Avatar de l'alchimie québécoise

Claude Gagnon
Si l'argent des loteries était investi dans les Caisses d'Économie du Québec, nous serions indépendants et prospères.
Longtemps, les sociologues nous l'ont appris, le blasphème a occupé la première place au palmarès des péchés mignons des Québécois. En seconde place, c'était l'ivrognerie; chaque village sinon chaque parenté a construit son alambic. Le jeu venait en troisième lieu; il est en passe d'accéder à la seconde position. Les statistiques gouvernementales récentes exposent des profits de loterie nationale comparables à ceux de la société nationale des alcools (1). Dans une société où le jeu et la boisson sont légalisés et pris en charge par son gouvernement, il est peut-être utile d'interroger l'avenir de telles politiques. Il est peut-être utile aussi de s'interroger sur l'origine ou sur l'inconscient de cette pratique. L'institutionnalisation du jeu relève d'une décision politique grave; pourtant, on ne dit rien là-dessus.
On peut en savoir cependant beaucoup de choses. Le phénomène du jeu de hasard en groupe, dont la loterie est un paradigme, a déjà son histoire. Et puis, jouer n'est pas péché, plus spécialement depuis 1969, année où le gouvernement fédéral amenda le code criminel. Cette légalisation d'une pratique populaire permettant aux gouvernements de grossir leur trésor est d'une importance économique indéniable, mais trop souvent oubliée. Depuis la première année d'opération complète de la loterie nationale québécoise en 1971, la croissance de cet organisme s'établit à plus de 800% (2). Aujourd'hui, avec un chiffre de vente frisant le demi-milliard, le système de loterie mis en place par nos gouvernants nous situe «parmi les plus importants consommateurs de ce produit en Amérique du Nord» (3). Remède à la crise? 850 millions ont été versés au fonds consolidé du gouvernement du Québec en 12 ans! Robert Dubois écrit: «En ces temps où la gestion des finances publiques est si ardue, les profits sans cesse croissants que réalise Loto-Québec ne sont-ils pas sa meilleure garantie de survie?» (4). Ou, moins visiblement, symptôme de la crise? Une insuffisance des réalisations économiques causerait-elle la dépense continuelle pour un gros lot porteur d'indépendance économique, voire sociale? Insuffisance vécue et indépendance rêvée constituent des réalités psychologiques jumelles de première importance lorsqu'elles frappent tout un ensemble humain. Les trois quarts des Québécois adultes ont acheté au moins un billet en 1980 et, à ce jour, seulement 11 % de la population n'a jamais acheté de billet de la loterie québécoise (5). Demain ou après-demain, tout le monde ou presque jouera. Après la crise, qui dit que notre situation ne sera pas celle de la Thaïlande avant la première guerre mondiale, alors que plus de la moitié du budget de cet État provenait des loteries? (6). Depuis 1969, l'ensemble des Québécois mise beaucoup, et de plus en plus d'argent, dans cette entreprise d'enrichissement individualisé mais pas du tout collectif. On oublie l'évidence: «Pour un investissement de 100 000$, tous les prix que récolte le public n'excèdent pas en valeur 45 000$. La différence est allouée aux frais administratifs et au profit de l'État.» (7) Ce type d'enrichissement en puissance coûte cher à ses utilisateurs: rien de moins qu'une perte de 50% de la mise. Quels sont les facteurs susceptibles d'expliquer une telle aberration dans le comportement d'une collectivité pourtant en mal d'enrichissement, nécessairement concomitant du processus d'indépendance économique et politique? L'effervescence de la lotomanie chez nous n'est pas le fruit du hasard. Comme dans beaucoup d'autres domaines anthropologiques, tout semble s'expliquer par l'idéologie quand on interroge l'histoire des loteries modernes et de leur nationalisation ou légalisation.

La loterie comme appareil supplétif des oeuvres charitables

La loterie, les historiens s'entendent, c'est la plus belle taxe inventée par l'homme politique; c'est une taxe sur le jeu (8), mais c'est aussi une recette magique de répartition des biens qui a eu une importance capitale pour les gouvernements, de tout temps. Maintenant que c'est l'État qui en est le principal bénificiaire, la nationalisation du jeu de loterie ne doit pas nous faire oublier quels étaient les bénéficiaires précédents. La nationalisation uniformise non seulement le portrait du bénéficiaire principal mais aussi bien l'intérêt des consommateurs types. Historiquement, les loteries eurent deux fonctions principales et pas nécessairement en rapport l'une avec l'autre; les loteries servirent des causes charitables (incluant bien sûr les autres causes humanitaires comme celle des arts non subventionnés) et des causes mercantiles (renflouement des coffres de l'État, obligations boursières à lots) (9). La loterie est une pratique en marge, parfois à l'intérieur, parfois à l'extérieur, des politiques de l'État, mais elle n'en est pas moins une pratique à haute fréquence. La petite histoire de la loterie montre constamment son caractère supplétif par rapport aux pratiques charitables: chaque fois que les organismes subventionnaires ne peuvent émouvoir davantage par une motivation religieuse ou humanitaire, ces organismes ont alors recours à la création d'une loterie. Habituellement, cette suppléance fonctionne avec succès.
Rien ne serait grave si cette pratique se limitait à la consommation de sweepstake (10); les pratiques de la rue sont souvent des alternatives phantasmatiques ayant peu d'impact sur l'organisation sociale. Mais la pratique de la loterie sert à déplacer bien plus que l'argent de ceux qui achètent volontairement la taxe du rêve de fortune; la loterie est un facteur de dynamique économique de première grandeur. De tout temps, on s'est servi de loteries pour suppléer aux motivations religieuses insuffisantes dans nombre de projets sociaux; le plus célèbre de ces projets est sans contredit et précisément le Sweepstake pour les hôpitaux d'Irlande institué en 1930 et devenu célèbre par la suite dans une soixantaine de pays (11). Le British Museum et les universités américaines de Yale et de Harvard doivent beaucoup aux loteries. Chez nous, le premier ministre Alexandre Taschereau, par la voix du secrétaire de la Province Athanase David, propose en 1934 la légalisation de la loteri,e dont l'un des buts principaux énoncés est rien de moins que le parachèvement des travaux de construction de l'Université de Montréal (12).
La fonction de suppléance à la charité jouée par la loterie trouve sa justification dans une réalité bien philosophique: la nécessité. Une «femme de philanthrope newyorkais» témoigne en 1935 devant le Sénat américain: «Je travaille depuis des années pour toutes sortes d'organisations de charité (...) et jamais je n'ai constaté une aussi grande pénurie de fonds. Il n'y a pas une seule organisation de charité à New York qui ne soit dans une situation financière embarrassante» (13). La militance de cette femme pour la légalisation de la loterie ne reçoit pas l'appui de tous. Parallèlement à l'histoire de la pratique, la question théorique du bien-fondé de la loterie s'est posée. L'histoire de la France oscille entre l'étatisation et la marginalisation. La loterie royale de France de 1776 est supprimée par le tribunal de la Révolution en 1793, qui dénonce ce «fléau inventé par le despotisme pour faire taire le peuple sur sa misère, en le leurrant d'une espérance qui aggrave ses calamités» (14). La loterie interdite est rétablie sous le vocable de «loterie nationale» dès 1793, avec l'argument contraire: «De tous les genres de contributions, il n'en est pas qui ait moins de censeurs dans la masse du peuple et plus de partisans qu'une loterie nationale» (15). Critiquée violemment par les Encyclopédistes et les économistes du temps qui avaient observé que la consommation du pain diminuait à l'approche des tirages de la loterie nationale, celle-ci fut en principe prohibée en 1836 pour ensuite être permise en 1891. Ce va-et-vient français entre le prétexte aux oeuvres pies qui domine l'idéologie de tous les pays européens au XVIIIe siècle et la condamnation politique dont les seuls exemples modernes sont les États-Unis, l'Angleterre, le Japon et le Canada, montre l'évidence d'une controverse des valeurs dont l'issue a d'importantes conséquences matérielles. Controverse dont on parle peu en période de légalisation de cette pratique. Il est cependant utile de rappeler que le recours à la loterie est en soi une proposition imaginée par temps de crise. Non pas seulement la crise des motivations dans les sociétés charitables mais aussi la crise d'un État en quête de son indépendance économique. Le paradigme canado-québécois récent illustre bien le phénomène en cause.

