Le Chevalier de Jaucourt
Notice biographique de la Grande Encyclopédie (1885-1902)
«JAUCOURT (Louis, chevalier de), philosophe français, né à Paris en 1704, mort à Compiègne en 1779. Il étudia la théologie à Genève, les sciences exactes et naturelles à Cambridge, la médecine à Leyde où il connut Tronchin. Rentré à Paris en 1736, il vécut dans une société mondaine et philosophique. Il fut l'un des principaux rédac-teurs de l'Encyclopédie, où il écrivait, avec Buffon, les articles scientifiques. Doué d'un grand esprit de modération, il fut plutôt du parti philosophique de Montesquieu que de celui de La Mettrie et de d'Holbach. Les qualités de son caractère lui attirèrent partout l'estime et l'amitié. Il a laissé un grand nombre de mémoires adressés à diverses académies ou sociétés savantes et une Vie de Leibniz, mais pas une grande œuvre. Ce fut un homme d'esprit et de savoir que la renommée ne tenta point.»
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Notice du Dictionnaire biographique Michaud (1858, article de J.-J. Weiss)
JAUCOURT (Louis, chevalier de), l'un des philosophes modernes les plus estimables, et l'un des plus utiles collaborateurs du grand dictionnaire encyclopédique, naquit à Paris, le 16 septembre 1704,d'une famille ancienne et considérée. Ses parents s'attachèrent à développer ses heureuses dispositions, et l'envoyèrent, dès l'âge de huit ans, faire ses études à Genève. Après avoir terminé ses cours, il passa en Angleterre, et y suivit trois ans les leçons des meilleurs professeurs de l'université de Cambridge; il vint ensuite en Hollande, où il s'appliqua à la médecine sous Boerhaave. Pendant son séjour à Leyde, il connut Tronchin, et se lia avec lui d'une amitié durable. Les deux amis soutinrent leur thèse le même jour, et reçurent ensemble le bonnet de docteur; mais le chevalier de Jaucourt était déjà résolu à ne pratiquer la médecine que pour les pauvres, et à n'employer ses talents qu'au soulagement des malheureux. Il revint en 1736 à Paris, et se vit obligé de donner quelque temps à l'arrangement de ses affaires: enfin il paya sa tranquillité par le sacrifice d'une partie de sa fortune, et put dès lors se livrer uniquement à son goût pour l'étude. D'Alembert l'ayant invité à travailler à l'Encyclopédie, il se chargea de la rédaction des articles de médecine et de physique pour ce grand ouvrage; mais il tint plus qu'il n'avait promis. Tout en partageant le zèle de quelques-uns de ses associés pour les progrès de la raison humaine, il sut se préserver de leurs écarts; et les morceaux sortis de sa plume sont peut-être ceux où l'on trouve le moins de choses répréhensibles. Le chevalier de Jaucourt était d'un caractère doux et affable: il n'avait d'autre passion que celle de rendre service; et quoique sa fortune fût médiocre, il aidait de sa bourse tous ceux qui s'adressaient à lui. Il ne sollicita jamais aucune faveur, ne prit part à aucune dispute littéraire: enfin, comme il le dit lui-même, sans besoins, sans désirs, sans ambition, sans intrigue, il chercha son repos dans l'obscurité de sa vie. L'affaiblissement de ses forces lui faisant présager sa fin prochaine, il se retira à Compiègne, et y mourut quelques mois après, le 3 février 1779, âgé de 76 ans. II était membre de la société royale de Londres, et des académies de Berlin,de Stockholm et de Bordeaux. Les écrits du chevalier de Jaucourt, dit Palissot, se font lire avec intérét; son style est simple, naturel, facile, et ne manque ni de correction, ni d'élégance : mais ce qui caractérise surtout ses productions, c'est que l'honnête homme n'est jamais éclipsé par l'auteur; il fait aimer la vertu en imprimant à ses moindres ouvrages le caractère d'une âme droite et sensible. Jaucourt possédait la plupart des langues modernes, et les parlait avec beaucoup de facilité. Outre les nombreux articles qu'il a fournis à l'Encyclopédie, on a de lui 1) des Recherches sur l'origi»e des fontaines (en latin), in-4º; 2) une Dissertation anatomique sur l'allantoïde humaine (en latin), in-4º et in-8º; 3) Une traduction latine du Traité de Duverney sur l'organe de l'ouïe, 4) La Vie de Leibnitz imprimée à la tête de son édition des Essais de théodicée sur la bonté de Dieu. 1756, 2 vol. in-8º. On a réuni les Synonymes français de Jaucourt, d'Alembert et Diderot, épars dans l'Encyclopédie, 1800, in-12. Jaucourt a coopéré à la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l'Europe. depuis l'établissement de ce journal, en 1748, jusqû en 1740. Il est, avec Gaubius, Musschenbroëck et Massuet, l'un des éditeurs de la description du cabinet de Seba (Museum Sebœanum), 1754, 4 vol. in-fol. Enfin il avait rédigé un Lexicon medicum universalis, qui devait former 6 volumes in-fol.; mais le manuscrit qu'il envoyait à un imprimeur d'Amsterdam périt dans le naufrage du bâtiment qui le portait, sur les côtes de la Nort-Hollande.»
L'apport de Jaucourt (D'Alembert)
«La médecine, non moins nécessaire que la jurisprudence, la physique générale, et presque toutes les parties de la littérature, doivent dans ce volume un très-grand nombre de morceaux à M. De Jaucourt. Ils seront un témoignage de l'étendue et de la variété de ses connoissances; et nous croyons pouvoir en présager le succès par celui des excellents articles qu' il avait déjà insérés dans le second volume. M. De Jaucourt s' est livré à ce travail pénible avec un amour du bien public, qui ne peut trouver sa vraie récompense que dans lui-même. Mais l'encyclopédie lui appartient de trop près, pour ne pas du moins lui donner ici de faibles marques de sa reconnaissance. En célébrant les talents, elle ne doit pas laisser les vertus dans l'oubli.»
D'ALEMBERT, Préface du tome III de L'Encyclopédie, éd. de Paris, INALF, 1967
Mots de Voltaire sur le Chevalier
«Si vous voulez lire un morceau curieux et bien fait sur l’argent de différents pays, adressez-vous à l’article Monnaie, de M. le chevalier de Jaucourt, dans l'Encyclopédie; on ne peut en parler plus savamment, et avec plus d’impartialité. Il est beau d’approfondir un sujet qu’on méprise.» («Argent», Dictionnaire philosophique)
«[...] homme au-dessus des philosophes de l’antiquité, en ce qu’il a préféré la retraite, la vraie philosophie, le travail infatigable, à tous les avantages que pouvait lui procurer sa naissance, dans un pays où l’on préfère cet avantage à tout le reste, excepté à l’argent.» («Figure», Dictionnaire philosophique)
«Je m'aperçois que le Chevalier de Jaucourt a écrit les trois quarts de l'Encyclopédie. Votre ami [Diderot] était donc occupé ailleurs?». (Lettre à d'Alembert)