Claude Lorrain
Le peintre hollandais rapportait dans son atelier le thème de la composition qu'il allait ébaucher, et sa volonté n'intervenait qu'après sa mémoire. Claude Lorrain écoutait plus souvent et plus librement son imagination. Avec ses souvenirs, avec ses rêveries, il formait un type de bonheur ou de tristesse, et quand il voulait rendre visible à tous ce qu'il avait aperçu au dedans de lui-même, il se tournait vers la nature pour donner plus de précision à sa pensée. Le témoignage de ses yeux n'était pour lui qu'un auxiliaire, jamais un guide impérieux. C'est à l'emploi de ce procédé que nous devons l’unité merveilleuse de toutes ses œuvres. Il savait d'avance ce qu'il allait faire. Il ne commençait pas par copier pour effacer; pour supprimer, pour ajouter; le modèle était en lui. Ce qu'il demandait à la nature, c'étaient les traits dont il devait se servir pour en dessiner les contours, les couleurs qu'il avait choisies, mais qu'elle possédait. Un tel procédé, je le reconnais volontiers, n'est pas à la portée de toutes les intelligences. Pour agir ainsi, il faut une puissance qui n'est pas commune. Cependant les peintres qui se livrent à la pratique du paysage et que la gloire de Claude Lorrain pourrait tenter doivent en prendre leur parti. Il n'y a pas moyen de faire ce qu'il a fait, ou quelque chose d'équivalent, sans passer par la route qu'il a suivie. Ils ne trouveront pas dans la réalité ce qu'ils trouvent dans ses œuvres. Les scènes les plus grandes, les sites les plus majestueux, laissent apercevoir des détails que le goût condamne, et dont le pinceau ne doit tenir aucun compte. Pour tout dire en un mot, la nature offre à l'art des thèmes nombreux, d'une infinie variété: elle ne lui offre pas de modèles. Voilà ce que Ruysdael entrevoyait, ce que Claude Lorrain voyait clairement. Intervention permanente de la pensée dans l'expression de la forme, l'imitation envisagée comme moyen, jamais comme but, c'est à ces termes précis qu'il faut réduire le procédé de ce maître illustre. Il connaissait tous les aspects de la nature, et savait les reproduire comme s'il n'eût pas eu en tête un projet plus élevé; mais cette notion et cette faculté n'étaient pour lui que des instruments. Ses souvenirs, il les transformait quand l'heure était venue d'exprimer sa volonté. Il disposait si librement de tout ce qu'il avait vu que la nature semblait lui obéir. Il creusait les vallées, il abaissait les montagnes, il attachait au tronc des arbres des branches d'une souplesse inconnue, d'une merveilleuse élégance, et tout cela si simplement que jamais chez lui l'invention ne semble bizarre. Il est trop savant pour étonner; quand il crée, on dirait qu'il se souvient: génie excellent qui a voulu dans la mesure de sa puissance, qui a réalisé tout ce qu'il avait conçu.