L'effet coagulant des loteries dans l'hémorragie des capitaux nationaux

L'histoire du Canada connaît elle aussi le va-et-vient sur la question de la loterie: en 1789, on construit la prison de Montréal avec les profits d'une loterie; malgré l'interdiction de 1820, on crée en 1892 une loterie du peuple et une loterie de la province de Québec (16). Mais bien que certaines «souscriptions de charités» donnant droit à un tirage au sort soient tolérées, comme celles de l' «Army and Navy Vétérans in Canada» (17), le tirage en soi sera considéré comme un acte criminel par le gouvernement canadien, jusqu'en 1969. Pourtant, en 1934, la question de la légalisation de la loterie avait atteint un sommet politique et un traitement dialectique de la question qui aurait très bien pu faire pencher la balance du côté permissif. Pour la simple raison que l'horizon des besoins évoqués alors n'était pas ailleurs que dans cette crise de 29 qui n'arrêtait pas de s'allonger. Dans son discours à l'Assemblée législative de Québec le 14 mars 1934, le premier ministre Alexandre Taschereau ne choisit pas d'autres termes pour situer son projet de loi (Bill 41) visant à légaliser la loterie: «Les ressources de l'Assistance publique sont insuffisantes et l'enseignement supérieur requiert des subsides plus considérables. Il nous faut trouver d'autres sources de revenus. Car les fortunes privées ont été écornées, sinon détruites par la crise. Nous ne pouvons plus demander aux riches de faire les sacrifices qu'ils faisaient, ni grever le peuple de taxes nouvelles. D'ailleurs, bon nombre des riches d'hier sont devenus les pauvres d'aujourd'hui. L'obole de chacun pourrait nous aider. Sait-on que l'argent de la province de Québec est drainé par les loteries de France, d'Irlande, d'Espagne, d'Australie et même des Indes? L'autre jour, à une réunion, tous les hommes présents avaient un billet de loterie.» (18)
Cet extrait du discours du premier ministre du Québec résume l'axiome de la légalisation: la crise court-circuite les réseaux traditionnels de redistributions compensatoires des richesses des sociétés capitalistes, réseau compensatoire fondé sur l'incitation aux oeuvres charitables. La disparition, même partielle, de l'inégalité des richesses causée par la crise doit faire place à une autre mécanique supplétive de l'inégalité inhérente au système capitaliste. L'échevin Trépanier l'énonce succintement: «La reconnaissance du principe de loteries semble donc être un autre moyen de cette coalition du capital et du travail qui devient chaque jour de plus en plus nécessaire et dont on commence à reconnaître l'importance» (19). Et l'échevin de Montréal s'accorde avec le premier ministre: la loterie supplétive de la charité des anciens riches est à la fois la cause et le remède de l'hémorragie des capitaux vers l'étranger: «La loterie garderait au pays ces capitaux qui, chaque année, fuient vers l'Irlande, Terre-Neuve, et la loterie de Calcutta.» (20)
Il y a donc, chez les défenseurs du principe de loterie, une même lecture sociale et politique: la loterie supplée à la charité désormais peu praticable en temps de crise et la loterie permet de conserver le capital à l'intérieur de la nation. On voit ici la fonction économique profonde de ce principe de redistribution des richesses qui échappe à la conscience du consommateur de loterie. La loterie et sa légalisation apparaissent dans une crise de capital et se justifient par une sorte de nationalisme économique; moyen de redistribuer l'inégalité des richesses quand la charité passe de mode, moyen de conserver la richesse de la collectivité. Ce dernier point est relevé par nul autre que le secrétaire de la Province, Athanase David qui, à l'instar de son premier ministre, plaide l'urgence de la légalisation de la loterie: «Notre argent s'en va (...). Depuis deux ou trois ans, à cause des difficultés que nous traversons, le peuple de notre province, n'a cru mieux faire (...) que de se priver d'amusements pour ne pas priver sa maison de pain. (...) Rien ne serait plus pitoyable (...) que de voir l'Université de Montréal disparaître pour une cause financière. Quel désastre national ce serait!» (21)
Toute cette argumentation mise de l'avant par nos hommes politiques, premier ministre, secrétaire de la Province et échevin de la ville de Montréal, montre l'importance occulte du principe de loterie dans la vie économique d'une société capitaliste à court de riches charitables lavés par une crise de capitaux. La loterie apparaît comme agent coagulant et stimulant dans une société capitaliste saignée et déprimée par une crise économique. Tel est en tout cas la lecture que permettent les appareils énonciatifs repérés dans l'histoire de notre société québécoise. Reste à voir maintenant comment ce principe d'enrichissement construit sur le culte du hasard s'inscrit dans la psychologie de la collectivité composant cette société. Alors que le consommateur de loterie, cherchant seulement sa richesse personnelle, ignore l'idéologie compensatoire et nationaliste qui en anime l'institutionnalisation, l'analyse psychologique s'approfondit nécessairement en psychanalyse de ce consommateur de fortune instantanée qui n'est, au fond de lui-même, qu'un chercheur d'or. À ce chapitre, il est possible de tracer quelque peu le profil du Québécois dans cette quête de fortune dont la nature davantage rêvée qu'obtenue indique les cryptotypes d'une indépendance économique gagnée instantanément, pouvant suppléer à une indépendance politique conquise par le dur travail.

Fortune rêvée et or imaginaire chez le Québécois

Le travail, dans l'histoire de la colonisation du Nouveau Monde, occupe une place tout à fait particulière. La situation nouvelle du colon oblige ce dernier à rectifier ses phantasmes de fortunes: «Avant tout travail de semailles, le pionnier doit d'abord, ici, faire le rude métier de bûcheron» (22). Le phantasme des fortunes instantanées acquises par l'or, les épices, drogues et fourrures s'actualise bien difficilement lorsque la mer est franchie. Entre le colonisateur et sa fortune se dresse une forêt à la grandeur du continent nouveau et qu'il faut d'abord abattre. Le travail de défricheur décourage par la force, la ténacité et la précarité des conditions de survie exigées. Les banquiers de l'ancien continent imaginent alors, pour exciter la soif de l'or et alimenter l'immigration des colons, une loterie à lingots. Le gouvernement français, en 1850, encourage, enclave et prend en main la Société du Lingot d'Or dont le but est le financement de colons français devant partir pour l'El Dorado de la Californie (23). Le lingot, d'une valeur de plusieurs milliers de francs, est exposé en équilibre sur un plateau contre six blocs de fonte dans un magasin de Paris. «Pour ceux qui ne peuvent venir adorer le nouveau dieu», la Société du Lingot d'Or fait composer une brochure de propagande par le jeune Alexandre Dumas fils qui vient d'écrire un best-seller (24). La lecture de ce feuillet en dit long sur la programmation psychologique des masses.
