Houellebecq Michel

1958

«Michel Houellebecq «possède le don d'exposer avec une atroce lucidité les maux de notre époque et de retourner le couteau dans la plaie jusqu'à ce que nous acceptions de regarder en face nos sales secrets. D'où la violence des réactions. En outre, il montre l'exemple, il est le premier à se déshabiller. Ses livres se nourrissent des moments essentiels de sa vie: naissance en 1958; absence des parents, qui se désintéressent de lui; enfance chez une grand-mère adorée; sort comparable de sa demi-sœur; études d'ingénieur; dépression, anxiolytiques, alcool, hôpital psychiatrique.

En 1991, Michel Houellebecq consacre un essai remarquable à l'un de ses auteurs de prédilection, un des maîtres américains du fantastique, H. P. Lovecraft. On y trouve déjà une phrase qui résume la suite de son œuvre: "La valeur d'un être humain se mesure aujourd'hui par son efficacité économique et son potentiel érotique." Cette toute-puissance du sexe et de l'argent, il la combat dans ses poèmes et surtout dans un premier roman publié en 1994. Les personnages d'Extension du domaine de la lutte sont nos voisins de palier. Ils travaillent dans l'informatique, ils occupent des studios, ils mangent des portions individuelles surgelées, la solitude les étouffe, ils sont les produits d'une civilisation à bout de souffle. Déjà, les deux protagonistes incarnent les pôles opposés d'une même détresse: le froid et le chaud, l'incapacité d'aimer et l'obsession sexuelle.

C'est ce même contraste qui sous-tend les Particules élémentaires. Michel Djerzinski, abandonné par ses parents, n'a jamais ressenti aucun sentiment profond envers ses semblables, hormis peut-être envers sa grand-mère, qui l'a élevé et qui symbolise à ses yeux une espèce en voie de disparition: «Des êtres humains qui travaillaient toute leur vie, et qui travaillaient dur, uniquement par dévouement et par amour ; qui donnaient littéralement leur vie aux autres dans un esprit de dévouement et d'amour.» (...)

Les Particules élémentaires comprennent (...) aussi bien des passages autobiographiques que des développements philosophiques. Le désarroi qui ronge le monde occidental y est analysé avec un regard glacial: "Les sentiments d'amour, de tendresse et de fraternité humaine avaient dans une large mesure disparu; dans leurs rapports humains, ses contemporains faisaient le plus souvent preuve d'indifférence, voire de cruauté." Le philosophe Kant y croise le physicien Heisenberg - un des fondateurs de la théorie quantique - et Aldous Huxley - l'écrivain qui dénonça le totalitarisme des sociétés modernes dans le Meilleur des mondes -, les boîtes de nuit échangistes y voisinent avec des ordinateurs Cray.»

Didier Sénécal, "Le phénomène Michel Houellebecq. Naissance d'un écrivain", Label France, no 35, avril 1999 © Ministère des Affaires étrangères de France


Michel Houellebecq ou le sens du combat

«Curieuse trajectoire que celle de Michel Houellebecq. Un essai consacré à Lovecraft au début des années 90, deux recueils de poésie, un premier remarqué au succès d’estime (Extension du domaine de la lutte); il était sans doute destiné à être lu par quelques centaines de fervents adorateurs jusqu’à ce qu’en septembre dernier une bourrasque médiatique accompagne la publication de son deuxième roman Les particules élémentaires. Dans ce chef-d’oeuvre polyphonique, il dresse le faire-part de décès d’une certaine conception de la civilisation devant les nouveaux barbares. Le marché a détruit toutes les identités, les frontières (morales ou autres), les idéologies, Dieu, les valeurs humanistes et corrompu ce qu’il reste, nous dit-il. Toujours selon lui, mai 68 a marqué la victoire définitive des modèles libéraux-libertaires, les contestataires et les marchands façonnant main dans la main la jungle moderne. Le libéralisme et la compétitivité ont tout envahi, même la sphère privée transformant le sexe en une zone de libre-échange régie par l’offre et la demande. Conclusion: la race humaine va s’éteindre.»

Christian Authier, "Le nouveaux talents", L'Opinion indépendante (date non précisé, ca 2000; lien désactivé)


Houellebecq, critique du capitalisme mondialisé

"La compétition sans limites, la servitude volontaire, la rivalité mimétique, l’obsolescence programmée, la frustration renouvelée, l’accumulation morbide, l’insécurité perpétuelle, l’angoisse, l’attente de nouveauté, la mobilité, la révolution systématique, l’individualisme absolu, la violence et la mort comme stade ultime de la pulsion capitaliste, le rouleau compresseur de la science et de la technique selon laquelle «Si c’est techniquement réalisable, ce sera techniquement réalisé» (Interventions) : Houellebecq a génialement disséqué les ressorts du monde techno-marchand. «Tout dans l’économie est fait pour briser les liens qui pouvaient unir les individus à leur famille, leurs géniteurs, des proches. Houellebecq conte ce processus d’individuation, d’atomisation des sociétés, qui, déjà, avait fasciné Marx. L’économie libérale brise tout ce qui est collectif : l’équipe au travail, la famille, le couple. En ce sens, la libération sexuelle relève d’une explosion “de l’individualisme et a pour effet la destruction de ces communautés intermédiaires, les dernières à séparer l’individu du marché“ (Les Particules élémentaires)"

Christian Authier, "Extension du domaine de Houellebecq", L'Opinion indépendante, no 3156, 26 septembre 2014

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