L'Encyclopédie sur la mort


La pensée bouddhique authentique et son application en Occident

Mathieu Boisvert

Mathieu Boisvert . PH D., Études religieuses, Université McGill, Montréal, Canada,1989-1992; Titre de la thèse: A study of the five aggregates in Theravada Buddhism: their role and interrelation to the doctrine of paticcasamuppada, est professeur au département de sciences des religions depuis janvier 1993. Ses Champs d'intérêt, d'enseignement et de recherche: Hindouisme & bouddhisme, L'ascétisme hindou, Monachisme bouddhiste, Le phénomène du pèlerinage, Transmission du savoir traditionnel, Le Canon Pali. Nous publions son article ci-dessous avec son autorisation bienveillante.
Rien de plus dangereux que d’avancer cette notion d’authenticité, surtout à l’égard d’une tradition religieuse, quelle qu’elle soit. Et le bouddhisme n’échappe pas à cette norme. Qu’est donc l’enseignement original du «Buddha», personnage historique réel, mais dont la mémoire s’est vite perdue dans une hagiographie que son entourage puis, par la suite, la tradition, se sont empressés de compiler. Nécessité oblige, on soit « se rappeler », se souvenir du fondateur de la tradition et de l’enseignement qu’il a mise de l’avant. Mais force est de constater qu’il nous est presque impossible de tracer une démarcation claire entre « la réalité » et « la construction ultérieure d’une mémoire ». Gardons donc ceci en mémoire.

On sait cependant que Siddhartha Gautama, plus tard connu sous l’épellation « buddha » (éveillé) était un rebelle : il critiquait le système social de son époque et proposait, tels d’autres contestataires de son époque – pensons à Mahāvīra, le fondateur du jaïnisme – une voie ascétique, monastique, en quasi-rupture avec la société. Cette radicalité était difficilement recevable à son époque, et le serait également à la nôtre. Mais il semble, qu’au cœur de l’enseignement de ce personnage – et ici, toutes les traditions bouddhiques convergent, qu’elles soient sud-asiatiques, sino-tibétaines et même nord-américaines ! – se dessinent tout de même un message central. Tout ce qui existe est caractérisé par la souffrance, l’impermanence et le non-soi. Comment négocie-t-on avec cette réalité ?

L’expérience qu’aurait eue Siddhartha Gautama lors de l’atteinte du nirvāṇa se décline sensiblement de la même façon dans toutes les traditions bouddhiques. L’humain souffre puisque tout est impermanent. Cette impermanence, inhérente à tout, efface la possibilité d’un soi, ou d’une âme, qui résiste au changement, qui perdure, qui demeure. La pratique bouddhique, qui se conjugue différemment d’une culture à l’autre, viserait donc à permettre à l’individu d’apprivoiser le changement, d’apprendre à vivre paisiblement cette vie marquée de vicissitudes, de désirs non satisfaits. Loin de l’hédonisme, le Buddha aurait eu plus d’atomes crochus avec Épicure, ce philosophe-ascète qui recherchait le plaisir suprême, le seul qui perdure, un genre de nirvāṇa à la sauce grecque.