En seizes pages, Alexandre Dumas fils relate les origines légendaires des loteries: il fait l'apologie contre-moraliste du principe de loterie impliquant une défense de la fonction supplétive de la loterie («le censeur le plus sévère sera au moins forcé de convenir que la Loterie avec ses ravissantes illusions poétise les misères du pauvre et dore au moins sa vie d'un rayon d'espérance») et surtout, il enseigne une magie apte à séduire la «capricieuse Fortune». Le plein plaisir de la lotomanie ne consistant pas à jouer mais bien à influencer le cours du jeu; dimension métaphysique profonde de l'homme dans son rapport avec ce qui l'entoure, possibilité de transgresser sa situation amoureuse ou économique. L'auteur de La Dame aux camélias parle ici de «l'intervention dans les affaires humaines de cet invisible, ce mystérieux pouvoir que les incrédules nomment fatalité, les croyants Providence et les indifférents hasard» (p. 12). Fatalité, Providence, Hasard, tous vivent sous trois idéalités contradictoires, une même transcendance. C'est tout le sens de la vie économique individuelle qui est ici capitalisé dans cette tentative de faire éclater le cadre de la vie et de la liberté. Le joueur croit possible cette défonce de la fatalité au moyen de l'enrichissement soudain. Le joueur est en vive attente de liberté et d'indépendance. Et le texte de Dumas l'encourage dans cette entreprise de fortune subite. Le lingot coagule alors, dirait Marx, la valeur de cette idée de prise sur la fatalité: «Au milieu du magasin, sur une table recouverte de velours rouge avec une frange dorée, une balance. Dans un des plateaux, six blocs de fonte, dans l'autre, l'énorme, le fascinant, l'angoissant lingot, fondu à la Monnaie de Paris et habillé de cette simple inscription: 8,87 kg = 400 770 francs. On imagine la sensation.» (25)
Le texte de Dumas se termine sur une flatterie-saloperie faite aux femmes en se gardant bien de mentionner le but réel de l'entreprise, non pas celui du joueur mais bien celui des auteurs: la recherche de l'or en Californie. Ce qui montre bien que les joueurs ne s'intéressent que peu ou pas du tout aux profits de l'entreprise collective, tout attentifs qu'ils sont à leur seul profit individuel, potentiel à une très faible mesure pourtant. Le jeu de loterie masque le véritable jeu de l'entreprise de redistribution des richesses à des fins charitables, comme nous l'avons vu, ou proprement capitalistes, comme nous le voyons maintenant. Dumas tait absolument l'objectif final de la loterie et oriente l'attention du lecteur essentiellement sur les moyens à choisir pour transformer, par la manipulation cabalistique des nombres, sa destinée personnelle. Orienter la conscience non pas vers les fins mais vers les moyens; afficher l'équivalent du poids de l'or en francs en passant non pas par le travail mais par le jeu. Tel fut le détournement des moyens suggérés par la loterie. Ce qui constitue un véritable mensonge de ce qui se passait pendant ce temps dans la colonisation.
Nous le savons aujourd'hui, si certains firent fortune avec les denrées du Nouveau Monde, plusieurs, pour ne pas dire l'ensemble, arrivèrent trop tard, trop vite ou en trop grand nombre. La plupart des chercheurs d'or, de fourrures ou autres objets de convoitise se retrouvèrent en sol pauvre, avec un travail colossal à accomplir avant de pouvoir penser à faire quelques profits, et finirent leur ruée vers l'or en ruades contre le mauvais sort qu'ils n'avaient pas réussi à conjurer. Leur rêve de pays fortuné ne s'éteignit pas mais, avec les générations, les moyens divergèrent. Dans l'Amérique septentrionale, chez les conquérants français conquis et constituant la majeure partie de ce qui se nommait désormais le Bas-Canada, le phantasme de la Fortune subsista et suivit la pente caractéristique des valeurs dans l'imagination des êtres réduits à la servitude. L'ancien colonisateur réduit à la misère n'abandonne pas son projet de vie, il ne fait que baisser la qualité des moyens de réalisation. Sur ce point précis, des phantasmes supplétifs aux revers de fortune, l'histoire des Québécois sécrète un pittoresque irrésistible. Parallèlement à ces moyens de plus en plus naïfs pour faire fortune, la sudation du travail obligatoirement fourni par les plus tenaces engendra une recette de réussite basée sur une conception cabalistique de la force de ce travail.
Encore en 1961, le chroniqueur Léon Trépanier explique l'existence de cette pratique consistant à chercher un trésor enfoui dans un champ en se servant du manuel alchimique du Petit Albert, cachette pratiquée par habitude légendaire des colons riches et avaricieux de chez nous (26). L'avarice, péché capital mis de l'avant par Claude-Henri Grignon dans son célèbre roman (27), est à l'origine d'un second degré dans la soif de l'or. N'ayant pu devenir fortuné, on cherchera à retrouver la fortune d'autrui cachée par temps de guerre et de révolution. Ce syndrome atteint apparemment plusieurs collectivités déprimées de l'histoire de la colonisation. On retrouve en Acadie plusieurs légendes de trésors enfouis, gardés par des morts et qu'on retrouve à l'aide du rituel magique exposé dans la littérature de colportage (28). Chez nous, le premier roman de toute notre histoire littéraire a pour fond dramatique ce thème et son appendice littéraire; on n'explique pas autrement que son auteur, Philippe Aubert de Gaspé fils, ait choisi le titre Le Chercheur de trésors et le sous-titre L'influence d'un livre. Une brève analyse du contexte de production de cet ouvrage met en lumière le syndrome précis de la richesse vécu par les coloniaux défaits de cette période.
Philippe Aubert de Gaspé fils, qui engagea son propre père dans la carrière littéraire, est probablement le premier Québécois à avoir témoigné de la mauvaise fortune traditionnelle en Nouvelle France. Le Chercheur de trésor recèle en effet dans sa propre genèse un exemple succint mais complet de ce qu'on peut attendre de cette recherche d'un éphémère bonheur. L'Influence d'un livre est le sous-titre que Philippe donne à son ouvrage. C'est que les almanachs que sont Le Grand Albert et Le Petit Albert font rage dans le Québec médiéval du XIXe siècle (29). Tous les curés en ont une copie cachée au fond de leur tiroir selon la légende rapportée par Philippe père, auteur des Anciens Canadiens.
