Quelle suite donner aux États généraux? Mettre le Québec sur la voie constituante

Marc Chevrier
Les États généraux sur la réforme des institutions démocratiques qui se sont conclus à Québec en février 2003 sous la présidence de Claude Béland ne sont pas les premiers du genre dans l’histoire du Québec. De 1967 à 1969, le Québec eut ses États généraux du Canada français qui se terminèrent par l’adoption d’un vaste programme de transformation de l’État du Québec. Les derniers États généraux, faisant peut-être implicitement écho aux premiers, ont ainsi résolu, par des majorités significatives, que le Québec se dote d’une véritable constitution et donne à ses citoyens le droit d’initiative référendaire. De plus, sans rejeter le parlementarisme actuel, ils ont préconisé l’adoption d’un mode de scrutin mixte faisant une part à la proportionnelle. Par bonheur, les participants ont repoussé l’idée d’implanter au Québec un régime républicain à l’américaine, projet mal ficelé dont l’attrait paraissait d’autant plus fort qu’il reposait sur une mauvaise lecture des lacunes du parlementarisme actuel et sur une idéalisation du présidentialisme américain. Il est néanmoins regrettable que les participants n’aient pas eu à envisager l’introduction de la proportionnelle au sein d’une seconde chambre; les participants ont eu à se prononcer sur une chambre régionale égalitaire, une espèce de sénat à l’américaine étrangement conçu pour atténuer le ressentiment des régions. Une deuxième chambre, élue à la proportionnelle, est une avenue que les participants auraient gagné à explorer, non pour fédéraliser le Québec par un sénat des régions, mais pour rehausser le pouvoir législatif vis-à-vis de l’exécutif et pour renforcer la délibération et le contrôle politiques vis-à-vis de la gestion technocratique de l’État.

Espérons que ces récents États généraux, à la différence des premiers, débouchent après les élections générales du 14 avril 2003 sur la mise en branle d’un processus constituant et sur des changements utiles approuvés par la population du Québec. Dans son rapport remis le 10 mars 2003, le comité directeur des États généraux envisage ni plus ni moins deux grands chantiers de réforme devant aboutir à une consultation référendaire : 1- la réforme du mode de scrutin; 2- l’adoption d’une constitution du Québec. Quelle suite le nouveau gouvernement élu le 14 avril 2003 donnera-t-il aux travaux des États généraux? La tentation pourrait être grande, une fois passé le remue-ménage de la surenchère électorale, de mettre le couvercle sur la marmite des idées et de ramener le Québec vers de modestes horizons. Trop souvent dans leur histoire les Québécois ont différé le moment d’agir, quand bien même ils avaient toutes les ressources pour le faire. Se donner une constitution et réformer son mode de scrutin, voilà des tâches qu’un peuple démocratique peut entreprendre sans demander de permission à personne.

Mais voilà, comment s’y prendre? Le prochain gouvernement formé en avril 2003 pourrait bien s’aviser de modifier à la pièce, sans plus tarder, la législation québécoise sur les institutions. Il pourrait penser avoir toute la légitimité voulue pour agir seul, sans autre consultation, avec si possible l’appui des partis d’opposition. Cependant, étant donné l’importance des changements proposés par les États généraux, le simple recours à la voie parlementaire ordinaire ne peut se justifier. Plusieurs de ces changements, parce qu’ils touchent fondamentalement à l’organisation des institutions politiques québécoises, devraient figurer dans une constitution écrite et dûment approuvée par la population du Québec. La rédaction d’une constitution n’est donc pas un élément de réforme parmi d’autres, une mesure décorative que l’on met en œuvre une fois seulement que ces derniers ont été complétés. C’est le véhicule logique et normal par lequel un peuple démocratique affirme ses libertés et met en forme les pouvoirs de son État, qu’il soit fédéré ou souverain. Ce n’est donc pas une manœuvre nationaliste, comme le pensent certains pisse-froid bougonneurs. Quant au changement de mode de scrutin, il devrait lui aussi être approuvé par la population, puisqu’il risque de transformer radicalement le système politique québécois.

On peut dès lors envisager que la population du Québec, à la suite d’un processus menant à la rédaction d’une constitution et au choix d’un nouveau mode de scrutin (si l’on décide de le changer), soit consultée sur ces deux objets, voire à l’occasion d’un même référendum. Comment engager ce processus?

Plusieurs scénarios sont possibles pour la rédaction d’une constitution. On pense bien sûr à l’élection d’une convention, c’est-à-dire une assemblée spécialement élue pour rédiger un projet de constitution. C’est une avenue éminemment démocratique, et une nouveauté pour les Québécois. Elle comporte toutefois ses risques, car rien n’assure que le projet de la convention recueillera les suffrages du peuple. Dans plusieurs États américains, des projets de constitution fignolés par des conventions ont frappé l’écueil du désaveu populaire. Autre avenue : l’Assemblée nationale elle-même se déclare constituante, c’est-à-dire investie du mandat de rédiger un projet de constitution. Mais pour ce faire, il faudra que ce mandat soit lui-même l’enjeu d’une élection générale, ce qui reporte dans quatre ans le processus constituant. Une avenue en apparence plus souple et moins périlleuse est la création d’une commission parlementaire élargie, créée sur le modèle de la commission Bélanger-Campeau, qui réunit des parlementaires québécois et fédéraux ainsi que des représentants de la société civile. Là encore, cette solution a sa part d’inconvénients. Sur la base de quels critères ferons-nous admettre tel groupe plutôt que tel autre dans cette commission extraordinaire? La voix des groupes organisés a-t-elle plus de valeur constituante que celle des citoyens? Enfin, s’il ne s’agit que de rédiger une constitution codificatrice qui garde intactes les institutions, pourra suffire à la tâche une commission d’experts composée de juristes, de politologues et de sages routiers de la politique. Bref, il n’y a pas de procédure idéale; il faudra choisir celle qui concilie le mieux démocratie, équité et efficacité.

Si l’Assemblée nationale choisit de convoquer une convention ou une commission parlementaire extraordinaire, il sera judicieux qu’elle en balise le travail en précisant ce que devrait contenir le projet de constitution, les questions qu’il reste à clarifier et les contraintes juridiques et formelles à respecter. De plus, tous les foyers du Québec devraient recevoir un document expliquant dans une langue claire et sans jargon quels sont les enjeux de la rédaction d’une constitution québécoise.

Tandis que le processus constituant sera enclenché, une commission parlementaire spéciale pourra étudier la réforme du mode scrutin, tenir des consultations publiques, puis proposer un projet de loi, si bien sûr une telle réforme s’avère toujours nécessaire. Ce projet de loi comme le projet de constitution de l’État du Québec pourront ensuite être soumis à la population, idéalement lors d’un même référendum par deux questions distinctes.

La démocratie ne vit pas que d’idées; elle prend corps par la vigilance de ses citoyens et par l’initiative de leurs commettants. Les Québécois ont rarement manqué d’idées, mais souvent d’esprit de suite. L’occasion leur est maintenant donnée de joindre l’action à la parole et de faire ce qui somme toute aurait pu être fait dès le début des années 1960. Certes, les Québécois pourraient attendre quelques décennies encore. L’indolence politique, qui se nourrit de l’indifférence à la chose publique, est depuis longtemps leur pire ennemi.

Montréal, 18 mars 2003

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