Comment donc se rapprocher d’une compréhension, d’une mise en œuvre de ce qui serait l’intuition bouddhique d’origine ? Sentir le changement, en soi-même tout comme à l’extérieur, de le vivre et de l’accepter comme un élément indissociable de la vie. Ainsi, l’égo est nécessairement relativisé ; l’attachement à nos désirs, nos attentes, s’amenuise, sans pour autant compromettre le dynamisme, l’engagement nécessaires à toute forme de création. L’image véhiculée de Siddhartha Gautama est ici fort révélatrice. Il aurait atteint le nirvāṇa à l’âge de trente-cinq ans ; ayant compris l’insatisfaction (dukkha), sa source et le moyen pour l’éradiquer, il était libéré de tous désirs, de tout égo (ātman / samskāra / karma). Cependant, sa carrière ultérieure fut des plus actives. Détaché, il était tout de même mû par une force qui le poussait à agir. Lors des quarante années qui ont suivi ce moment, Gautama le Buddha « faisait », « agissait », était contraint à agir par une conviction qu’il ne pouvait effacer. On pourrait presque le qualifier de l’un des plus grands prosélytes de l’histoire connue. N’ayez crainte, je n’incite personne à prêcher le bouddhisme ou toute autre religion, loin de là ! Je nous invite cependant à chercher en nous même cette conviction, cette « chose » qui donne sens à notre existence (impermanente, rappelons-le nous…), et que celle-ci – différente pour chacun de nous – devienne consciemment notre « foyer », forge chacun de nos gestes, petits ou grands. Yathā kāri, tathā vādi ; yathā vādi, thathā kāri : « Agir tel qu’on le dit, et dire tel qu’on le fait ».

L’expérience du Buddha serait basée sur une introspection de ces trois caractérisques de l’existence, sur une compréhension « expérientielle » de celles-ci. Comprendre l’ « éphémérité » implique nécessairement de vivre sans attachement, sans égo ; agir, non pas pour soi, mais pour les autres ; se détacher du fruit de ces actions – de la même façon que le recommande le texte hindou qu’est la Bhagavad Gītā – , être dans le « non-agir » – tel que défini par le Tao Te Ching–, ou bien tout simplement agir comme il se doit – comme nous le suggère Kant par son impératif catégorique. Cela constitue une morale, avant tout, mais qui ne peut être dissociée d’une pratique permettant à l’individu de la mettre en œuvre. Message tout simple, mais dont l’expression est l’œuvre d’une vie.

Décembre 2010
© Mathieu Boisvert

Oeuvres de Mathieu Boisvert

«Pilgrimage», Encyclopedia of Globalization, New York, MTM Publishing, 2006.

«Blurred Boundaries: Buddhist communities in the greater Montreal area», en collaboration avec M. Litalien et F. Thibeault, dans Buddhism in Canada, Bruce Mathews (Dir.), London, Taylor & Francis, 2006.

«Buddhism in Canada », Religion and Ethnicity, David Seljak et Paul Brahmadat, dir., Toronto,University of Toronto Press 2010 (première édition, Toronto: Pearson Education Canada 2004).

«Le Pèlerinage d'Allahabad (Prayaga): réflexions éparses sur l'événement des participants», Synergies Inde no. 3 (Paris), 2008 pp.141-155.

«Skandha », «Pratityasamutpada», Encyclopédia of Buddhism, New York, MacMillan Reference, dir. J.Strong et all, 2004.

«The Prayagavala; the Priest of pilgrimmage of Prayag», The Oriental Anthropologist, Delhi: 3/1.

«Origins: Comparative Perspectives », «Novices, Theravadin Rituals for», Examinations: Theravadins», Encyclopedia of Monasticim, dir. W.M. Johnston, Chicago, Fitzroy Dearborn, 2001.

«Les Études bouddhiques», Les Sciences religieuses au Québec, dir. J-M. Larouche et G. Ménard, Québec, PUL, 2001.

Religiologiques; Projet Tibet-2000; dir. Mathieu Boisvert (directeur et auteur de l'introduction), Montréal, printemps 2001.

«La Cérémonie birmane du shin pyu et ses ramifications sociales», Sciences religieuses/Studies in Religion [SR], 2000; republié sous le titre «A Social-cultural Analysis of the Burmese Shin pyu Ceremony », Journal of Beliefs and Values, 21/2.

"Conception and Intra-uterine Life in the Pali Canon ", SR, 2000.

Un monde de religions (tomes I, II et III), sous la direction de M. Boisvert, Ste-Foy, PUQ, 1997, 1999 et 2000.

«The Five Aggregates : Understanding Theravada Psychology and Soteriology», Waterloo, Canadian Corporation for the Study of Religion, 1995.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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