Nous sommes en 1836, à la veille de la révolte populaire, Philippe fils est journaliste courriériste parlementaire au Parlement de Québec. Un député l'accuse de mal rapporter les propos de la Chambre, Philippe le prend de haut et exige une rétractation, le député le prend encore de plus haut et le fait condamner à un mois de prison. Aussitôt sorti, Philippe va répandre de l'assafoetida sur le poêle de la Chambre parlementaire: l'odeur attaque et triomphe. Pour éviter les répercussions légales de son alchimie juvénile et pernicieuse, Philippe court se cacher au manoir familial de St-Jean-Port-Joli, pour le reste de l'hiver. C'est là qu'il écrit son livre, qui paraîtra à l'automne de 1837. Livre partiellement basé, comme toutes les fables hermétiques, sur des personnages et des faits réels qui se passèrent autour de cet hiver 37. On ne peut ici extraire tout le détail de cette vision symbolique de la collectivité canadienne d'alors, mais on doit dire que l'auteur y façonne une pièce littéraire précieuse pour l'étude des valeurs de ce temps-là. Derrière un récit pittoresque et le style littéraire voulu à l'époque, Aubert de Gaspé remue le chaudron de l'imaginaire québécois: Aubert de Gaspé y est auteur-victime mais aussi bien psychologue-témoin des préjugés de sa société: «...qu'on leur en donne (aux femmes) de l'or: elles en redemanderont encore: on leur a dit que c'était le bonheur.» Reprise ici, par Aubert de Gaspé fils, de ce que Dumas fils affirmait lorsque, au sujet de la vente des billets, il disait: «L'Administration doit être reconnaissante aux femmes, c'est elles qui font le plus de propagande. Les femmes aiment tant le jeu et l'inattendu» (30). La filiation idéologique est directe: la femme joue un rôle primordial dans le caractère occulte de la fortune comme dans celui de la colonisation.
De Gaspé est donc témoin des mésaventures de toutes sortes que connut la littérature française dans le Bas-Canada. Éditions contrefaites d'ouvrages célèbres (Le Grand Albert devenu Albert-le-Petit) qui feront que le héros semi-fictif Charles Amand ne découvrira pas le secret de la fortune. Le héros, et c'est ce qui arrive souvent en alchimie, trouvera l'or mais il ne s'en apercevra pas. Ce héros serait la figure de ce qu'il advenait aux pauvres colons bretons et normands, colonisés à leur tour par les militaires britanniques et un clergé réfugié. Combien, parmi ceux-là, comme le suggère le sociologue Marcel Rioux, ont dû rêver de fortune au fond de leur dur hiver! Cette population majoritaire mais pourtant dominée dès 1820 aurait eu encore plus besoin de richesses illusoires que les populations américaines déjà libres (depuis 1812) à la même époque. Bref, le petit livre du journaliste frustré Aubert de Gaspé figure une dénonciation historique derrière le roman d'aventure. L'écriture hermétique enregistre ici une histoire et son sous-sol mythique, indicibles tous deux par la voie officielle des journaux.
Mais tout cela n'est que représentation littéraire. Le roman de 1837 pourrait fort bien raconter un ordre de phénomènes peu représentatif du vécu de la collectivité. Il est permis de penser le contraire lorsque nous consultons d'autres instances littéraires de la même période. Il n'y a pas que le héros semi-fictif de Philippe Aubert fils qui soit à l'origine des légendaires chercheurs de trésor. Il semble que beaucoup de colons, réellement dépossédés de leurs capitaux ou même de leur économie de survie, ont pu rêver et même entreprendre l'aventure de retrouver un trésor caché, à défaut de reconquérir un pays perdu.
En 1861, paraît dans la ville de Québec un livre qui permet, aujourd'hui, avec le recul du temps, de situer l'ampleur du syndrome de la fortune subite et de comprendre tout un aspect de la propagande de colonisation. Le typographe Joseph-Norbert Duquet publie un étrange compendium intitulé Le Véritable Petit-Albert ou Secret pour acquérir un trésor. Dédié aux Classes Laborieuses des Villes et des Campagnes du Bas-Canada (31) et comprenant cinq essais complémentaires dont l'alignement des titres à lui seul renseigne sur l'horizon phantasmatique de la Fortune dans l'imagination des plus démunis. Un premier essai démontre l'inutilité des manuels magiques et de leurs recettes de fortune (Grand et Petit Albert, Le Dragon-Rouge, Les Grimoires d'Honorius, de Salomon et d'Agrippa, sont visés). Un second essai, ou second livre, traite précisément des chercheurs de trésors cachés; des exemples situés dans les villes de Québec et Montréal convainquent de l'universalité québécoise du mythe. Passant ensuite de ces trésors éphémères aux trésors véritables accessibles aux classes ouvrières, l'auteur situe l'enrichissement potentiel des ouvriers de ville dans les corporations de métiers, c'est le livre troisième, et dans le travail d'agriculture pour les campagnards, c'est le quatrième. Un dernier livre, moins important pour notre propos, réimprime quelques recettes de médecine populaire et de comptabilité nécessaire au calcul de l'«engrossement» de la fortune de capital à intérêts composés.
Cet ouvrage dépeint et explique la situation de pauvreté caractéristique de la vie des dominés au Bas-Canada. Il passe aussi en revue les moyens divers imaginés ou même expérimentés par les paysans et ouvriers de chez-nous, pour conjurer leur mauvaise fortune. Il est important de noter qu'avant de proposer ses solutions pour rétablir la fortune de ses compatriotes, le typographe Duquet attaque les fausses solutions et d'abord les instances littéraires qui les véhiculent. Dès ses premières pages, l'auteur du Véritable Petit-Albert fustige l'autorité du trop connu Petit Albert, qui enseigne des recettes «pour gagner au jeu, pour rétablir le vin gâté, pour faire des talismans cabalistiques, découvrir les trésors.» (32)
Même dénonciation pour ce qui est du Dragon-Rouge, qui traite de la manière «de gagner toutes les fois qu'on met aux loteries, de découvrir les trésors cachés» (33). Fortune par loterie et fortune par trouvaille de trésor enfoui sont des phantasmes cotangents dans l'imagination du colon dépossédé, qui ne voit que le gros lot n'est qu'un dérivé moderniste du trésor caché en terre. On comprendrait très bien pourquoi un peuple, ayant tant cherché de trésors en terre au XIXe siècle, pourrait, un siècle plus tard, s'adonner avec une passion équivalente à la recherche d'un gros lot. Le fond de superstition est le même.
