pouvoirs publics pour l'autoroute de l'information et l'ensemble des nouvelles techniques informatiques, la constitution d'un réseau de maisons de la découverte supposerait une subtile et délicate coordination, impossible sans un appui enthousiaste de tous les pouvoirs publics.
Même si l'engagement individuel et communautaire est la première condition de la réussite dans une expérience de ce genre, les autorités municipales et gouvernementales pourraient jouer un rôle déterminant. Une partie de l'argent nécessaire à l'ouverture de maisons de la découverte pourrait venir des programmes sociaux déjà existants: qu'il s'agisse de bourses d'études, d'assurance-chômage, de prestations d'aide sociale. Mais surtout des leaders politiques et des notables bien inspirés pourraient contribuer à créer le climat social nécessaire à l'avènement du mécénat collectif sur une base élargie.
Étant donné l'intérêt des pouvoirs publics pour l'autoroute de l'information et l'ensemble des nouvelles techniques informatiques, la constitution d'un réseau de maisons de la découverte supposerait une subtile et délicate coordination, impossible sans un appui enthousiaste de tous les pouvoirs publics.
Il faudrait en effet que le travail de coordination soit à la hauteur de l'idée en cause. Il s'agit en réalité de rassembler sous un même toit trois finalités qu'on a l'habitude de dissocier: une finalité éducative, donner des initiateurs aux jeunes qui n'en ont pas rencontré dans leur milieu; une finalité sociale, permettre à des jeunes de s'intégrer à un milieu, réunir du même coup les générations, créer des emplois intéressants et nécessaires; et une finalité économique et technique, susciter des vocations dans ce domaine tout en élevant le niveau général de la culture scientifique de la société québécoise.