Mais le syndrome de la richesse, chez nous, est encore plus sophistiqué; le trésor en terre, ce n'est que le fruit du travail du défrichage, de la colonisation. Duquet reprend intégralement la fable du «Laboureur et ses enfants» (34), qui creusent tant que la récolte record qu'ils font montre que «le travail est un trésor» et que seul l'effort soutenu est «ce secret infaillible pour découvrir et acquérir un trésor» (35). Ainsi s'il y a, comme l'énonce le Petit Albert, «deux sortes de trésors cachés: la première sorte est de l'or et de l'argent, qui a été formé dans les entrailles de la terre (...) la seconde sorte est de l'or et de l'argent monnayé ou mis en oeuvre d'orfèvrerie et qui a été déposé.» (36)
Il y a aussi deux moyens de faire fortune, par le hasard ou par le travail. D'ailleurs l'un n'est que le simulacre de l'autre pour Duquet qui entreprend, on le voit bien, une démonstration qui s'oppose à celle de Dumas fils. La magie est un trompe-l'oeil. Il n'y a pas de magiciens, il n'y a que des naïfs de littérature et des capitalistes travestis en bienfaiteurs. Duquet en donne un exemple précis lorsqu'il relate la vie du banquier juif français, Samuel Bernard, qui possédait, disait-on, une poule aux oeufs d'or mais dont la fabuleuse fortune s'explique exclusivement, dit Duquet, par «le fruit de sa bonne administration (...). Ainsi, que chacun mette de l'ordre et administre bien ses propres affaires, tout en pratiquant l'économie, et il se trouvera en peu de temps possesseur d'une véritable poule aux oeufs d'or» (37). La leçon se dégage: le chercheur de trésor instantané est un défricheur paresseux et négligent dans son économie familiale. En tout cas, pour l'auteur ici en cause, l'opposition est explicite entre le rêveur et le travailleur: «C'est toujours un grand malheur pour celui qui se livre à ces recherches, le plus souvent éphémères, parce que l'homme perd ainsi chaque jour un véritable trésor, qui se trouve dans le bon emploi du temps, la vigilance, le travail assidu, et surtout dans la pratique de l'économie.» (38)
L'ouvrage de Duquet va plus loin que la chronique. Lorsqu'au début de son livre troisième, il commence l'exposition des «véritables moyens» pour s'enrichir, il élabore un discours réflexif sur la «soif de l'or», sur la volonté et non le désir comme étant le moteur de l'enrichissement, ce qui le conduit à parler du travail et de l'économie d'épargne. Pour cet auteur, tout le secret réside dans le principe de régularité caractérisant le travail ou l'économie qu'on veut faire. S'appuyant sur le paradigme de Franklin («l'argent déposé en capital fait des petits», «l'argent engendre l'argent»), Duquet propose comme moyen assuré d'enrichissement pour la classe ouvrière le modèle de la caisse d'épargne: «Ainsi l'importance d'une caisse d'épargne est incalculable pour les classes ouvrières» (39). Et pour protéger les droits acquis de ces classes ouvrières et assurer une certaine sécurité d'emploi, il propose la fondation de sociétés de secours mutuels et de protection pour chaque corps de métier. Car la société québécoise vit alors un désordre social: l'ouvrier doit «se protéger comme corps, contre la fatale concurrence qui se pratique entre les maîtres» (40), mais il doit aussi se protéger de «l'envahissement des villes par un si grand nombre de personnes qui désertent les campagnes pour venir travailler à vils prix à des métiers qu'ils n'ont pour la plupart jamais appris» (41). Agressif contre la classe agricole? Chacun à sa place. L'auteur consacre à cette classe tout son livre quatrième au cours duquel il expose la nature du trésor propre à la classe paysanne. Il utilise pour cela la métaphore de la mine, afin de situer physiquement l'espace de la recherche: «L'agriculture! quelle mine inépuisable à exploiter!» (42). Cette métaphore semble correspondre à un phantasme réel de la collectivité et non au style de l'auteur. Car un ouvrage entier, construit sur la même métaphore, va bientôt, en 1880, venir développer le thème ébauché par Duquet concernant le moyen d'enrichissement assuré qui attend le pionnier de la colonisation.
Lorsqu'on pense à la colonisation de la fin du siècle dernier, on pense à l'autre personnage principal du roman de Claude-Henri Grignon, mis à part Séraphin et Donalda, c'est-à-dire le curé Labelle. Le cas du curé Labelle n'est pas exceptionnel. En 1880, l'oblat Zacharie Lacasse publie un ouvrage intitulé Une mine produisant l'or et l'argent, découverte et mise en réserve pour les cultivateurs seuls (43). La «mine» c'est, bien sûr, la recette que le laboureur avait donnée subtilement à ses enfants dans la démonstration du typographe-philosophe Duquet. Trêve de subtilité, le missionnaire Lacasse expose publiquement une recette cabalistique qui permettra aux «habitants et artisans» de sauver la colonisation. Car l'instant est grave; les paysans n'émigrent plus vers Montréal, comme 20 ans auparavant, mais émigrent vers les «États», en grand nombre. Le but immédiat de l'auteur est explicite: «Si je pouvais seulement empêcher, par cet écrit, un de mes compatriotes de partir pour les États, je serais satisfait.» (44).
La recette consiste à échanger, en proportion équitable, de la surface de terre défrichée contre du temps de travail. Un habitant déjà prospère établit un jeune qui devient son «protégé» . Il le nourrit gratuitement la première année tandis que le protégé accorde à la terre de son protecteur une bonne proportion de son temps de défrichement. Suivant ce principe de division des tâches, après quelques années, le protégé serait devenu progressivement autonome et le protecteur aurait substantiellement augmenté sa capacité de production en ayant uniquement avancé des fonds au protégé.
Ce principe, qui est plusieurs fois et de diverses façons expliqué par l'auteur, constitue la substance de l'ouvrage. Tout tourne autour de ce principe appliqué en système. Car l'apologiste Lacasse a compris que les principes ne sont efficaces qu'érigés en systèmes. Les protecteurs et protégés ne doivent pas être isolés, l'isolement décourage car il augmente trop les frais et baisse la valeur des terres; ce principe doit s'opérationnaliser en paroisses entières. Lacasse suggère de multiples situations mais ses unités de production de la colonisation sont constituées de paroisses-mères fournissant des protecteurs et des protégés qui partiront ensemble pour fonder, à 40 protégés, une future paroisse d'environ trois cent personnes. Toute la première partie de l'ouvrage, divisé en veillées, pipées et touches, expose le micro-détail de cette spéculation donnée pour infaillible dans ses résultats. Cette «manière de s'enrichir en enrichissant les autres», ce système d'emprunt qui ne coûte pas un sou au protégé et qui permet au protecteur capitaliste d'accumuler des intérêts avec les ventes accrues résultant de sa production améliorée par son protégé, se fonde sur une solidarité nationale: «Patriote capitaliste! voilà ton ouvrage» (45), s'écrie Lacasse lorsqu'il veut démontrer que l'investissement sur la force de travail des jeunes et sur les terres de la colonisation est davantage à l'abri de la «crise financière» que ne le sont les autres types de placement. (46)
Le missionnaire veut de l'argent pour son projet spéculatif. Il ira jusqu'à suggérer une taxe obligatoire de la colonisation: «On parlera peut-être de créer "l'impôt du patriotisme", de demander cinq centimes à chaque chef de famille canadienne en faveur de la colonisation» (47). Car, ingrédient essentiel à la recette, il faut que le seul intérêt du capital soit le profit consécutif à la force de travail; tout ce contrat qui «fera votre affaire et la mienne» et qui est toujours calculé «au plus bas» ne tient peut-être pas suffisamment compte de la psychologie du capitaliste (48). Cette recette de répartition hypothéquée des richesses se présente pourtant comme magique, c'est-à-dire comme grain de sagesse. Mais ce modèle exige qu'on pense à la paroisse avant la famille, à la collectivité avant l'individu. Ce modèle d'enrichissement était trop lent à devenir tangible et trop forçant dans son postulat. C'est ainsi que les abbés Lacasse et Labelle moururent sans que la jeune nation eût trouvé le trésor enfoui dans le sol en friche et le sous-sol que constituait la mine d'or et d'argent du travail et de l'épargne d'entraide.

La nature de l'indépendance et l'occultation de la fortune collective

Le colonisateur théoricien Lacasse voyait dans l'économie propre au propriétaire paysan le paradigme de l'indépendance: «Personne sur terre n'est plus indépendant que l'habitant» (49). Duquet, d'accord avec le précédent pour la campagne, voyait l'indépendance des habitants des villes dans le corporatisme doublé de la Caisse d'entraide économique. Nos aïeux suivirent cette voie mais, hélas, il n'abandonnèrent pas Le Petit Albert. Et les chiffres de consommation de loterie dans notre crise actuelle nous montrent peut-être que, avec la succession des générations, nous en sommes venus aujourd'hui à croire davantage dans Le Petit Albert que dans le curé Labelle.
L'énormité des chiffres rapportés dans la première partie de notre étude nous oblige à considérer la lotomanie comme un comportement pathologique issu directement de notre croyance passée aux trésors enfouis apportant fortune subite. Il est facile de circonscrire la récurrence des croyances cabalistiques dans le système de notre loterie nationale. Une fois éliminés tous les modèles de loterie n'impliquant pas un choix de chiffres par le consommateur, il reste tout de même ce qui constitue la moelle du geste: selon les chiffres fournis par Robert Dubois dans son article, la loterie 6-36 est la plus populaire de tous les modèles et cette popularité s'explique par le type «pseudo-actif» de son fonctionnement. Et, de l'aveu même de l'auteur de l'article, ce geste de choisir librement les chiffres gagnants entraîne toute une série de pratiques magiques débouchant assez rapidement sur la métaphysique des statistiques et les arts divinatoires. L'énergie rationnelle est ici perdue dans les méandres de la synchronicité enseignée par Alexandre Dumas dans son fascicule; tout ce qui n'est pas déposé dans la caisse d'entraide est dévié dans le coffre magique. Tout ce qui n'est pas travaillé est joué. Même en sachant que moins de la moitié des sommes misées reviennent aux éventuels gagnants. C'est payer bien cher une potentielle fortune et une indépendance soudaine. Le coffre magique, c'est le fonds consolidé de l'État qui engloutit, sans plus aucune justification de charité, la majeure partie du capital.
Or, la lotomanie s'accentue et prend des proportions presque caricaturales. Dans les séries des types de Loto offerts aux Québécois, plusieurs (la 6-36, la 6-49, la Quotidienne, etc.) impliquent des «jeux de numéros» (50). À lui seul, le rythme de la Quotidienne, quand on sait que le résultat occupe un réseau public de télévision, fait sourciller: jouer tous les jours! On pense alors aux Lydiens qui, selon le témoignage d'Hérodote, pour tromper leur faim misérable «...un jour sur deux (...) passaient tout leur temps à jouer, pour ne pas penser à la nourriture; le jour suivant, ils mangeaient et s'abstenaient de jouer. Ils vécurent ainsi pendant dix-huit ans». Du jeu comme technique de diversion des peuples misérables! La polyvalence du système lotomane et l'omniprésence des kiosques de vente font penser à ce qui arrivera après notre crise actuelle. Comme dans «La Loterie de Babylone» de J. L. Borges, nous jouerons jusqu'à ce que la Société des loteries prenne le pouvoir et qu'une théorie générale des jeux nous serve de vision du monde. Nous approchons à grands pas de cette mise en situation de complet hasard et d'absolue indépendance économique gagnés au prix fort de la faillite de notre système primaire de survie collectives (51).
La loterie est actuellement devenue une prothèse idéologique de l'indépendance, en parfaite continuité avec les prothèses magiques supplétives de notre misère ancestrale. Nous avons pris tous les moyens légaux pour pouvoir investir en jouant plutôt qu'en travaillant, quitte à ce que nos réussites soient statistiquement en moins grand nombre. Si les puritains anglophones de 1934 bloquèrent le projet de loi fédéral de légalisation des loteries et, par là, le projet de loi provincial d'Athanase David, depuis 1969, aucune recette cabalistique «criminelle» n'entrave notre soif de fortune subite. Un juge vient tout juste de légaliser, en janvier 1983, l'ultime maillon de l'initiative lotomane: le «concours de pronostics sportifs» inhérent à Loto-Sélect (touchant les matchs à venir des équipes de hockey professionnel) (52). C'est la légalisation du bon vieux sweepstake, en justifiant la législation par le fait qu'il ne s'agit pas de chevaux mais de joueurs (sic). Nous trouverons bien le moyen de légaliser tôt ou tard les pronostics de chevaux sur patins; l'argent fait loi.
Nous sommes dans un système bien différent de celui de la colonisation par protecteurs et paroisses du prêtre Lacasse. Nous sommes dans une systématisation du jeu. Car, plus loin que la légalisation du choix de chiffres, du pronostic sportif et de la «quotidiennisation» de la pratique, il y a la métasystématisation elle-même: le service Lotomatique. La fine pointe de l'investissement par le jeu. Il ne s'agit de rien de moins que d'un service d'abonnement continu impliquant 5 loteries et réparti sur 12 mois. La vérification est assurée par la Société, qui expédie l'intérêt sur le capital en cas de chance. C'est le capitalisme opposé à celui des Caisses d'entraide qui, elles, entre-temps, frisent la faillite et le démantèlement. Nous misons davantage sur le hasard et sa prédiction que sur le travail. Rappelons le chiffre: nous engloutissons ensemble 100 000$ pour en retirer au total par répartition inégale un maximum de 45 000$. Et nous en sommes rendus à pratiquer une systématisation automatique de cette mise au jeu. Que jouerons-nous demain? Notre chemise, le chômage de nos enfants, la réappropriation de nos terres par des Petit Lacasse au service d'autres patriotismes que le nôtre.
Qu'importent les mises en garde! Majorité fait loi; le pamphlétaire Léon Trépanier dit bien qu' «une loi ignorée de la majorité des citoyens n'a pas beaucoup de souveraineté» (53). 11% de notre population seulement n'a jamais parié à la loterie nationale et 80% des joueurs visent le gros lot. Le gros, l'angoissant lingot nous hante encore dans son coffre enfoui (54). Pourtant, notre sol regorge de richesses potentielles. Il suffirait de savoir creuser.
Dans son conte pour enfant «Le Trésor», des Quatre saisons de Piquot (55), Gilles Vigneault brosse avec génie le phantasme de la soif de l'or dans la psychologie du pionnier. L'oncle Tobie voulant amuser son neveu, fabrique un faux trésor et la carte qui va avec. S'étant trompé dans sa cabale de calculs, l'oncle débouté assiste à la découverte d'un petit trésor authentique, retrouvé accidentellement par l'enfant. Le faux trésor de l'oncle, demeuré en terre, deviendra un vrai trésor pour un autre enfant qui osera «recommencer les calculs». Jolie leçon pour les falsificateurs, directive précieuse pour les travailleurs: «Les trésors sont partout, ce sont les chercheurs qui manquent!»
Les chercheurs jouent. Et survivent à même le phantasme d'indépendance subite. L'idéologie de cette indépendance individuelle payée à même la perte dans la mise collective est partout; l'année dernière, le prix des communautés de télévisions francophones Louis-Philippe Kammans est allé au Belge Jean-Louis Colmant, pour son émission «Le coup de bol». Lisons le résumé de ce scénario gagnant: «La chose au monde de tout temps la mieux partagée, la passion du jeu, est devenue un colossal phénomène de société depuis l'apparition d'activités aussi populaires que la Loterie nationale (...). L'un, pour être devenu riche, apprendra comment on se ruine. Et tel autre, pour la même raison, se retrouvera cocu. Méfions-nous de nos fantasmes! Ce sera la leçon d'un troisième. Le Destin est si capricieux, les adultes tellement gamins et la vie à ce point farceuse qu'un «coup de bol» c'est quelques fois un «manque de pot». (56)
Cocus nous le sommes économiquement à jouer plutôt qu'à travailler, à fouiner plutôt qu'à semer. Et ces pratiques pseudo-actives sur notre destinée, inventées par temps de crise pour suppléer aux baisses d'oeuvres de bienfaisance, n'annoncent rien d'autre qu'un accroissement de consommation de telles pratiques, à mesure que les crises se développent et que les coffres du «fonds consolidé» de la Province se vident comme par diablerie. Les revenus lotomatiques des années futures résoudront peut-être les déficits budgétaires de notre collectivité. Faute d'avoir fait l'indépendance par le travail, nous l'accorderons par jeu à quelques-uns d'entre nous. Après le phantasme, le transfert. Après le gros lot, le divorce ou le voyeurisme. Dans un si beau pays qui «peut produire vingt fois plus qu'il ne produit» disait le père Lacasses. (57)
Mais peut-être est-ce également ce pays étrange et beau, cette sombre forêt, ces lacs profonds, toute cette nature luxuriante et trop vaste qui ont contribué à notre diversion concernant notre propre enrichissement, durant les siècles passés. Piquot et son oncle cherchent un coffre: «Ils partaient enfin. Le soleil versait de l'or sur toutes choses et il eût fallu garder les yeux fermés pour ne pas penser trésor...»
Comment voulez-vous devenir riche quand votre conscience nationale s'exprime davantage par le rêve poétique que par la consigne économiste, et par la lotomanie davantage que par l'investissement d'entraide agricole et professionnelle? Véritable hiéroglyphe de notre faillite économique, notre loterie nationale nous indique la voie future consécutive à notre tendance actuelle: Lotomatique fait déjà de nous les Lydiens des temps modernes! Les Lydiens ont tenu dix-huit ans. Combien de temps tiendrons-nous?

Notes
1. Les revenus de loterie et d'alcool sont comparables, en effet: en 1979-80, on a encaissé 160 millions à la Société des alcools et 100 millions à la Société des loteries et courses; en 1981-82, 225 millions d'alcool et 150 millions de loterie; pour 83, on prévoit respectivement 275 et 162 millions. Et combien fera-t-on une fois la crise passée?
2. Chiffres publiés par Robert Dubois, «Loto: une taxe sur le rêve», Protégez-vous (magazine de l'office de la protection du consommateur), sept. 1982. Les statistiques données dans cette partie du texte proviennent de l'étude de Dubois, des Renseignements généraux publiés par Loto-Québec en 1982 et du cabinet du ministre des Finances du gouvernement du Québec.
3. R. Dubois, op. cit., p. 26. Déjà en 1979, Yves Taschereau brossait un tableau impressionnant de consommation des loteries au Québec. Déjà à l'époque, le Québec faisait avec le jeu légalisé presque autant que le Nevada; cf. Y. Taschereau, «Un casino nommé Québec» , L'Actualité, avril, 1979.
4. R. Dubois, op. cit., p. 25.
5. Ibid., p. 31.
6. Ibid., p. 25.
7. Ibid., p. 29. Une fois les frais d'administration et de salaires connexes enlevés. «33% de l'argent versé par les contribuables est acheminé dans les coffres de l'État» (p. 25).
8. Robert Dubois insiste beaucoup sur cet aspect «produit de luxe» de la loterie à la fin de son étude. La loterie nationalisée est la taxe la plus douce et la plus efficace parce qu'elle est volontaire comme toutes les taxes d'amusement et que sa seule raison d'être réside dans l'obtention possible d'un capital résolvant toutes les nécessités de la vie matérielle. Dans ce jeu, l'effort apparaît infiniment minime par rapport à l'ampleur du résultat théoriquement accessible. Mais «la réalité des probabilités qui, par définition, défavorisent toujours le joueur» est autre, écrit Dubois, qui souligne pertinemment que «le premier objectif de l'entreprise (de la loterie nationale) reste la réalisation du profit pour l'État» (p. 29 et 25). Taschereau, dans son article de 79, énonçait laconiquement: «Les joueurs, c'est connu, ne savent pas compter.»
9. H. Veyrier et C. Tchou, Dictionnaire du Jeu, coll. Réalité de l'imaginaire, éditions Tchou, s.l.,s.d., article «loterie».
10. Le sweepstake (turf ou course de chevaux) est le paradigme de la loterie illégale, donc criminelle, de nos temps modernes. Il a pour origine populaire un jeu de hasard nommé «la poule», qui consiste à faire un pronostic sur l'issue de la course en regroupant ces pronostics dans un chapeau, d'où 1'appellation de «pari mutuel» . Paris de pronostics et loteries constituent des formes de jeu proprement similaires. Cf. Tchou, op. cit., p. 29.
11. Léon Trépanier, Les Loteries; pourquoi il faut les légaliser chez nous, Montréal, mars 1936, p. 43.
12. Alexandre Taschereau et Athanase David, La Question des loteries, Assemblée législative de Québec, 14 mars 1934. La situation problématique de l'Université de Montréal est évoquée par le Secrétaire de la Province aux pages 14 et suivantes du tiré à part du débat sur le projet de loi 41 proposant la légalisation de la loterie et son utilisation par le gouvernement à des fins éducationnelles et d'assistance publique (article 2 du projet de loi). L'adoption de ce projet de loi 41 est bien sûr conditionnelle à la décriminalisation préalable de la loterie par le gouvernement fédéral (projet de loi 56 présenté par le sénateur Fraser en avril 1934). Le projet de loi 41 est voté à l'unanimité par la Province mais devant la pression faite par les conscientious objectors (puritains ayant lutté aussi pour le maintien de la prohibition de l'alcool), le projet de loi 56, pourtant adopté par le Sénat, est battu à la Chambre des communes. Le noeud ne se défera que beaucoup plus tard, en 1969. Depuis cette date, au pays, les loteries ne sont plus de nature criminelle, elles sont légalisées et presque totalement prises en charge par nos gouvernements.
13. Rapporté par L. Trépanier, op. cit., p. 28.
14. Rapporté par Veyrier et Tchou, op. cit., p. 293.
15. Idem.
16. R. Dubois, op. cit., p. 34.
17. L. Trépanier, op. cit., p. 60.
18. A. Taschereau, op. cit., p. 3. Le souligné est de moi.
19. L. Trépanier, op. cit., p. 16 et 17.
20. Idem.
21. A. David, op. cit., p. 11 à 15.
22. L. Capitan et H. Lorin, Le Travail en Amérique avant et après Colomb, Félix Alcan, Paris; 1914, p. 176.
23. P. Guillemot et P. Nouaille, L'Or des légendes et des trésors, Famot, Genève, 1976, p. 208 et suiv.
24. Ibid., p. 211.
25. Idem.
26. Léon Trépanier, On veut savoir, Compte d'auteur, juin 1961, tome 11, p. 11: «À la recherche du Trésor avec la graisse d'enfant mort sans baptême».
27. Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché, (1933), rééd. Stanké, Montréal, 1977. Le roman se veut une étude de l'économie familiale de l'«habitant» et de l'avarice qui parfois s'ensuit. La cachette de Séraphin est un sac de cuir contenant l'argent et qui est déposé alternativement dans l'un des trois sacs d'avoine entassés dans une chambre. L'avare perdra sa fortune et sa vie dans un incendie. On peut imaginer facilement dans ce contexte la visite des ruines fumantes par des chercheurs de trésors ou plus simplement par ceux qui connaissaient la victime.
28. Catherine Jolicoeur, Les Plus Belles Légendes acadiennes, Montréal, Stanké, s.d., p. 140 et suiv.
29. Philippe Aubert de Gaspé (fils), Le Chercheur de Trésors ou l'Influence d'un livre, (1837), Réédition-Québec, Montréal, 1968. Dans sa réédition de Le Grand et le Petit Albert, Belfond, Paris, 1970, Bernard Husson mentionne la grande diffusion des Albert dans «les anciennes possessions françaises, Canada, Antilles, Afrique Noire, Maurice . . .» (p. 10).
30. A. Dumas, op. cit., p. 15.
31. Joseph-Norbert Duquet, Le Véritable Petit-Albert ou Secret pour acquérir un trésor, Imprimerie du Journal de Québec, Québec, 1861. La description sommaire de cet ouvrage présentée dans l'encyclopédie populaire Nos racines (1982, no 114) est partielle au point d'être lacunaire quant au contenu principal.
32. J.-N. Duquet, op. cit., p. 6. Dans Le Petit Albert traditionnel, la recette pour gagner à la loterie précède de peu la recette pour trouver un trésor caché (respectivement p. 200 et 220 de l'édition Husson). Le paradigme de la recette pour découvrir un trésor enfoui est le suivant: muni d'une chandelle de suif humain non-baptisé on parcourt un champs; à l'endroit où la chandelle pétille davantage puis s'éteint, on plante à sa droite une branche de laurier, à sa gauche une branche de verveine et on creuse entre les deux un trou de la profondeur d'une hauteur d'homme. Arrivé à cette hauteur on butera nécessairement sur la paroi du coffre; il faut alors conjurer les gardiens du coffre qui sont des défunts ou des gnomes en se faisant une couronne des deux branches plantées que l'on surmonte d'un talisman décrit par Le Petit Albert. L'échec du rituel se concrétise par le déplacement spontané du coffre ou par l'apparente corruption de son contenu. Il reste à transporter ce contenu et à lui redonner par l'art du feu alchimique l'apparence correspondant à sa substance aurifère ou argentifère réelle. Les gnomes qui, selon la légende, vivent sous terre, pénètrent dans un coffre magique conduisant à une pièce où est conservé le Livre secret contenant un compendium d'histoire naturelle et de recettes pratiques. Cf. R. Poorvliet et W. Huygen, Le Livre secret des gnomes, Albin Michel, Paris, s.l.,s.d., non paginé. Les Petit Albert ne seraient donc, par filiation symbolique, que des fragments d'un ouvrage inaccessible.
33. Ibid., p. 9.
34. Ibid., p. 96.
35. Ibid., p. 97.
36. B. Husson, op. cit., p. 222.
37. J.-N. Duquet, op. cit., p. 10. C'est l'auteur qui souligne. Le pacte de la poule consiste à sacrifier une poule à minuit exactement à la croisée de trois chemins. Le diable apparaît et remplace l'animal sacrifié par une autre poule qui, elle, est une poule aux neufs d'or. Rien ne permet de rattacher ce rituel à celui des joueurs de courses que l'on nomme «la poule» et dont j'ai parlé plus haut.
38. Ibid., p. 40.
39. Ibid., p. 69. L'auteur publie dans son ouvrage des tables de rendement de capital, à moyen et long termes (placements minimes quotidiens après 30 ans) et une méthode facile pour calculer l'intérêt d'un capital. 40. Ibid., p. 73. 41. Ibid. 42. Ibid., p. 82.
43. Zacharie Lacasse, Une mine produisant l'or et l'argent, découverte et mise en réserve pour les cultivateurs seuls, Québec, 1880.
45. Ibid., p. 37. Lacasse prétend que «le système des Protecteurs est réalisable; car il n'y a rien à risquer; et dès qu'on pourra prouver que c'est dans l'intérêt des capitalistes, on aura gagné» (p. 30).
46. Ibid., p. 37. Lacasse sent bien que «la crise que nous avons traversée, va diriger l'opinion vers un autre courant d'idées à l'égard de l'emploi de nos capitaux (p. 34). (...) Il n'y a qu'une seule chose qu'on n'ait point essayée: placer ces capitaux sur le sol.» (p. 34)
47. Ibid., p. 92.
48. Les idées de l'abbé Lacasse eurent certainement plusieurs applications. En 1898, dans la région des Bois-Francs, un groupe de jeunes colons de Sainte-Perpétue part au coeur de la forêt trouver un «Klondike» c'est-à-dire fonder une paroisse prospère en sol propice à l'agriculture. Quelques années plus tard, en 1924, la terre difficilement mise à jour n'a pas offert de trésors et l'économie de subsistance la plus misérable n'y trouve pas son compte. Les créanciers des colons devenus pères de famille exigent simultanément leur remboursement; c'est la faillite et la dispersion. La nouvelle paroisse survivra pourtant grâce entre autres aux curés de la région qui se battront pour l'incorporation civile et pour le rachat des terres saisies par les capitalistes prêteurs. Cf. Emile Vincent, Histoire de la paroisse de Sainte-Séraphine, Municipalité de Sainte-Séraphine, 1981. On voit dans cet exemple concret l'idéalisme de la motivation patriotique demandée par le père Lacasse aux prêteurs-protecteurs.
49. Ibid., p. 11.
50. Renseignements généraux, Loto-Québec, 1982, «Les produits», p. 1.
51. Notre investissement dans la loterie sert, de toute manière, à renflouer via le «fonds consolidé» de l'État notre agriculture en péril ou presque; cf. «Nourrir le Québec», Critère, no 34, p. 139: «En janvier 1981, l'endettement des agriculteurs québécois était de 1,7 milliard de dollars, soit une moyenne de 40 000$ par ferme.» Pour les Bois-Francs, les agriculteurs eux-mêmes parlent d'un endettement moyen dépassant les 100 000$.
52. Cour supérieure de la province de Québec, district de Montréal, jugement de l'Honorable Juge René Hurtubise. Demandeur: le procureur général du Canada, défenderesse-intimée: Loto-Québec; intervenant: le procureur général du Québec. Le juge rejette la requête en injonction interlocutoire requise par le procureur du Canada car, dans la situation de Loto-Sélect, «le droit du requérant n'est pas certain, mais discutable» (p. 15). Une bonne partie de la discussion résidant précisément dans la définition du pari-mutuel donnée par Loto-Québec, qui se base sur sept dictionnaires limitant la pratique (c.-à-d. la «poule») aux courses de chevaux ou de chiens (p. 10).
53. L. Trépanier, op. cit., p. 17.
54. Le simulacre du coffre au trésor jouit encore, de nos jours, d'un support matériel notable: ainsi, le 7 juin 1965, La Tribune de Sherbrooke annonce la découverte par deux adolescents d'un coffre enterré sur la rive de la rivière Saint-François. Le coffre, à demi incendié et rempli d'eau, contenait des documents vieux de plus de deux cents ans, dont une carte et des fragments d'un ouvrage d'alchimie intitulé Le Monde des merveilles, traitant entre autres choses des perturbations climatiques. Pensons aussi aux loteries instantanées que les lotomanes ont baptisé «gratteux»; le jeu consiste à gratter un billet qui révèle ainsi des chiffres éventuellement gagnants. On pourrait voir dans ce grattage l'ultime résidu d'un creusage.
55. «Le Trésor», dans Les Quatre Saisons de Piquot, éditions de l'Arc, 1979 (microsillon 33 tours).
56. Le Coup de Bol, émission de télévision réalisée par Jean-Louis Colmant, scénario de José-André Lacour, Belgique RTBF, 1982, durée: 87 minutes.
57. Z. Lacasse, op. cit., p. 111. Peu importe, il est admis que notre sens économique est désormais «intoxiqué» à la lotomanie; cf. Guy Pinard, «Bonne nouvelle pour les «lotophiles», La Presse, 11 février 1983, p. A3.

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